« Uber Files » : Ces révélations peuvent-elles avoir des conséquences judiciaires pour Emmanuel Macron ?
LOBBYING•Depuis la publication de cette enquête, l’alliance de gauche à l’Assemblée nationale, la Nupes, réclame une commission d’enquête parlementaireH.S.
L'essentiel
- Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont le journal Le Monde est partenaire, a mis en lumière les liens étroits entretenus entre l’entreprise Uber et Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre de l’Economie, entre 2014 et 2016.
- Le quotidien du soir fait état de réunions dans le bureau du ministre et de nombreux échanges entre les équipes d’Uber France et Emmanuel Macron ou ses conseillers.
- Sans pouvoir qualifier pénalement ces agissements, plusieurs ONG engagées dans la lutte contre la corruption dénoncent l’opacité entretenue en France entre des groupes d’intérêts privés et les décideurs publics.
De « l’écume » ou un « scandale d’Etat » ? Quarante-huit heures après les révélations du Monde sur les liens privilégiés entretenus par Emmanuel Macron avec l’entreprise américaine de VTC Uber lorsqu’il était ministre de l’Economie, les réactions politiques ne tarissent pas.
Sans surprise, l’opposition y voit une « affaire grave », quand le gouvernement et les députés de la majorité présidentielle moquent une polémique « ridicule ». Mais qu’est-il reproché exactement au chef de l’Etat, et quelles conséquences judiciaires pourraient découler de ces révélations ?
Qu’ont révélé les « Uber files » à propos d’Emmanuel Macron ?
Le chef de l’Etat, ministre de l’Economie de 2014 à 2016, aurait selon les mots du Monde passé un « pacte » avec la société américaine Uber. Textos et comptes rendus de réunions à l’appui, le journal a mis en lumière l’existence d’une relation privilégiée entre l’entreprise de VTC et Emmanuel Macron. Certaines pratiques destinées à aider Uber à consolider ses positions en France, comme le fait de suggérer à l’entreprise de présenter des amendements « clefs en main » à des députés, ont été pointées du doigt. D’après le quotidien, « plus qu’un soutien, Emmanuel Macron a été quasiment un partenaire » pour Uber.
La société a confirmé la tenue de réunions mais assure que ces rencontres « relevaient de ses responsabilités en tant que ministre de l’Économie et du Numérique supervisant le secteur des VTC ». Visée à cette époque par des perquisitions d’agents de la DGCCRF (la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), alors sous la tutelle de Bercy, Uber aurait également tenté de faire jouer ses liens avec Emmanuel Macron pour échapper à ces procédures. Mais un SMS envoyé par le lobbyiste en chef de la société américaine, Mark MacGann, à Emmanuel Macron, restera notamment sans réponse. Quant à la DGCCRF, elle a assuré au Monde n’avoir subi aucune pression.
Ces faits peuvent-ils être qualifiés pénalement ?
Journalistes à l’origine de l’enquête comme ONG sont unanimes : rien, dans l’action d’Emmanuel Macron et qui ressort des « Uber Files », n’est illégal. « Sur le plan pénal, rien à ce stade ne constitue une infraction », nous assure Laurence Fabre, responsable du programme secteur privé et de l’éthique des affaires au sein de Transparency international France. « Qu’un décideur public, qui plus est ministre, rencontre des dirigeants de multinationales avant d’écrire la loi, c’est normal, voire nécessaire. Mais ce qui crée le soupçon, c’est l’opacité de ces échanges », complète l’ancienne avocate.
Une analyse partagée par Eric Alt, vice-président d’Anticor : « Ce qui figure dans l’enquête ne semble pas, à notre sens, pénalement répréhensible ». Pour autant, cette affaire pose de très nombreuses questions éthiques et politiques, insistent-ils. « Ces révélations illustrent le manque de traçabilité des échanges entre les membres du gouvernement, les législateurs et les représentants d’intérêts privés. On ne sait pas qui influence qui, alors qu’il suffirait par exemple de mettre en place une réelle publicité des agendas de ces décideurs publics », poursuit Eric Alt. Idem sur la construction de la loi : « Est-ce normal que des parlementaires ne soient pas tenus de l’indiquer lorsqu’ils reprennent – mot pour mot – un amendement rédigé par des lobbies ? », interroge pour sa part Laurence Fabre.
Que peut changer la création d’une commission d’enquête ?
Depuis la publication des révélations du Monde, une partie de l’opposition parlementaire réclame la création d’une commission d’enquête parlementaire. « C’est très grave, l’idée que M. Macron a, dans ce pacte secret avec une entreprise, dérégulé la réglementation en matière de taxis », a accusé le député LFI Alexis Corbière. Les députés de la Nupes ont indiqué qu’ils souhaitaient déposer une proposition de résolution pour la création d’une telle commission à l’Assemblée nationale « sur les révélations des Uber Files et du rôle d’Emmanuel Macron dans l’implantation d’Uber en France ».
Si une telle commission d’enquête était amenée à voir le jour, elle pourrait auditionner sous serment et convoquer divers acteurs – privés comme publics – cités dans les différents articles publiés par le Consortium. Un faux témoignage devant une commission d’enquête parlementaire peut être puni jusqu’à cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende. Mais Emmanuel Macron ne pourrait pas être convoqué par les élus membres de cette commission, au titre de la séparation des pouvoirs. Enfin, si des faits de nature délictuels étaient portés à la connaissance des parlementaires dans le cadre de cette commission, ils pourraient être transmis à l’autorité judiciaire. Elle seule pourrait alors décider d’enquêter ou non. Et si elle était amenée à viser Emmanuel Macron, ce dernier bénéficie de l’immunité présidentielle jusqu’à la fin de son mandat.