20 MINUTES AVEC« Tous les crimes ont quelque chose à nous dire », selon Jacques Pradel

« Il y a quelque chose d’universel dans les faits divers », assure Jacques Pradel

20 MINUTES AVECA l’occasion de la sortie son dernier livre, « Mes archives criminelles, ces affaires que je n’oublierai jamais », le chroniqueur Jacques Pradel revient pour « 20 Minutes », sur les ressorts de notre fascination pour certains crimes
Caroline Politi

Propos recueillis par Caroline Politi

L'essentiel

  • Tous les vendredis, « 20 Minutes » propose à une personnalité de commenter un phénomène de société dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… »
  • Dans son dernier livre, à paraître lundi, le célèbre chroniqueur Jacques Pradel se replonge dans ses archives criminelles et pose la question du ressort du passage à l’acte.
  • A ses yeux, notre fascination pour ces crimes s’explique notamment par l’aspect mystérieux de ces crimes, le scénario, mais également la personnalité de l’auteur ou de la victime.

Quel est le point commun entre John Lennon, le pape Jean-Paul II et la Joconde ? Tous ont été au centre d’une affaire criminelle. Dans son dernier ouvrage, Mes Archives criminelles, « ces affaires que n’oublierai jamais…*, à paraître lundi, le chroniqueur de radio et de télévision Jacques Pradel plonge ses lecteurs au cœur d’une trentaine de faits divers, certains célèbres, d’autres méconnus. Ils se passent dans le Paris du Moyen-Âge, le ciel canadien ou la campagne française. Pourtant, toutes ces histoires posent la même question : qu’est-ce qui sous-tend le passage à l’acte ? Et pourquoi sommes nous fascinés par certains crimes ?

Dans votre dernier ouvrage, vous nous plongez au cœur de vos archives criminelles. Comment vous êtes-vous passionné pour cette matière ?

Un peu par hasard, à vrai dire. Ça remonte à l’époque de Perdu de vue, au milieu des années 1990. C’était une émission familiale dont l’objectif était de retrouver des gens qui avaient disparu de manière plus ou moins mystérieuse. Nous avons eu l’idée d’adapter cette émission aux enquêtes en panne. C’est comme ça qu’est né Témoin N°1. L’idée était de prendre des dossiers en souffrance pour tenter de trouver des éléments nouveaux qui permettraient de relancer les investigations.

Quelle affaire, au cours de votre carrière, vous a le plus marqué ?

Difficile de n’en choisir qu’une, mais je me souviens très bien de la première que nous avons traitée dans Témoin n°1 : la petite martyre de l’autoroute A10 [une fillette retrouvée morte, emmaillotée dans une couverture sur le bord de la route et dont l’identité est longtemps restée inconnue.] L’enquête venait d’être classée sans suite. Ce dossier m’a fait plonger dans une réalité terrible, cette petite fille avait été massacrée. J’avais fait venir en plateau deux enquêteurs, parmi les premiers intervenants. Comme souvent, les gendarmes et les policiers mettent un point d’honneur à ne pas laisser transparaître leurs émotions, mais au démaquillage en discutant avec eux, je leur ai demandé si cela n’avait pas été trop dur pour eux. Ils ne m’ont pas répondu, mais l’un d’eux a ouvert son portefeuille et l’a déposé devant moi : d’un côté, il y avait la photo de sa femme et de ses enfants, de l’autre côté, celle de la petite martyre. L’appel à témoins n’a pas fonctionné, mais la justice a finalement décidé de rouvrir l’enquête, puis toute la chaîne judiciaire a fait en sorte de ne jamais la fermer pour que la période de prescription soit repoussée. Heureusement, car trente ans plus tard, le mystère a été résolu : elle a été identifiée et ses parents mis en examen.

Qu’est-ce qui, selon vous, fascine tant dans les faits divers ?

C’est un tout : l’énormité du scénario, son côté extraordinaire, la personnalité soit de l’assassin soit de la victime et puis la part de mystère, le côté polar. Il y a forcément un côté un peu voyeur, c’est comme lorsqu’il y a un accident sur l’autoroute, il y a presque systématiquement un embouteillage sur la file d’en face, les gens ralentissent pour voir ce qu’il se passe. Au-delà de ça, il y a quelque chose d’universel dans les faits divers. Tous les crimes ont quelque chose à nous dire. Hormis quelques criminels professionnels, ceux qui vont au braquage comme à l’usine, beaucoup sont des gens lambda. Moi ce qui me fascine, c’est le mystère du passage à l’acte. Comment monsieur et madame Tout-le-monde basculent dans le crime ? On se dit à chaque fois : qu’est-ce que j’aurais fait, dans ce cas-là ?

Pourquoi certains crimes vont être élevés au rang de faits divers alors que d’autres, au scénario parfois similaire, restent dans l’oubli ?

