Affaire Epstein : Le suicide de Jean-Luc Brunel, fin du volet français de l'enquête ?
ENQUETE•L’ancien agent de mannequins, qui s’est pendu dans sa cellule de la prison de la santé, devait être confronté, à sa demande, le 11 mars prochain à deux femmes qui l’accusaient de viol et de harcèlement sexuelThibaut Chevillard (avec Philippe Berry)
L'essentiel
- Jean-Luc Brunel, qui a été retrouvé pendu dans sa cellule de la prison de la Santé à Paris, devait être confronté, à sa demande, le 11 mars prochain à deux de ses accusatrices.
- Mis en examen pour le viol de deux femmes et pour harcèlement sexuel sur une ancienne baby-sitter, l’ancien agent de mannequins – qui clamait son innocence – avait tenté à deux reprises de mettre fin à ses jours au cours de son incarcération.
- Si certaines sources proches de l’enquête voient dans son suicide un « aveu », ses avocats estiment au contraire qu’il s’agit du geste d’un homme qui « avait le sentiment d’être présumé coupable ».
La mort de Jean-Luc Brunel marque sans doute la fin des investigations en France concernant « l'affaire Epstein ». Pour les enquêteurs, qui ont travaillé sur ce dossier depuis plusieurs mois, c’est une « déception ». Les policiers de l’Office central de répression des violences à la personne (OCRVP) n’ont pas ménagé leurs efforts et ont réalisé plus d’un demi-millier d’auditions pour tenter de retrouver d’autres femmes qui auraient été victimes de l’ancien agent de mannequins français. Lorsqu’il s’est pendu dans sa cellule de la prison de la Santé, le week-end dernier à Paris, ce proche du milliardaire américain Jeffrey Epstein était mis en examen pour le viol de deux femmes lorsqu’elles étaient mineures, et pour harcèlement sexuel sur une ancienne baby-sitter.
Accusé d’avoir joué le rabatteur pour Jeffrey Epstein, Brunel était en outre placé sous le statut intermédiaire de témoin assisté pour les faits de « traite des êtres humains aggravée au préjudice de victimes mineures aux fins d’exploitation sexuelle ».
Mais les policiers soupçonnaient surtout Brunel d’avoir abusé, dans les années 1980, de nombreuses jeunes femmes de milieux modestes à qui il faisait miroiter une carrière dans le mannequinat. Problème : les faits dénoncés étaient souvent prescrits. « On aurait préféré qu’il soit jugé pour l’ensemble de son œuvre, c’est une évidence », confie, amère, une source proche du dossier qui voit dans son geste une forme d'« aveu ».
Deux précédentes tentatives de suicide
Depuis le début de l’affaire, Jean-Luc Brunel, 75 ans, clamait son innocence. Arrêté en décembre 2020 à l’aéroport Charles-de-Gaulle à Paris, alors qu’il s’apprêtait à prendre un avion pour le Sénégal, il avait été placé en détention provisoire. Le 19 février, à 1h50 du matin, les gardiens l’ont retrouvé pendu dans la cellule où il se trouvait seul. Malgré l’intervention des secours, il est déclaré mort à 2h05. Selon nos informations, au cours des 14 mois de sa détention, Jean-Luc Brunel avait fait deux tentatives de suicides. « Nous avons souligné à de très nombreuses reprises qu’il était dans un état de santé très dégradé. Un expert psychiatre avait indiqué qu’il y avait un risque de fragilité psychologique particulier en cas de maintien prolongé en détention », indiquent à 20 Minutes ses avocats, Mathias Chichportich, Marianne Abgrall et Christophe Ingrain.
Détenu avec d’autres VIP au quartier QB4 (quartier bas numéro 4), Jean-Luc Brunel faisait l’objet d’une surveillance particulière par le personnel pénitentiaire. « Dans le cas où un détenu a déjà eu des crises suicidaires, il peut être décidé, avec le médical, de mettre en place une surveillance spéciale », explique Erwan Saoudi, délégué du syndicat FO pénitentiaire pour l’Ile-de-France. « La nuit, on va aller plus régulièrement faire un contrôle à l’œilleton pour s’assurer que la personne va bien. Un détenu lambda, on va faire trois contrôles visuels au cours de la nuit. Là, on va quasiment doubler le nombre de contrôles. Mais on ne peut pas non plus y aller toutes les heures, car c’est aussi oppressant pour la personne détenue. Il faut trouver le juste équilibre. »
« Présumé coupable »
Une enquête, confiée au 3e district de police judiciaire, a été ouverte par le parquet de Paris pour faire toute la lumière sur les causes de sa mort. Les enquêteurs peuvent notamment s’appuyer sur les images des caméras de surveillance installées dans la coursive afin de s’assurer que ces contrôles ont bien été réalisés. Les résultats de l’autopsie, qui a été réalisée lundi, ne sont pas encore connus, même s’il ne fait presque aucun doute que Jean-Luc Brunel a mis fin à ses jours seul. Selon ses avocats, l’homme « avait le sentiment d’être présumé coupable et que la sentence médiatico-judiciaire était déjà tombée ». « Plus rien ne justifiait la prison, selon le juge des libertés et de la détention. Un contrôle judiciaire aurait été la simple et stricte application de la loi dans un cas comme celui-là », ajoutent-ils.
A sa demande, Jean-Luc Brunel devait être confronté le 11 mars à deux de ses accusatrices : une ancienne baby-sitter et une mannequin étrangère. « Je ne pensais pas que mes clientes allaient consentir à la confrontation car je sais que psychologiquement, c’était assez complexe. On avait commencé à travailler dessus et elles avaient envie d’aller au bout de la démarche, de passer le cap et d’être dans la même pièce que lui. Ce n’est pas évident », nous confie leur avocate, Me Anne-Claire Lejeune.
« C’est vraiment dommage »
La mort de Jean-Luc Brunel signifie l’extinction de l’action publique, au moins dans le volet concernant les accusations de viols. Il pourrait en être de même pour la partie de l'affaire concernant des faits de « traite des êtres humains », sauf si d'autres personnes devaient être mises en cause. Ce qui, pour l'heure, n'est pas le cas.
Pour les plaignantes, c’est un sentiment de frustration qui domine : Brunel n’aura jamais l’occasion de s’expliquer devant un tribunal. « Il a quand même été mis en examen et placé en détention provisoire. Mes clientes ont conscience que leur parole a quand même été prise en considération », estime néanmoins Anne-Claire Lejeune. Avant de conclure : « Il y avait une volonté qui dépassait leur intérêt propre. Elles le faisaient pour celles qui dénonçaient des faits prescrits. Il y avait quelque chose d’assez fort dans leur démarche. C’est vraiment dommage. »