POLITIQUEUn procès rocambolesque pour corruption s'ouvre à Marseille

Entre caméras cachées et pots-de-vin, un procès rocambolesque pour corruption s'ouvre à Marseille

POLITIQUEUn haut fonctionnaire du conseil départemental des Bouches-du-Rhône comparaît aux côtés de dix autres personnes dans une vaste affaire de corruption dans l’attribution de marchés publics
Mathilde Ceilles

Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • Ce lundi s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Marseille le procès d’un haut fonctionnaire du conseil départemental des Bouches-du-Rhône et de dix autres personnes.
  • Cet ancien cadre est accusé de corruption dans l’attribution de marchés publics de la collectivité et encourt dix ans de prison.

Dans le petit milieu marseillais, on l’appelle le bateau bleu. Et il y a quelques années, une simple caméra cachée, retrouvée un peu par hasard sur une clé USB, a fait sérieusement tanguer le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, éclaboussé par des soupçons de corruption dans l’attribution de ses marchés publics. Tout commence le 22 mars 2016. Ce jour-là, les forces de l’ordre perquisitionnent pour une tout autre affaire le domicile de Jean-Pascal Battista, patron marseillais de l’entreprise France Entretien. L’homme est en effet connu pour ses liens avec le trafic de stupéfiants, qui lui ont valu à ce jour deux condamnations. Et les enquêteurs découvrent une vidéo édifiante. Sur les images, point de cannabis. Mais on y voit Saïd Meliouh, un entrepreneur marseillais, proche de Jean-Pascal Battista, remettre à Renaud Chervet, un haut fonctionnaire du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, une liasse de billets.

« A l’époque, dans le milieu du bâtiment, tout le monde savait qu’il y avait des passe-droits, affirme l’avocat de Saïd Melioud, Me Fabien Perez. Mon client était à la tête d’une grosse boîte. Il s’est dit : "Pourquoi pas moi ?" On lui a fait la proposition pour intégrer le cercle. Il était nouveau. Il s’est demandé si les promesses allaient être tenues. Il ne savait pas à qui il avait affaire. Il a débarqué dans ce petit monde, cet entre-soi, sans en savoir les codes. Et c’est comme ça que tout s’est écroulé. »

En effet, cette vidéo qui va constituer le point de départ d’une affaire rocambolesque a été réalisée par un Saïd Meliouh méfiant, à l’aide d’une caméra cachée dans une voiture. Les enquêteurs retrouveront d’ailleurs chez lui du matériel permettant de filmer en toute discrétion, dont un stylo équipé d’une caméra. La scène clé se situe quelque part à Marseille à 1h25 du matin, une nuit de janvier 2016. Saïd Meliouh est alors à la tête de la Société marseillaise de travaux. Il est par ailleurs déjà connu des services de justice pour des faits d’escroquerie en bande organisée et d’abus de confiance. Dans la vidéo confiée à Jean-Pascal Battista, Saïd Meliouh remet la modique somme de 10.000 euros à Renaud Chervet, alors directeur du service de la gestion, de l’administration et de la compatibilité au sein du conseil général des Bouches-du-Rhône. Un autre versement de 10.000 euros en liquide au haut fonctionnaire est prévu. La raison ? Le fonctionnaire territorial a la main sur l’attribution de certains marchés publics de la collectivité. Dans le pacte soupçonné par les enquêteurs, ce pot-de-vin permet à la société France Entretien de décrocher, le 4 février 2016, un marché public du conseil général d’un montant de 600.000 euros.

L’argent a coulé à flots sous le manteau

Une vidéo qui ouvrira ce lundi le procès de cet ancien cadre du conseil général accusé de corruption passive, blanchiment et trafic d’influence passive sur 22 marchés attribués par le conseil général des Bouches-du-Rhône, du temps où il était dirigé par un certain Jean-Noël Guérini. Renaud Chervet comparait dans cette affaire jusqu’au 4 novembre devant le tribunal correctionnel de Marseille, aux côtés de dix autres personnes. « En fournissant des informations, conseils ou services contre rémunération et en monnayant son influence, Renaud Chervet a vicié l’ensemble de la procédure administrative d’attribution des marchés au sein du conseil général des Bouches-du-Rhône », estime le parquet dans son ordonnance de renvoi.

Selon les enquêteurs, le fonctionnaire s’appuyait pour cela sur le gérant d’une société d’ingénierie en contrat d’assistance pour maîtrise d’ouvrage avec le conseil départemental, Jérôme Disdier, qui jouait les intermédiaires, en échange de travaux gratuits sur sa maison par les bénéficiaires de cette corruption. « C’était clairement un système avec un mode de fonctionnement spécifique, rapporte Me Fabien Pérez. Il y avait la personne qui donnait les tuyaux, la personne à qui donner l’argent… »

De l’argent sous le manteau qui a coulé à flots, selon les enquêteurs. « Depuis 2012, Renaud Chervet a totalement abusé de son statut de fonctionnaire territorial, chargé d’une mission de service public, pour avantager certains entrepreneurs dans l’obtention de marchés publics, notamment à bons de commande, en contrepartie du versement de numéraires, d’invitations au restaurant, de travaux réalisés à son domicile, de vacances ou de week-ends, tous frais payés, à son bénéfice et à celui de ses proches, en France ou à l’étranger », peut-on lire dans l’ordonnance de renvoi.

L’accusé principal prêt à expliquer son passage « du côté obscur »

En effet, au cours de leurs investigations, les enquêteurs s’étonnent que Renaud Chervet et son épouse, également employée au conseil général, « avaient adopté un train de vie en totale disproportion avec les revenus déclarés annuellement par le couple ». Tous deux ont pu pêle-mêle réaliser d’importants travaux de rénovation de leur domicile, probablement réglés en liquide, entreprendre de nombreux voyages, acheter des voitures haut de gamme, et devenir propriétaires de plusieurs biens immobiliers. « En regard des revenus du couple, environ 6.600 euros mensuels, ces investissements immobiliers réalisés sur une courte période ont manifestement été favorisés par la perception des revenus occultes que Renaud Chervet tirait des pactes de corruption conclus avec nombre d’entrepreneurs et par les travaux consentis à titre gracieux par certains d’entre eux », écrit le juge d’instruction.

« Mon client est terriblement inquiet et ne conteste rien, affirme l’avocat de Renaud Chervet, Me Frédéric Monneret. Il veut s’expliquer pourquoi et comment, à un moment donné, il a dérapé pour aller du côté obscur des choses. Il y avait une certaine atmosphère de déliquescence au sein de ce conseil général, où d’autres faits de corruption ont été dénoncés. C’était un bordel innommable. Et il a été pris dans cet engrenage, en raison des amitiés factices de certains, d’un appât du gain et d’un sentiment de toute-puissance. » Et d’estimer : « Si la vidéo n’avait pas été retrouvée, je pense que ce système aurait perduré. »

Depuis, le fonctionnaire ne travaille plus au conseil départemental. « Il a exercé un tas de métiers, explique son avocat. Il a même été livreur de sushi. En tout cas, il ne veut plus rien à voir à faire avec ce milieu-là. » Les onze prévenus encourent une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de prison et au moins un million d’euros d’amende.