COMPTE-RENDUPrison avec sursis requise après le cyberharcèlement de Nicolas Hénin

Haine en ligne : Face au « déferlement de violence » visant l’ex-journaliste Nicolas Hénin, les « excuses » et « regrets » des internautes poursuivis

COMPTE-RENDUCinq personnes ont été jugées ce mercredi à Paris pour menaces de mort et harcèlement en meute à l’encontre de l’ancien journaliste et ex-otage de Daesh, Nicolas Hénin
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • En février 2019, Nicolas Hénin, ancien reporter de guerre et otage de Daesh en Syrie pendant dix mois, a été la cible d’un cyberharcèlement violent sur le réseau social Twitter.
  • Après avoir reçu près de 20.000 messages d’insulte et de menaces de mort en moins de trois jours, l’ex-journaliste avait déposé une plainte contre X.
  • Ce mercredi, cinq personnes étaient jugées pour avoir participé à ce cyberharcèlement en meute mais seuls deux prévenus étaient présents à l’audience.

Au tribunal judiciaire de Paris,

À chaque fois, c’est le même vertige. D’un côté, il y a les mots, haineux et violents, postés sous pseudos sur les réseaux sociaux pour « faire mal » et « blesser ». Et, de l’autre, ces silhouettes mal à l’aise, à la voix hésitante lorsqu’elles s’avancent à la barre, une fois démasquées. L’audience qui s’est tenue ce mercredi devant la 24e chambre du tribunal judiciaire de Paris a, une fois de plus, fait tanguer cette distinction entretenue à tort par des nombreux internautes entre le « réel » et le « virtuel ».

Pour les cinq prévenus renvoyés devant le tribunal pour des menaces de mort et leur participation à un raid numérique à l’encontre de l’ancien journaliste Nicolas Hénin, le réel est venu se fracasser à leur porte à l’automne après une convocation des forces de l’ordre. Trois ans auparavant, en février 2019, ces trois hommes et deux femmes âgés de 21 à 56 ans avaient adressé à Nicolas Hénin des messages haineux sur le réseau social Twitter. Au total, cet ex-reporter de guerre, retenu pendant des mois par Daesh en Syrie, avait reçu près de 20.000 messages d’insultes.

Un « déferlement de violence »

Présent à l’audience ce mercredi, Nicolas Hénin a décrit la genèse de ce « déferlement de violence ». Inscrit sur Twitter depuis 2011, l’homme a gagné en visibilité sur le réseau à son retour de Raqqa, après dix mois de captivité. « Mais il n’était plus question de faire du reportage de guerre. J’avais déjà trop fait souffrir ma famille », a-t-il confié à la barre. L’ancien journaliste décide alors de mettre à profit son expertise sur le terrorisme, participe à des programmes de « désengagement » auprès de détenus radicalisés et publie plusieurs essais sur le sujet.

En parallèle, il mène sur les réseaux sociaux et, en particulier, sur Twitter, « une chasse aux contenus djihadistes ». Le 31 janvier 2019 pourtant, c’est un message posté par le père d’une victime de l’attentat du Bataclan, Patrick Jardin, qui retient son attention. Très actif sur ce réseau, l’homme endeuillé appelait à fusiller les 130 djihadistes français retenus en Syrie après la chute de l’Etat islamique. Réagissant aux propos de la ministre de la Justice d’alors qui précisait que 75 % de ces ressortissants étaient des « enfants de moins de 7 ans », Patrick Jardin avait publié le message suivant : « Alors tuons aussi leurs enfants, d’ailleurs on devrait commencer par là. »

Des excuses et des « mots très mal choisis »

Choqué par ce « torrent de haine », le journaliste Nicolas Hénin a appelé les internautes à signaler ce tweet. Une consigne visiblement entendue par ses abonnés puisque le compte de Patrick Jardin a été suspendu dans la foulée par Twitter. Plusieurs personnalités d’extrême droite très influentes sur le réseau comme Damien Rieu, Jean Messiha ou Gilbert Collard vont s’en émouvoir. Dans le sillage de ces réactions, une vague de harcèlement va alors subrmerger Nicolas Hénin : « J’ai vu passer des photos de mes enfants, des informations personnelles me concernant ont été publiées, j’ai été pris d’une peur physique. Mon sommeil a été très perturbé et j’ai eu des moments d’angoisse. » Prudent, l’ancien reporter archive les dizaines de milliers de messages haineux qui le visent et dépose plainte contre X quelques jours plus tard.

Parmi les tweets transmis à la justice, on trouve celui posté par le compte@Le_Chretien : « Putain mais quel fils de pute. C’est lui qui mérite l’exécution. » Derrière le pseudo, les enquêteurs parviennent à identifier Mattis C. Il est le plus jeune des prévenus et le seul - avec la doyenne, Nathalie T. - à s’être déplacé à l’audience ce mercredi. Chemise bleu nuit et lunettes sur le nez, cet étudiant dans une prestigieuse école de commerce a tenu à s’adresser directement à Nicolas Hénin dès le début de son audition : « Je suis content qu’il soit là pour lui présenter mes excuses. »

À l’époque, Mattis C. avait 18 ans et subissait « la pression » de la « prépa » : « Mais je dis pas ça pour me justifier ! Juste pour expliquer », recadre-t-il. « J’étais dans la spontanéité, dans la colère (…) Je pensais pas qu’il allait lire mon tweet », a expliqué le jeune homme tout en reconnaissant des « mots très mal choisis » et regrettant son « manque de maturité ». Sans avoir jamais nié être l’auteur de ce message, Mattis C. a maintenu qu’il ne réalisait pas que son post s’inscrivait dans un harcèlement de groupe.

Deux à trois mois de prison avec sursis requis

Recroquevillée sur son strapontin, les mains jointes dans le dos, Nathalie T., elle, a peiné à formuler ses excuses. Son message, pourtant, a particulièrement marqué Nicolas Hénin. Sous pseudonyme, cette salariée de 56 ans avait publié cette tirade : « Je souhaite que la prochaine victime de terroristes soit votre gosse (…) je souhaite qu’avant de mourir il sache que son délateur de père aura de la compassion pour ses assassins. » Abonnée au compte de Patrick Jardin, elle a expliqué avoir été « blessée » par les propos de Nicolas Hénin à l’égard de ce père touché par les attentats terroristes. « J’ai eu le sentiment qu’il n’avait pas compris sa douleur », a-t-elle avancé à la barre.

« Pourquoi ne pas le lui avoir dit comme ça, dans ce cas-là ? », a tancé le président. « J’ai pas réfléchi (…) je regrette la forme, je pense qu’aujourd’hui je le dirais autrement, de façon moins violente », a-t-elle balbutié. Un discours qui n’a pas convaincu la procureure : « Vous regrettez la forme mais pas tant le fond et il faut vous tendre une perche pour entendre des excuses ! » Appelant le tribunal à condamner l’ensemble des prévenus pour les faits de harcèlement en meute, la magistrate a requis deux à trois mois de prison avec sursis à leur encontre.

Dans sa plaidoirie, l’avocat de Nicolas Hénin, Me Eric Morain, a, lui, appelé le tribunal à prononcer un « jugement de responsabilité ». Qualifiant le cyberharcèlement « d’infraction des lâches », le pénaliste a rappelé que son client avait écopé de dix jours d’ITT (incapacité temporaire de travail) à l’issue de ce raid numérique. La décision sera rendue le 15 juin.