Parfois, il y a juste une question de timing : au même moment, il se passe une affaire qui concentre l’attention des médias. Dans mon livre, je raconte l’histoire de la femme sans tête de Miomo, une vacancière qui a disparu avec son fils en Corse en 1979 et dont on a retrouvé le corps démembré neuf ans plus tard. Mais à part les médias corses et moi-même, personne ne s’en est fait l’écho car au même moment, la fille de la comédienne Bernadette Lafont était portée disparue. De manière plus générale, certaines affaires s’imposent parce qu’elles ont une dimension universelle, presque légendaire. Prenez la petite Maëlys, par exemple, une fillette qui disparaît à un mariage, un évènement heureux, cela paraît injuste à tout le monde. Encore plus, lorsqu’on se rend compte que le suspect n°1 est impliqué dans un autre décès suspect [Nordahl Lelandais a été condamné pour le meurtre de caporal Noyer, commis quelques mois avant celui de la fillette].

A cet égard, les affaires Xavier Dupont de Ligonnès ou Grégory sont emblématiques. Il y a presque une forme de fascination : le numéro du magazine Society sur le premier a enregistré des records de ventes et la série Netflix sur l’affaire Grégory a connu un gros succès…

L’affaire Grégory fait partie de la mémoire collective, tout le monde ou presque a vu la photo de l’enquêteur traversant la rivière avec, dans ses bras, le corps de ce petit garçon ligoté. C’est insupportable, on s’identifie aux parents, à leur peine. Et plus encore quand on apprend qu’il s’agit sans doute d’un complot familial, même si toutes preuves n’ont pas été trouvées. Il y a ce côté mystère, culture du secret, qui fascine même s’ il ne faut pas oublier que l’affaire se déroule en 1984. Aujourd’hui avec les progrès de la science, toute la lumière aurait probablement été faite. Dans l’affaire Dupont de Ligonnès, ce sont les mêmes ressorts qui prédominent : dix ans après on ne sait toujours pas ce qu’il est devenu. Et puis, c’est digne d’un feuilleton : il y a cet argent qu’il emprunte à sa maîtresse, les lettres qu’il envoie à sa famille pour dire qu’ils sont partis en voyage, cette tuerie méthodique et son machiavélisme, le fait qu’il invite, par exemple, son dernier fils au restaurant avant de le tuer.

Selon vous, le crime parfait existe-t-il ?

Par définition, les crimes parfaits sont ceux qu’on ne connaît pas. Si vous interrogez quelques médecins de campagne ou des enquêteurs chevronnés, ils vous confieront avoir eu des doutes sur certaines morts par « suicide » mais aucune enquête n’a jamais été ouverte.

Ne diriez-vous pas que l’affaire Chevaline est un crime parfait ? Presque dix ans après ce quadruple assassinat sur les hauteurs du lac d’Annecy, aucune piste n’émerge…

C’est vrai que l’affaire Chevaline, c’est le mystère avec « M » majuscule. On ne sait toujours pas qui étaient réellement les personnes visées, cette famille britannique ou le cycliste, et d’ailleurs s’il y avait réellement des personnes visées ou s’il s’agit de l’œuvre d’un malade mental car l’arme n’est pas celle d’un tueur à gage. Je dirais que c’est un crime presque parfait puisqu’on le connaît, on sait qu’il y a bel et bien eu crime.

Un parquet spécialisé dans les cold cases vient d’être inauguré. Pensez-vous qu’entre cela et les progrès scientifiques, les affaires non résolues vont progressivement être amenées à disparaître ?

Non, parce que dans tous les cas, il faut un fil à tirer pour enquêter : un ADN, un témoignage. Le pire, c’est le crime sans cadavre, car il n’y a que des suppositions. Prenez l’affaire Jubillar, par exemple. Il y a un faisceau d’indices, un mari sur qui pèse un certain nombre de charges. Mais cela sera-t-il suffisant ? Mais il ne faut pas oublier qu’il y a le temps des médias, toujours pressés, de l’opinion, qui veut savoir et celui de l’enquête et de la justice qui n’est pas le même. Des affaires, parfois résolues des mois ou des années après, illustrent ce décalage : les enquêteurs n’ont pas lâché l’affaire, mais nous, sommes passés à autre chose.

L’an dernier, Emmanuel Macron a lancé les états généraux de la justice. Y a-t-il un débat à engager en priorité, selon vous ?

Probablement, celui de la prescription. Actuellement, les seuls crimes imprescriptibles sont les crimes contre l’humanité. Pour les meurtres, par exemple, c’est vingt ans. Aujourd’hui, lorsque certains cold cases sont jugés, c’est parce que la justice a bricolé pour ne pas fermer le dossier. La question qu’il faut qu’on se pose c’est de savoir si ces délais sont en adéquation avec les progrès de la police scientifique : est-ce qu’on fait confiance à la durée ou à la mémoire pour résoudre un crime ? Mais le débat n’est pas simple : la prescription a été voulue par le législateur pour la paix sociale, on estime qu’au-delà d’une certaine période, il faut tourner la page pour le bien de la société mais comment voulez-vous qu’une famille se résolve à dire, d’accord on passe à autre chose, lorsqu’elle a perdu un être cher ? En tout cas, à l’heure où on parle de réconcilier les citoyens et la justice, je trouve ça important d’en débattre.

* Jacques Pradel, Mes Archives Criminelles, «Ces affaires que je n'oublierai jamais...», Editions du Rocher, 18,90 euros. Sortie le 2 mai.