Toulouse : Six mois avec sursis requis contre l’imam d’Empalot, jugé en appel pour son prêche polémique
PROCES•Relaxé en première instance en septembre 2021, l’imam d’Empalot, Mohamed Tataiat, était à nouveau jugé ce lundi en appel pour « provocation à la haine raciale » après un prêche jugé antisémiteBéatrice Colin
L'essentiel
- En décembre 2017, l’imam de la mosquée d’Empalot, à Toulouse, prononçait un prêche controversé, reprenant un hadith jugé antisémite.
- Jugé pour provocation et incitation à la haine raciale, Mohamed Tataiat avait été relaxé en première instance.
- Son procès en appel a eu lieu ce jeudi et le procureur général de la cour d’appel a requis six mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende à l’encontre de l’imam.
À la cour d’appel de Toulouse
A la fin de l’année 2017, à la mosquée d’Empalot, à Toulouse, un imam prononçait un prêche devant près de 3.000 fidèles. Pour parler du conflit israélo-palestinien, Mohamed Tataiat avait alors utilisé un vieux hadith, un texte dans lequel il est dit : « Il y a un juif derrière moi, viens et tue-le ». Diffusé sur les réseaux sociaux, ce discours religieux avait suscité de vives réactions. Jugé l’an dernier, il avait été relaxé par le tribunal judiciaire, ce dernier estimant qu’il n’y avait pas une volonté de provocation, ni une pensée discriminante chez l’imam.
C’est ce qu’ont tenté de démontrer à nouveau ses défenseurs à la barre ce lundi, devant la cour d’appel où il était à nouveau jugé. Un des fidèles de sa mosquée a souligné que Mohamed Tataiat était « un homme de dialogue, éloigné de tout soupçon d’antisémitisme ou de radicalisme ». Il a même tenu à rappeler qu’il prêchait « un islam modéré jusqu’à l’excès, ce qui lui a valu d’être la bête noire des salafistes de Toulouse ».
L’imam Tataiat a rappelé qu’il s’était excusé, « étant désolé de l’interprétation faite par les gens ». Car pour lui ce hadith est utilisé comme une prophétie, une sorte de mise en garde qui ne doit pas arriver.
« Nulle part dans ce texte il y a une mise en garde, c’est un choix qu’il a fait. Ce hadith n’est nullement l’objet du prêche, mais est utilisé pour une argumentation d’une position politique », plaide Michaël Bendavid, l’avocat de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). A l’époque du prêche, les tensions entre Palestiniens et Israéliens étaient à leur paroxysme après l’annonce du président américain Donald Trump de son intention de déménager l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem.
« Nous, on n’a pas besoin de ramener ce conflit israélo-palestinien ici, à Toulouse. On n’est pas Al-Jazeera. Ce discours ramène la haine et la division. C’est un discours victimaire dangereux, c’est le terrain des terroristes. Ce n’est pas que le hadith le problème, c’est tout le discours qui suit. Ce discours ramène la haine et la division », a dénoncé à la barre Hassen Chalghoumi, imam à Drancy et connu pour ses positions pour le dialogue interreligieux.
« Il n’y a pas d’immunité pour un prêche »
Au-delà de l’interprétation, les avocats ont aussi voulu rappeler que la religion n’était pas au-dessus de la justice. « La justice ne reconnaît aucun domaine sacré. Aucune parole n’est intouchable, la séparation entre l’Eglise et l’Etat ne veut pas dire que la justice n’a pas à se prononcer sur des propos tenus dans une église, une mosquée. Il n’y a pas d’immunité pour un prêche », a poursuivi Michaël Bendavid.
En première instance, le jugement du tribunal avait pu être interprété comme une volonté de ne pas censurer un texte sacré, une volonté de respecter la liberté d’expression. « Ce n’est pas ce qui vous est demandé, ce hadith n’a pas une valeur supérieure ou inférieure à d’autres textes. Ce n’est pas le sujet. Son interprétation non plus. Vous êtes saisis de l’utilisation qui est faite de ce hadith et des propos qui l’accompagnent », a insisté de son côté Me Ivan Terel, représentant de SOS Racisme. « Le but que s’est assigné le législateur, ce n’est pas interdire de penser et dire ce que vous pensez, mais c’est interdire de provoquer », a appuyé de son côté Simon Cohen, l’avocat du Conseil représentatif des institutions juives.
Comme en première instance, le représentant du ministère public a requis six mois de prison avec sursis à l’encontre de Mohamed Tataiat et 10.000 euros d’amendes. « Le sens et la porte du propos sont sans équivoque : tuer les juifs. La responsabilité de l’Etat est de prévenir l’incitation à la haine, à la provocation, au meurtre. Tout le monde mesure la voie de contournement de la voie pénale, tout le monde mesure l’autoroute de la haine que l’on construit avec cette relaxe », a expliqué Franck Rastoul, le procureur général de la cour d’appel, dénonçant au passage la décision de relaxe du tribunal correctionnel.
« Amputer tous les textes saints » ?
Une décision attendue et qui pourrait faire jurisprudence sur l’utilisation des textes religieux dans des lieux confessionnels. Et c’est bien sur ce point que les avocats de Mohamed Tataiat ont insisté.
« Est-ce que, aujourd’hui, une juridiction peut être autorisée à définir ce qui doit être lu et ce qui ne doit pas l’être ? C’est non, a plaidé Me Jean Iglésis en défense. D’autant que le législateur s’est penché sur le sujet en imaginant l’interdiction de certains textes. Ça n’a jamais été soumis car le principe de la laïcité se posait. La loi n’interdit pas la lecture d’un texte qui fait partie du corpus d’une religion. Si, demain, vous jugez que M. Tataiat n’en avait pas le droit, vous vous instaurerez en juge de la police des religions. Il va falloir amputer tous les textes saints de tout ce que ces textes évoquent d’incitation à la haine. Aujourd’hui, c’est un hadith, demain ce sera autre chose. »
Le jugement a été mis en délibéré au 31 août.