COMPTE-RENDUAu procès des attentats du 13-Novembre, « l’enquête totale » des policiers

Procès des attentats du 13-Novembre : L’enquête « totale » et « hors norme » décortiquée par un policier de l’antiterrorisme

COMPTE-RENDUL’ancien chef de la sous-direction de l’antiterrorisme (SDAT) de la police judiciaire est le premier témoin à s’être avancé à la barre depuis le début du procès
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Le procès des attaques terroristes du 13 novembre 2015 s’est ouvert pour neuf mois, mercredi 8 septembre 2021, devant la cour d’assises spécialement composée de Paris.
  • Vingt personnes sont accusées dans ce dossier, mais quatorze seulement sont jugées en leur présence.
  • Tout premier témoin à s’avancer à la barre, l’ancien chef de la SDAT, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, a tenté de dépeindre l’enquête tentaculaire menée par ses services dès le soir des attentats.

À la cour d’assises spécialement composée de Paris,

C’est à peine s’il bute sur un mot. Après quatre heures d’une déposition brièvement interrompue par des avocats visiblement pressés de le voir conclure, l’ancien chef adjoint de la SDAT, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, est resté imperturbable. Il est vrai que ce commissaire de police, costume sombre sur le dos rehaussé d’une chemise rose, n’aura privé la cour que de peu de détails.

Premier témoin à s’avancer à la barre au tentaculaire procès des attentats du 13-Novembre, l’enquêteur qui déposait anonymement sous le pseudonyme « SDAT99 » a exposé les investigations « hors norme » et « sans précédent » menées par ses équipes. Une « enquête totale » résumée par ces chiffres lancés de tête par le témoin. « 5.338 procès-verbaux dressés en onze jours », « 4.000 scellés », « 37 gardes à vue menées en France », « 2.259 auditions de témoins » et « 1.000 policiers » mobilisés au plus fort de l’enquête.

Un « spectacle de désolation »

Six ans après les faits, le témoin « SDAT99 » n’a rien oublié des trois jours de terreur qui se sont abattus sur Paris et sa région à l’automne 2015. Venu avec quelques notes, le fonctionnaire n’y jette que de furtifs coups d’œil. Avec des mots chirurgicaux, il dit l’horreur des constatations réalisées par les policiers sur « huit scènes de crime de façon simultanée ». Il y a ces corps des kamikazes « fragmentés en dix » ou « six morceaux » et retrouvés aux abords du Stade de France. Puis l’arrivée au petit matin, à 5 heures, au Bataclan et le « spectacle de désolation » qui règne dans la salle. Dans sa voix, rien ne traduit l’émotion. Mais quand il évoque le début de la « traque » des auteurs et de leurs complices, son débit déjà rapide s’accélère encore.

« Il faut dénombrer le plus rapidement possible les victimes de ces attentats, les identifier, recueillir les témoignages des survivants et faire en sorte de les recueillir de la façon la plus efficace possible. C’est un défi et chaque minute compte », rappelle-t-il à la cour d’assises spécialement composée. Très vite, les premiers éléments recueillis orientent les policiers sur la piste du djihadiste belge et coordonnateur des attentats, Abdelhamid Abaaoud. Pour autant, l’homme le reconnaît, ses services sont loin d’imaginer que cet homme devenu depuis plusieurs mois une « figure médiatique » de l’organisation terroriste Daesh, se trouve en France.

Le « cataclysme » provoqué par Abaaoud

Preuve du caractère hors-norme de cette enquête, c’est un renseignement donné par une jeune femme qui a contacté le numéro vert mis en place par les policiers qui permettra de localiser Abaaoud. « Le 17 novembre 2015 à 17 heures, elle confirme qu’Abaaoud est à Saint-Denis et indique qu’il envisage un attentat à la Défense » à peine deux jours plus tard. Cette information est un « cataclysme », confie le commissaire de la SDAT. Avec le même flegme, l’ancien chef adjoint de l’antiterrorisme énumère les difficultés qui se dressent alors pour intervenir.

Réfugiés dans un squat de Saint-Denis, le logisticien des attentats, sa cousine et un des membres de la cellule terroriste doivent être interpellés le plus vite possible et directement dans l’immeuble, rue du Corbillon. « Cette opération va se mettre en place dans un temps extrêmement court et dans un contexte de risque d’attentat imminent. On ne connaît pas leur armement mais on sait qu’ils reviennent de Syrie et sont aguerris au combat. On ne connaît pas la composition de l’immeuble, nous n’avons pas pu faire de reconnaissance des lieux et nous avons tous en tête la possibilité d’un piège », énumère le commissaire. L’opération est lancée, et les trois occupants du squat tués après plusieurs heures de tirs nourris par les policiers du Raid.


Notre dossier sur le procès

Restés un temps silencieux, Salah Abdeslam finit par interrompre le récit du témoin jugé trop prolixe par certains avocats de la défense. « Laissez parler le témoin, taisez-vous ! », intervient immédiatement le président la cour à l’attention du franco-belge. L’accusé hausse alors le ton : « C’est quand qu’on aura la parole ? » et ajoute : « Ça fait une semaine qu’on entend tout ça ». Ferme, le président prévient : « Vous n’avez pas fini de l’entendre, vous allez l’entendre encore plusieurs semaines ! ». Un euphémisme au regard du nombre de témoignages attendus. Au total, près de 300 personnes devraient se succéder à la barre au fil de ces neuf mois.