SURPOPULATION CARCERALEPourquoi le principe de la régulation carcérale en prison ne prend pas

Justice : Pourquoi le principe de la régulation carcérale ne prend pas dans les prisons

SURPOPULATION CARCERALEDans son rapport annuel, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, a plaidé pour « l’inscription dans la loi de la régulation carcérale » pour lutter contre la surpopulation dans les prisons
Manon Aublanc

Manon Aublanc

L'essentiel

  • Dans son rapport annuel d’activité 2021, Dominique Simonnot pointe encore les conditions de détention et la surpopulation dans les prisons.
  • La contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) préconise d’inscrire dans la loi le principe de régulation carcérale : dans les prisons où la surpopulation atteint 100 %, un détenu sortirait à chaque fois qu’un nouveau détenu arriverait.
  • Pour les détenus sortants, il s’agirait d’aménagement de peine – pour les peines les plus courtes – ou de réduction de peine – pour ceux arrivant au terme de leur incarcération.

Une entrée pour une sortie, c’est le principe de la régulation carcérale prônée par Dominique Simonnot, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), pour lutter contre la surpopulation dans les prisons. Dans son rapport annuel, publié ce jeudi, l’ancienne journaliste préconise l’inscription de ce principe dans la loi, chaque entrée en cellule devant être « compensée par la sortie d’un autre le plus proche de sa fin de peine ».

Une idée qui ressemble à un serpent de mer. Sa prédécesseur, Adeline Hazan, s’était déjà penchée sur le dossier et plusieurs députés ont déposé des amendements en ce sens ces dernières années. En vain. Mais pourquoi ce dispositif n’a-t-il jamais été mis en place dans les prisons ?

Le principe de régulation carcérale, qu’est-ce que c’est ?

Avec 117 % de taux d’occupation moyen – voire 138,9 % dans certains établissements où sont incarcérés les détenus en attente de jugement et ceux condamnés à de courtes peines -, les prisons françaises sont largement saturées. Pour desserrer « l’étau de la surpopulation » carcérale, Dominique Simonnot a fait du principe de régulation carcérale un sujet symbolique et milite pour qu’il soit inscrit dans la loi. Dans les faits, ça signifierait que pour chaque nouveau prisonnier qui entre en prison, un autre doit être libéré, dès que la prison frôle les 100 % d’occupation. Mais pas sous n’importe quelles conditions. « On ne parle pas de sortie sèche de violeurs, de violents conjugaux ou encore condamnés pour terrorisme, ce sont soit des libérations anticipées – des prisonniers en fin de peine –, soit des aménagements pour de peines pour les petites condamnations », explique la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui ajoute : « Ce ne sont pas des années de prison enlevées, ce sont des semaines ».

Le dispositif, qui a été testé pendant la crise du coronavirus, a même déjà porté ses fruits. Entre 6.000 et 7.000 prisonniers ont été libérés pendant le confinement, notamment en raison du fort ralentissement de l’activité judiciaire et la baisse de la délinquance. Résultat, le nombre de prisonniers français est passé de 72.000 à moins de 60.000 pendant la crise sanitaire. « Ça n’a pas donné lieu à une énorme de vague de délinquance ou de récidive derrière », justifie Dominique Simonnot, avant d’ajouter : « Ceux qui sont sortis sous le contrôle du juge d’application des peines étaient accompagnés par les services pénitentiaires d’insertion et de probation ».

Mais avec la reprise de l’activité judiciaire, la levée des confinements et sans la poursuite de ce dispositif de régulation carcérale, le nombre de détenus est reparti à la hausse en 2021 avec plus de 71.000 personnes emprisonnées. « Ça n’a pas duré. L’occasion de maintenir un peuplement des maisons d’arrêt acceptable a été manquée », regrette l’ancienne journaliste.

Pourquoi ce dispositif n’a-t-il jamais été mis en place ?

En 2018, lors de l’examen de la loi de programmation 2019-2022 et de réforme de la justice, les Insoumis avaient bien proposé un amendement pour inscrire dans la loi le principe de régulation carcérale, mais celui-ci a été rejeté. Si une majorité de députés étaient favorables à son instauration, pour Ugo Bernadicis, député LFI de la 2e circonscription du Nord, « le gouvernement a eu peur qu’on lui dise qu’il est laxiste, qu’il laisse des gens sortir de prison sans avoir terminé leur peine ».

Et pour cause, selon l’élu, le gouvernement a défendu jusqu’ici « un discours très droitier », d’exécution des peines, « il ne pouvait pas se contredire en votant cette loi », explique-t-il, tout en rappelant que le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a supprimé les réductions automatiques des peines. « Ce mécanisme, on sait comment il fonctionne, on sait le faire », poursuit-il, affirmant que les députes insoumis continueront de déposer des amendements « à chaque fois qu’il y aura des textes en ce sens ».

Qu’est-ce qui coince ?

Pourtant la même année, lors d’un déplacement à l’École nationale de l’administration pénitentiaire à Agen,​ Emmanuel Macron s’était dit favorable à l’expérimentation du dispositif de régulation carcérale, estimant qu’il favorise « le partenariat entre acteurs de l’exécution des peines et permet d’allouer plus efficacement les places disponibles, ce qui évite les conditions indignes d’hébergement ». Un test a bien été réalisé à la prison de Varces, près de Grenoble, mais uniquement à partir de 130 % de taux d’occupation, « c’est déjà trop », estime Prune Missoffe, chargée de plaidoyer à l’Observatoire International des Prisons – Section française (OIT). « Il faut absolument que ce mécanisme interdise plus de 100 % de taux d’occupation », ajoute-t-elle.

Pour Prune Missoffe, la régulation carcérale n’a d’efficacité que si le dispositif est contraignant : « Il faut que ce soit une obligation dès lors qu’une prison atteint 100 % d’occupation ». Elle plaide également pour que le mécanisme de calcul du nombre de places en prisons soit revu : « Ça doit être fait en fonction du nombre de mètres carrés, mais aussi avec d’autres critères comme l’offre de soins, d’accompagnement, de travail et l’encadrement ». Pour espérer inscrire dans la loi le principe de régulation carcérale, Dominique Simonnot appelle le gouvernement à faire preuve de volontarisme : « Vous croyez que Badinter et Mitterand ont attendu que l’opinion publique abolisse la peine de mort ? A l’époque, 77 % des Français étaient pour. Gouverner c’est avoir du courage ».

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