Enfants rapatriés de Syrie : « Nous sommes des familles meurtries, nous essayons de sauver nos proches »
Témoignage•Thierry Roy a appris la mort de son fils Quentin, parti combattre dans les rangs de Daesh, début 2016. Ses parents ignorent s’il s’est marié ou s’il a eu des enfants en SyrieCécile De Sèze
L'essentiel
- Quinze femmes et 40 enfants qui étaient retenus dans les camps de prisonniers djihadistes dans le nord-est de la Syrie contrôlés par les forces kurdes ont été rapatriés jeudi.
- Il s’agit de la plus grosse opération de rapatriement de ce type depuis trois mois. Le 5 juillet dernier, 16 mères et 35 mineurs avaient été ramenés sur le territoire français.
- Les familles des proches restés sur place espèrent que tous les enfants et toutes les femmes seront de retour en France avant l’hiver, confie à 20 Minutes Thierry Roy, membre du collectif Familles unies.
«Comment peut-on laisser des enfants dans des conditions de vies aussi terribles ? C’est inhumain », tranche Thierry Roy, fondateur du collectif Familles unies, joint par 20 Minutes jeudi. Ils vivent parfois depuis cinq ans dans des camps kurdes au nord-est de la Syrie. Beaucoup parmi les centaines d’enfants français, dont les parents ont rejoint les rangs de Daesh, ne connaissent pas la France, leur famille, leurs grands-parents, oncles et tantes. Depuis la chute tactique du groupe terroriste chassé de Raqqa en octobre 2017, femmes et enfants étrangers, dont sept orphelins ou enfants isolés, parmi lesquels des Français, ont été parqués dans ces camps de fortune, majoritairement ceux de Al-Hol et de Roj. Jeudi, 15 de ces femmes françaises et 40 enfants ont été rapatriés par l’Etat. Leur avion s’est posé très tôt, à Villacoublay. « Une bonne nouvelle » accueillie avec soulagement par les proches de ces femmes et enfants, confie Thierry Roy.
Son histoire personnelle est un peu différente de celles de ces familles. Thierry Roy et sa femme ont appris la mort de leur fils Quentin par un message WhatsApp brutal reçu en janvier 2016. Soit, environ quinze mois après son départ pour la Syrie. Il avait 22 ans, presque 23. Ils ont fondé le collectif Familles unies espérant en apprendre davantage sur la vie de leur fils sous l’organisation de l’Etat islamique (EI). Ils n’ont plus eu de nouvelles de lui depuis 2015, et même avant, ils avaient le sentiment « qu’il ne parlait pas librement », souffle son père.
« Nous espérons que nos compatriotes pourront comprendre nos positions, qui ne sont, en rien, un message de complaisance à l’égard des choix de nos enfants » »
S’est-il marié ? A-t-il eu des enfants ? Et si oui, sont-ils aussi dans les camps kurdes ? Voici quelques-unes des questions qui « les taraudent » et auxquelles ils espèrent trouver des réponses grâce au rapatriement des femmes et des hommes qui ont vécu sous le même régime que Quentin. « Nous sommes en quête d’informations le concernant », explique-t-il.
Et pour ce faire, il faut tous et toutes les rapatrier. « La dernière fois, j’ai fait une crise d’angoisse en pensant à ces nombreux orphelins que la France refuse de rapatrier. Et si l’un d’eux était de mon sang, l’enfant de mon fils ? Je ferais tout pour le récupérer, mais pour cela, j’ai besoin des témoignages, que tout le monde rentre. On n’est jamais à l’abri d’une surprise dans une vie », semble espérer Thierry Roy.
En effet, « si jamais cet enfant existe, qu’il soit la progéniture de Quentin, ce serait un espoir pour lui de pouvoir grandir dans de bonnes conditions ». Ces enfants détenus reçoivent « des messages d’amour et d’espoir de la part de leur famille en France qui estiment que le destin de leurs parents a été une grossière erreur ». « Nous sommes des familles meurtries par le départ de leur enfant, nous essayons de sauver nos proches, cela fait partie de notre devoir d’humanité et nous espérons que nos compatriotes pourront comprendre nos positions, qui ne sont, en rien, un message de complaisance à l’égard des choix de nos enfants. On ne cautionne pas ! », rappelle avec fermeté Thierry Roy avant d’ajouter : « Mais les enfants ne sont pas responsables de ce qu’ont fait leurs parents ».
« Que justice se fasse »
L’urgence, une nouvelle fois, s’impose. Certains enfants s’apprêtent à vivre leur cinquième hiver dans ces camps syriens, où la température peut descendre jusqu’à -10 degrés. « On ne peut pas résister à cette température, dans des conditions épouvantables, en hiver, avec des réchauds qui peuvent faire brûler les tentes !, s’insurge Thierry Roy. Même le bétail en France passe l’hiver dans de meilleures conditions, dans les fermes. » « Comment peut-on laisser des enfants dans des conditions de vies aussi terribles ? C’est inhumain », répète le père meurtri.
Et puis, « il faut que justice se fasse, que ces femmes répondent de leurs choix, il faut apporter des éclairages pour nos compatriotes touchés par les attentats en France, mais aussi pour les familles qui ne comprennent pas, il y a un devoir de vérité ». Parmi des femmes rapatriées en juillet se trouvait ainsi la veuve de Samy Animour, l’un des trois assaillants du Bataclan. Elle aurait pu apporter des éclairages lors du procès sur les attentats du 13 novembre 2015 qui s’est clos un mois plus tôt. « La France avait donc sous la main depuis des années une femme qui aurait mérité probablement d’être dans le box à V13, a minima d’y être entendue. Décevant », avait ainsi regretté sur Twitter Arthur Dénouveaux, président de l’association Life for Paris, qui rassemble des victimes des attaques à Paris et Saint-Denis.
Le gouvernement semble avoir changé la doctrine du cas par cas, pour adopter celle « de la loterie », juge Thierry Roy. Quelque 16 mères et 35 mineurs avaient été ainsi rapatriés le 5 juillet. Entretemps, une femme et ses deux enfants avaient été ramenés début octobre. Mais encore quelques dizaines de femmes et surtout près de 200 enfants sont toujours dans les camps, assure-t-il. La France a été condamnée en septembre dernier par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans le dossier des rapatriements de familles de djihadistes français en Syrie.