Attentats du 13-Novembre : « On n’est pas sorti du ventre de nos mères avec des kalachnikovs en mains », lance Mohamed Abrini
COMPTE-RENDU•Salah Abdeslam et son ami d’enfance Mohamed Abrini, lui aussi accusé au procès des attentats du 13-Novembre, ont répondu ce mardi aux questions de la cour d’assisesHélène Sergent
L'essentiel
- Le procès des attentats du 13-Novembre s’est ouvert le 8 septembre devant la cour d’assises spécialement composée. Vingt hommes comparaissent, parmi lesquels six sont jugés en leur absence.
- Après les témoignages des parties civiles, l’audience vient d’entrer dans une nouvelle séquence avec les interrogatoires des accusés.
- Contrairement à son premier procès en 2018 en Belgique, Salah Abdeslam a accepté de revenir sur son enfance et sa jeunesse à Molenbeek.
A la cour d’assises spécialement composée de Paris,
Sur la carte projetée à l’écran, des petits points bleus quadrillent le quartier de Molenbeek. Des noms ont été apposés sur les domiciles des accusés : « Abdeslam », « Abrini », « Abaaoud ». Parfois, les points se juxtaposent presque, d’autres sont situés à un pâté de maison.
À l’occasion des premiers interrogatoires de personnalités des accusés au procès des attentats du 13-Novembre, la cour s’est plongée ce mardi dans ces rues de la capitale belge qui ont vu grandir la plupart des protagonistes de ce dossier. Point de chute de nombreuses familles marocaines venues s’installer en Belgique au tournant des années 1980, Molenbeek est devenu l’épicentre de l’enquête sur les attaques terroristes de 2015 commises à Paris et Saint-Denis.
« Tout le monde se connaît »
« Molenbeek, c’est petit, tout le monde se connaît », explique le seul survivant des commandos du 13 novembre, Salah Abdeslam. La voix posée, crâne rasé et barbe fournie, l’accusé répond pour la première fois aux questions de la cour. Quatrième enfant d’une fratrie de cinq, Salah Abdeslam décrit « la bonne ambiance » qui régnait dans le foyer familial et qui, assure-t-il, demeure toujours. Diplômé d’un baccalauréat technique en électromécanique, il est embauché à 18 ans dans la société de transports où travaillait son père. « Je m’occupais de la réparation des trains (…) j’étais motivé, j’aimais bien travailler », explique-t-il.
Mais le contrat s’arrête au bout d’un an. « J’ai été licencié », indique l’accusé. « Pourquoi ? », interroge le président de la cour d’assises. « Parce que je suis parti en prison », répond Abdeslam. Après sa première condamnation pour tentative de vol avec effraction, le Molenbeekois achète une camionnette, tente de lancer un business de transports. Mais il arrête, faute de clients. Il se lance alors dans l’intérim : « J’avais des contrats d’un mois, d’une semaine, des périodes de chômage. Je faisais le yoyo ». Au tournant des années 2010, il prête main-forte à son frère, Brahim Abdeslam, qui tient un café dans le quartier.
Avec ses amis – dont certains sont assis juste à côté de lui dans le box –, Salah Abdeslam « boit des verres », « mange au restaurant », joue au foot, sort en discothèque de temps en temps et s’offre des virées au casino. Le jeune homme, alors en couple, envisage même mariage et enfants. « Quand ces projets ont-ils été abandonnés ? », demande une avocate des parties civiles. Abdeslam hésite, puis répond : « Quand… ? A partir du moment où heu… Je me suis investi pour faire autre chose. C’est-à-dire les affaires que l’on me reproche ».
« On a grandi dans un monde violent »
Sur cette bascule dans un engagement religieux radical, sous-entendue par Abdeslam, la cour n’en saura pas plus. Car ce mardi et toute cette semaine, seuls les parcours scolaires et l’environnement familial des accusés doivent être abordés. La radicalisation supposée des quatorze hommes jugés sera, elle, évoquée à l’occasion d’autres interrogatoires. Mohamed Abrini, ami d’enfance d’Abdeslam lui aussi renvoyé devant la cour d’assises, a toutefois éclairé la cour à ce sujet.
Après une « enfance normale » au sein d’une famille « où on ne manquait de rien », Abrini plonge dans la délinquance à 17 ans, âge auquel il arrête définitivement sa scolarité. Excès de vitesse, conduite sans permis, vols divers, le voisin d’Abdeslam, surnommé « La Brinks » dans le quartier en référence à ses activités délictueuses, enchaîne condamnations et petits boulots. À l’époque, dit-il, Molenbeek, « c’est comme au bled : le matin, vous allez dans les commerces, les cafés, vous avez Al-Jazeera sur toutes les télés. Vous voyez la guerre, la guerre, la guerre. Depuis que je suis tout petit, je vois que ça, le conflit israélo-palestinien ou l’invasion par les Etats-Unis en Irak ».
Flambeur invétéré addict aux casinos, Mohamed Abrini voit le quartier changer entre 2014 et 2015. Quand il apprend que son petit frère a quitté la Belgique pour rejoindre la Syrie, le trentenaire purge une nouvelle peine de prison. « Personne n’avait la moindre idée de ce qui allait se passer. C’est allé très très vite. Petit à petit, on venait m’annoncer que beaucoup d’amis étaient partis ou avaient été tués en Syrie (…) Je comprenais pas ce qui se passait là-bas ». Son frère sera tué sur place. « Effondré » par la nouvelle, Abrini « n’a plus envie de faire quoi que ce soit » à sa sortie de prison « à part aller en Syrie ».
Notre dossier sur le procès
Interrogé sur son « échec scolaire » et son « échec sportif », l’ancien joueur de football a balayé l’hypothèse d’un parcours « type » des djihadistes belges et français : « Y’a des gens, ils ont été à l’université, ils avaient des diplômes et ils sont quand même allés faire la guerre en Syrie, ça n’a rien à voir ». Une des magistrates tente ensuite d’aborder sa consommation de stupéfiants. Plus tendu que son ami Abdeslam, Mohamed Abrini s’emporte et résume : « J’ai eu toutes les addictions, si vous voulez (…) On a grandi en Europe, on a fait comme tous les jeunes. On est sorti en discothèque, on a bu, on a fumé. On n’est pas sorti du ventre de nos mères avec des kalachnikovs en main. On a été des enfants, et on a grandi dans un monde violent ».