Procès de l’attentat de Nice : « Agressif » mais « pas fou », l’état psychiatrique du terroriste au cœur des débats
Audience•La question de l’équilibre mental de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel revient régulièrement dans les débats, même s’il n’y a, pour l’accusation, « aucun élément objectif en faveur d’une pathologie psychiatrique avérée »F.B. avec AFP
L'essentiel
- L’auteur de l’attentat de Nice le 14 juillet 2016 était « violent », « agressif » et « impulsif », mais pas « fou », selon les témoignages de sa famille, appelée à témoigner sur ses éventuels antécédents psychiatriques.
- Ses parents ont notamment banalisé une forme de violence familiale.
- Son père explique également qu’il l’avait emmené voir un psychiatre chez qui « il n’a pas voulu retourner ».
Son cousin le décrit comme quelqu’un de « space », « un peu morose », qui « disait souvent des choses négatives » et ajoute qu’il n’était « pas bipolaire ». L’auteur de l’attentat de Nice le 14 juillet 2016 était « violent », « agressif » et « impulsif », mais pas « fou », selon les témoignages de sa famille, appelée à témoigner sur ses éventuels antécédents psychiatriques mercredi et jeudi au procès organisé à Paris.
Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, Niçois de 31 ans de nationalité tunisienne, avait fait 86 morts et plus de 400 blessés au volant d’un camion-bélier sur la promenade des Anglais avant d’être abattu par la police. La question de son équilibre mental revient régulièrement dans les débats devant la cour d’assises spéciale, même s’il n’y a, pour l’accusation, « aucun élément objectif en faveur d’une pathologie psychiatrique avérée ».
« Il avait trop de haine envers ses parents »
Dans son enfance, il se distingue par son comportement « brutal » et son intolérance à la frustration, se rappelle son père, 63 ans, venu de Tunisie pour témoigner mercredi. « Quand il y avait un problème qu’il ne pouvait pas résoudre » ou qu’il n’avait pas ce qu’il voulait, « il s’énervait », résume cet homme aux cheveux et à la moustache blanche.
Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, que tout son entourage appelle par son deuxième prénom, Salman, grandit dans une famille de onze enfants à M’Saken, petite ville près de Sousse (est de la Tunisie). Parti en France en 2007, il ne reviendra qu’à deux reprises, en 2012.
Son origine modeste et rurale, source de moqueries à l’école, était une frustration pour le jeune homme, confie mercredi à la barre sa tante paternelle Rafika, 65 ans. « Il en avait trop sur le cœur. Il avait trop de haine envers ses parents. Il m’a dit : "c’est des rats, pas des parents" », assure-t-elle, en gros manteau et voile noir. Selon elle, son père « avait des sous mais le privait de tout ».
Jeudi, le cousin de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a même évoqué « une forme de maltraitance » de sa part. « Il l’exploitait à fond [pour s’occuper du bétail que cet agriculteur élevait] et il lui faisait beaucoup de promesses qu’il ne tenait pas », avance Mehdi. « Il n’a pas fait son devoir de père », renchérit-il avant de s’agacer qu’« on l’entendait rigoler à gorge déployée dans la salle des témoins » mercredi. « Il y a ce procès, tout ça, et eux, ils sont bien, ils rigolent », a-t-il répété.
Une violence familiale banalisée
Des témoignages, il ressort aussi une violence familiale banalisée. « Tout le monde frappe ses enfants », lâche le père, concédant « une gifle ou un coup de pied » si son fils rentre tard ou « vole des fruits ». « Oui ça arrivait, c’est normal », confirme sa mère Chérifa, 58 ans, couverte d’un châle beige. Elle reconnaît à demi-mot avoir elle-même subi des violences.
Mohamed Lahouaiej-Bouhlel frappe aussi ses frères et sœurs, « quand on touchait ses affaires » ou qu’il devait répéter les choses. « Mais de façon normale […], il ne laissait pas de traces », banalise à son tour sa sœur Rabeb, 34 ans aujourd’hui. Dans un témoignage aussi volubile et décousu que ses parents s’étaient montrés réservés, la jeune femme dit à la fois « tout le monde avait peur de lui » et « il ne me paraissait pas perturbé du tout ».
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La violence de son grand frère s’aggrave en 2004, alors qu’il a 19 ans. Selon Rabeb, « il a changé de comportement, il est devenu énervé » lorsqu’après le bac, il a voulu devenir « coach sportif, et papa a refusé, il voulait qu’il devienne ingénieur ». Son père dément lui avoir « interdit » cette orientation, puis prétend avoir « oublié » l’épisode. Père et fille racontent en revanche que « Salman » les a, un jour, enfermés dans la maison au moyen de chaînes et de cadenas, après le refus de lui acheter une moto. Un autre jour, il a « cassé toutes les portes et les fenêtres de la maison ».
Le psychiatre n’a pu poser un diagnostic sur le futur terroriste
Son père l’emmène alors chez un psychiatre à Sousse, qui évoque un lien avec sa forte consommation de protéines pour la musculation, selon sa tante Rafika. Le médecin lui prescrit un antipsychotique, un anxiolytique et un antidépresseur.
Entendu pendant l’enquête, le praticien a toutefois précisé que le jeune homme n’ayant pas réagi pendant l’entretien, il n’avait pas pu poser un diagnostic. Un deuxième rendez-vous était prévu, mais « il n’a pas voulu [y] retourner », selon son père. « Il m’a dit : "ces médicaments me brouillent l’esprit pour étudier" », justifie-t-il.
« C’est lui qui décide, je ne vais pas l’emmener de force », ajoute-t-il, provoquant la colère de l’une des accusées, poursuivie pour trafic d’armes. « C’est pas possible, ça fait six ans… Nous, on va en prison » à cause des actes de son fils, s’écrie-t-elle depuis le banc des accusés, avant d’être calmée par plusieurs avocats de la défense.