procèsFraude à la viande de cheval : Les failles béantes du contrôle vétérinaire

Fraude à la viande de cheval : « Pour moi, cela n’allait pas plus loin »… Les failles béantes du contrôle vétérinaire

procèsAu moment des faits, les vétérinaires avaient pour certains une double casquette, celle de vétérinaire et d’identification des chevaux
Caroline Delabroy

Caroline Delabroy

L'essentiel

  • Parmi les 25 prévenus, huit vétérinaires comparaissent devant le tribunal correctionnel de Marseille qui juge ce vaste trafic de viande de cheval impropre à la consommation.
  • Au fil du procès, se dessine, en marge de la fraude, un système de contrôle de l'identité et de l'état sanitaire des chevaux, où chacun en renvoie la responsabilité à un autre échelon, le dernier étant la porte de l’abattoir.

«On nage dans une confusion totale. » Alors que le procès d’une vaste fraude à la viande de cheval poursuit sa deuxième semaine à Marseille, la présidente du tribunal correctionnel, Céline Ballerini, lâche ces mots. Ils résument bien la toile de fond d’une escroquerie dans laquelle chaque acteur présumé a joué une partition en cascade pour faire abattre en France, mais aussi en Pologne, en Espace et en Italie, des centaines de chevaux impropres à la consommation humaine. Dont des chevaux de laboratoire Sanofi.

« Est-ce qu’on peut se contenter de mettre un feuillet de traitements médicamenteux vierge sans rien connaître du passé médical de la bête, c’est toute la question », interroge ce mardi la présidente. Aux côtés des marchands, rabatteurs de chevaux et grossistes en viande, huit vétérinaires sont en effet jugés pour complicité de tromperie et faux dans un acte administratif. Lors de l’instruction, la plupart ont reconnu avoir fourni à leurs clients ces fameux « feuillets de traitement médicamenteux » indispensables pour l’abattage, ou avoir attesté de la bonne santé d’animaux destinés à l’exportation… sans même parfois les avoir vus. Autant de malversations qui, selon l’accusation, ont permis de brouiller toute traçabilité de la viande.

Des chevaux sans papiers

Vétérinaire diplômé depuis 1984, Jean-Louis Guillon a l’habitude de parcourir 50.000 km par an dans l’Aude où il exerce. Sa spécialité, comme il l’a expliqué à la barre la semaine dernière, les grands animaux. A l’écouter, il n’y en a plus beaucoup des comme lui dans le département, à exercer cette activité rurale « qui fait exister aussi une filière ». Il travaille souvent avec Patrick Rochette, principal prévenu pour son rôle considéré comme « prépondérant » dans la fraude.

Au moment des faits, en 2013, il est vétérinaire identificateur pour le compte des haras nationaux. Car, depuis le 1er janvier 2008, tous les chevaux doivent être identifiés, pucés et enregistrés dans un fichier central, sachant que pour les vieux chevaux nés avant 2001, l’identification n’était même pas obligatoire. Autrement dit, beaucoup de vieux chevaux n’ont tout simplement pas de papiers, ou alors des carnets incomplets auxquels il faut ajouter un feuillet volant.

« C’est tout ce qui était demandé »

« Dans la filière équine, l’Etat a dû faire face à l’obligation d’identifier une population équine importante dans une filière qui n’a pas cette culture », a expliqué à la juge d’instruction Jacques Gérin, en qualité de représentant de l’ordre national des vétérinaires. Des vétérinaires se sont ainsi retrouvés avec une double casquette, celle de vétérinaire mais aussi « d’identificateur ». Jean-Louis Guillon interprète ce rôle comme celui de simple « secrétaire » : « On a juste rajouté une feuille vierge dans des carnets qui ne l'avaient pas, c’est tout ce qui était demandé », a-t-il fait valoir à la barre, excluant toute notion de contrôle. Aussi, des chevaux ne correspondant pas du tout au descriptif servant à l'identifier se sont-ils retrouvés avec des passeports.

« C’est une insertion, je ne certifie rien, a poursuivi le vétérinaire. Il m’est arrivé de constater que les feuillets de traitements médicamenteux de chevaux Sanofi n’étaient pas remplis, je fais confiance aux services vétérinaires de l’abattoir. » Pour lui, « l’éligibilité de l’animal à la consommation humaine se fait au sein de l’abattoir ». Une vision qui s’oppose à celle de l’ordre des vétérinaires, pour qui « la signature du vétérinaire a une valeur », et n’est pas seulement un blanc-seing.

Ce mardi, le tribunal correctionnel s’est intéressé plus précisément aux exportations de chevaux menées par Jacques Larnaudie vers la Pologne ou l’Italie, depuis un centre de rassemblement à Saint-Flour, dans le Cantal. Et ce, en vue de leur abattage pour la consommation. Là encore, outre les faux établis par le marchand de chevaux, un certain flou semble avoir entouré le contrôle vétérinaire des équidés. Lorsque Jacques Larnaudie doit faire partir un camion de chevaux pour l’exportation, il appelle une clinique vétérinaire de Saint-Flour, qui dépêche sur place l’un des trois associés qui ont pris en charge ces contrôles.

« Pas de diarrhées, pas de toux, pas d’abcès »

« En tant que vétérinaire sanitaire, on a vu tous les animaux, assure Eric Cluzel, l’un d’eux. On allait voir les chevaux qui nous étaient présentés dans des parcs dans le marché couvert. On les voyait bien. » « Pas de diarrhées, pas de toux, pas d’abcès, on certifiait que les chevaux étaient transportables, poursuit le vétérinaire. Il y avait 17 carnets et 17 chevaux inscrits sur la liste, pour moi cela n’allait pas plus loin Je ne vérifiais pas les carnets. » D’autant qu’avec seulement une journée de formation pour apprendre à identifier un cheval à sa robe, ce vétérinaire spécialiste des bovins affirme qu’il n’avait pas les compétences pour. « On n’avait pas de raisons de douter de l’honnêteté de monsieur Larnaudie, je n’étais pas le gendarme qui allait contrôler », répond le vétérinaire quand la présidente du tribunal lui fait remarquer que, parmi les carnets, beaucoup n’étaient pas ceux des chevaux qu’ils avaient sous les yeux.

Pour lui, comme pour ses collègues, il revenait à l’agent officiel des services vétérinaires du département de vérifier l’identité du cheval. Or celui-ci se basait sur les éléments… fournis par le vétérinaire habilité sur place. Au fil du procès, se dessine ainsi, en marge de la fraude, un système de contrôle où chacun en renvoie la responsabilité à un autre échelon, le dernier étant la porte de l’abattoir. Un non-lieu ayant été prononcé en faveur du vétérinaire et de trois techniciens de l’abattoir de Narbonne, dont Patrick Rochette était un des principaux actionnaires, cette parole ne sera pas entendue lors du procès.

S’il y a eu « un manque de diligence, voire une négligence » dans le contrôle des chevaux, « il n’est pas établi que (ces personnels) ont agi avec mauvaise foi », avait relevé la juge d’instruction, écartant ainsi la tromperie, A partir de novembre 2014, le conseil supérieur de l’ordre des vétérinaires a en tout cas retiré aux vétérinaires identificateurs le droit d’insérer des feuilles volantes permettant l’abattage, au motif que la pratique « n’était pas bien cadrée ». C’est le moins que l’on puisse dire.