POLEMIQUEC’est quoi cette cité judiciaire de Marseille voulue par Dupond-Moretti

Marseille : C’est quoi ce projet de cité judiciaire qui vaut une déclaration de « guerre » à Eric Dupond-Moretti

POLEMIQUELors d’une visite à Marseille, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a présenté à quelques élus un projet de délocalisation du tribunal de Marseille du centre-ville aux portes des quartiers nord de Marseille
Mathilde Ceilles

Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • Le ministère de la Justice envisage le déménagement du palais de justice de Marseille du centre-ville vers les quartiers Nord de Marseille.
  • Ce tribunal serait une tour plus grande permettant de régler les problèmes de place du tribunal actuel, amené par ailleurs à accueillir plus de magistrats.
  • Mais ce projet s’attire les foudres des avocats, de la ville de Marseille et des commerçants qui craignent une fragilisation économique du centre-ville.

La fuite dans la presse a eu l’effet d’une bombe. En marge d’une visite à Marseille, le 27 mars dernier, le ministre de la Justice aurait présenté à quelques élus locaux et acteurs du monde judiciaire son projet de construction d’une cité judiciaire dans le quartier d’Arenc, entraînant sa délocalisation du centre-ville vers ce quartier pauvre en pleine requalification vers un quartier d’affaires. Un projet qui a valu, ce mercredi, une « déclaration de guerre » à Eric Dupond-Moretti de la part des avocats et du monde économique de la cité phocéenne. 20 Minutes fait le point.



Quel est ce projet ?

Selon La Provence, le ministère de la Justice envisage la construction d’une tour d’une quarantaine d’étages avec en son sein 40.000 m² de bureaux. Toujours selon nos confrères, cette cité judiciaire serait construite dans le quartier d’Arenc, aux portes des quartiers Nord de Marseille, sur une parcelle du 15e arrondissement à proximité des tours La Marseillaise et la CMA CGM. Ce quartier pauvre aux portes des quartiers Nord est en pleine requalification depuis le début des années 2000, avec l’ambition de le transformer en quartier d’affaires où s’alignent les gratte-ciel.

D’autres scénarios auraient été envisagés, comme la construction d’un palais de justice sur le site actuel, ou une délocalisation à la Capelette, un quartier excentré dans le 10e arrondissement, mais cette délocalisation à Arenc aurait la préférence du ministère.

« Un investissement de 320 millions d’euros est prévu », confirme la députée marseillaise Sabrina Agresti-Roubache, proche du couple présidentiel et qui fait partie des élus à qui ce projet a été présenté. « C’est une complète refonte pour qu’enfin le tribunal de Marseille soit digne de ce nom, dans un lieu desservi par le métro et le tramway, et où on peut se garer à côté, fait valoir la députée. L’accessibilité, c’est un point très important. C’est pour ça qu’une délocalisation à la Capelette n’aurait pas de sens. Arenc, ça reste dans le centre-ville. Et ça peut donner à ce quartier la chance de se développer, de se transformer. »

Pourquoi ce projet ?

La construction de cette nouvelle cité judiciaire, promise pour 2028, s’inscrit dans le cadre d’un « plan Marshall » pour la justice à Marseille, annoncé par le ministre en février 2022. Faute de place, les services du troisième tribunal de France (après Paris et Bobigny), avec compétences interrégionales en matière de crime organisé, santé, transports ou environnement, sont à l’étroit, actuellement répartis sur sept sites.

Avant cette visite, le président du tribunal judiciaire Olivier Leurent et la procureure Dominique Laurens alertaient aussi sur le manque de moyens humains de la juridiction qui cumule le plus grand pôle social de France mais aussi des compétences très larges pour juger les affaires de criminalité organisée et d’atteintes à l’environnement. Face à ces alertes, le garde des Sceaux a annoncé des renforts dès 2023, avec 139 juges et 56 magistrats, soit 31 personnes supplémentaires. « Les locaux sont vétustes, justifie Sabrina Agresti-Roubache. Et il manque de la place, encore plus quand on sait qu’il va y avoir en plus des magistrats. »

Et pourquoi ça coince ?

Ce projet de délocalisation s’attire les foudres des avocats marseillais, mais aussi du monde économique et de la ville de Marseille elle-même, au point que ce mercredi, lors d’une conférence de presse, Nicole Richard-Verspieren, vice-présidente de la CPME 13, une organisation patronale locale, s’est dit prête à « ouvrir une guerre et la gagner » contre Eric Dupond-Moretti. « On se bat aussi pour le justiciable, affirme le bâtonnier du barreau de Marseille, Mathieu Jacquier lors de cette même conférence de presse. On va déplacer un pôle urbanistique important qu’est un palais de justice et on va en mettre un ailleurs. En matière de flux de circulation, ça va poser problème. Vous allez compliquer encore les embouteillages. Et c’est aussi une question économique pour nous. Il est plus pratique d’être à pied comme on est actuellement autour de notre palais de justice. »

« Quand le ministre vient à Paris, il essaie de me vendre un projet tout ficelier, pas de concerter, » regrette le bâtonnier, qui dénonce « un projet pour Marseille pensé de Paris. » « Aucune alternative n’a été sérieusement étudiée, la possibilité de rénover et agrandir (l’actuel palais de justice et ses annexes proches) a été balayée d’un revers de main », dénonce le président de la CCI. Jean-Luc Chauvin appelle à une « vraie concertation », et plaide pour un maintien dans le centre-ville, en lançant un concours d’architecture dédié.

« Faisons preuve d’imagination, abonde Laurent Lhardit, adjoint au maire de Marseille en charge de l’économie. La ville de Marseille se met au service du ministère et souhaite que le palais de justice reste en centre-ville. La réalité, c’est que plusieurs milliers d’emplois sont concernés aujourd’hui, et que le départ à Arenc aurait un impact sur le commerce local. »

Les craintes sont en effet vives du côté des commerçants, et notamment des restaurateurs du centre-ville. Une étude réalisée par la CCI auprès de la moitié des avocats du barreau de Marseille estime, selon leurs déclarations, que les dépenses des avocats dans le centre-ville se chiffrent à 18,3 millions d’euros par an, dont 7,41 millions dans la restauration.

« On a déjà perdu beaucoup d’argent avec les Gilets jaunes, le Covid, et maintenant il va y avoir de la perte avec la cité judiciaire, s’inquiète Bernard Marty, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) des Bouches-du-Rhône. Ça va être un gros coup de plus, avec le risque de tuer la quasi-totalité des commerces de l’hôtellerie et de la restauration du secteur. Vous, les avocats, vous êtes nos clients et vous venez tous les jours remplis nos restaurants. On se demande ce que nous ferons de nos restaurants demain si vous êtes partis. » Contacté, le ministère de la Justice n’a pas donné suite à nos sollicitations à l’heure où ces lignes sont écrites. De son côté, Euromed, qui dirige la rénovation de ce secteur, indique « ne pas avoir eu à ce jour de demande politique ».