« Le procès du drame de Millas est une épreuve »

« Ce procès du drame de Millas est une épreuve »… Pour toutes les parties, le traumatisme reste présent

JUSTICELe malaise dont a été victime la conductrice du car scolaire impliqué dans un accident sur un passage à niveau à Millas à l’audience rappelle la difficulté psychologique derrière un tel procès
Mathilde Ceilles

Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • La conductrice du car scolaire qui est entré en collision avec un TER sur un passage à niveau à Millas en décembre 2017 a été hospitalisée.
  • Cette hospitalisation, qui a conduit à suspendre précipitamment les débats, illustre les difficultés de la tenue de ce procès douloureux.

Près de cinq ans qu’elle était attendue par les familles de victimes. Et quatre jours seulement après le début, les difficultés à tenir une telle audience sont saillantes. Cette semaine s’est ouvert devant le tribunal correctionnel de Marseille le douloureux procès du drame de Millas, survenu dans cette petite commune des Pyrénées-Orientales le 14 décembre 2017. Ce jour-là, six collégiens ont perdu la vie dans une collision entre un TER et un car scolaire conduit par Nadine Oliveira, seule prévenue dans ce dossier.



La première semaine de débats s’est brutalement interrompue après un malaise de la conductrice. D’abord prise d’une crise de larmes, Nadine Oliveira a depuis été hospitalisée pour une défaillance cardiaque, conduisant le tribunal à suspendre l’audience. « Ma cliente est en soins intensifs au service cardiologie de l’hôpital Nord, précise à 20 Minutes son avocat, Me Jean Codognès. Elle a le syndrome du cœur brisé, aussi appelé Tako-Tsubo. C’est un infarctus provoqué par une émotion trop forte »

« Un traumatisme »

Preuve s’il en est du caractère éreintant que relève un tel procès, pour toutes les parties. « Ma cliente aussi a vécu un traumatisme, affirme Me Codognès. Elle a une blessure morale : celle d’avoir conduit ce car. Cela fait quatre ans et demi que tous les psychologues lui disent qu’il faut oublier. Elle n’oublie pas. Ils ont recours à une espèce de camisole chimique mais ça n’évacue pas ses problématiques suicidaires. »

Le parquet de Marseille avait d’ailleurs anticipé le phénomène en mettant à disposition de la prévenue et des familles de victimes des chiens visant à libérer la parole, tandis que des membres de l’association Aide aux victimes d’actes délinquants siègent en permanence au sein du tribunal durant toute la durée de l’audience. Et la présidente du tribunal, Céline Ballérini, réputée aussi humaine que ferme, a reconnu mettre fin à ce qu’elle qualifie elle-même de « semaine éprouvante ».

« Une douleur d’être confrontés de nouveau à ce drame »

« Mes clients vivent cela ça avec beaucoup d’émotion, abonde Me Gérard Chemla, avocat de nombreuses parties civiles. Ils ont eu la sensation qu’une vanne chez la conductrice s’était ouverte. Et c’est rassurant pour eux de voir à quel point ce procès peut être ressenti aussi douloureusement que pour nous. Ce procès est une épreuve en lui-même. C’est assez paradoxal. Il y a à la fois un sentiment de libération car on avance vers la vérité, et donc une appropriation du drame. Et en même temps, il y a la douleur d’être confrontés de nouveau à ce drame. »

« Ce procès est difficile, c’était forcément prévisible, s’agace au contraire Me Vanessa Brandone, qui défend également des familles endeuillées. En tant qu’avocat, compte tenu des faits et de leur intensité, on se doutait qu’il y aurait beaucoup d’émotions de part et d’autre. Mais c’est encore plus difficile quand on voit l’attitude de la prévenue qui ne dit pas grand-chose. Dès qu’on la triture un peu, elle pleure et elle ne parle plus. » « Nous, les familles en souffrance, étions présentes lors de cette audition, peste dans un communiqué de presse Fabien Bourgeonnier, père d’une victime décédée et président de l’association A la mémoire de nos anges. Depuis bientôt cinq ans, nous nous taisons, pleurons en silence et nous nous sommes rendues à ce procès avec dignité, sans crise ou insultes, juste pour connaître la vérité. »

Et de s’inquiéter : « Va-t-on devoir être obligé, encore une fois, de subir tout ça et devoir assister à notre procès sans sa présence. Ne pouvant poser les questions importantes et recevoir les réponses auxquelles nous victimes avons droit… » Selon Me Codognès, si les jours de sa cliente ne sont pas en danger, sa présence lundi pour la seconde semaine du procès demeure incertaine à l’heure où ces lignes sont écrites.