EPIDEMIELes autorités ont-elles sous-estimé le carnaval de la Plaine ?

Coronavirus à Marseille : Les autorités, informées, ont-elles sous-estimé le carnaval de la Plaine ?

EPIDEMIEBien que non déclarée en préfecture, l’organisation d’un carnaval à la Plaine en pleine épidémie de coronavirus était connue de la mairie de Marseille comme de la préfecture
Mathilde Ceilles

Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • Comme chaque année, le carnaval de la Plaine n’avait fait l’objet d’aucune déclaration en préfecture.
  • Pour autant, mairie et préfecture étaient au courant d’un tel événement.
  • Les opposants de Benoît Payan l’accusent de laxisme, tandis que les forces de l’ordre estiment matériellement impossible l’interdiction de ce carnaval, compte tenu du dispositif mis en place.

Des milliers de personnes qui font la fête dans les rues de Marseille, en pleine épidémie​. Les images du carnaval de la Plaine, et de ses carnavaliers buvant, s’enlaçant, loin des consignes sanitaires en vigueur, ont fait le tour des médias. Avec rapidement, une même et sempiternelle question : comment un tel événement a-t-il pu se produire dans ce contexte sanitaire ?

Certes, comme chaque année depuis sa création, cet événement militant, sans organisateur officiel, n’est jamais déclaré en préfecture. Depuis plus de vingt ans, ce carnaval est organisé à la même période pour porter des revendications politiques et sociales.

Un événement connu

« Nous n’en sommes pas au premier coup d’essai de manifestations non autorisées sur la voie publique à Marseille, regrette au passage l’adjoint au maire en charge de la sécurité, Yannick Ohanessian. Quand la préfète de police a été nommée au début de l’année, l’un des enjeux sur lequel elle souhaitait travailler était celui de ramener dans cette ville des manifestations sur la voie publique dans les déclarations officielles. »

Mais loin d’un événement festif secret comme la France a pu en connaître pendant cette crise sanitaire, l’organisation, tolérée jusqu’ici, de ce carnaval était publiquement annoncée depuis des jours sur les réseaux sociaux et même dans la rue, par des affiches en plein centre-ville de Marseille. Interrogées sur ce point par 20 Minutes, préfecture de police et mairie ne cachent pas d’ailleurs avoir eu connaissance en amont de la tenue de cet événement.

« Rien n’a été anticipé »

« Oui, les élus de la gauche marseillaise connaissaient parfaitement les risques immenses pour la santé des Marseillais, accuse le groupe LR au conseil municipal de Marseille. […] Oui, la ville de Marseille a été informée il y a plusieurs jours de cette manifestation, par des affiches, des tracts, par les réseaux sociaux, par les riverains exaspérés de cette situation, qui ont même écrit au maire afin de lui manifester leurs inquiétudes. La gauche marseillaise continue de s’enferrer dans le laisser faire, l’irresponsabilité et l’insécurité ».

« J’ai la sensation qu’il n’y a pas eu de réunion entre la mairie et la préfecture, que rien n’a été anticipé, tance le conseiller municipal d’opposition Lionel Royer-Perreault. Il y aurait dû y avoir une coordination entre les services de la ville de Marseille et la préfecture. »

« Nous avons fait le nécessaire pour alerter »

« Moi le 8 mars dernier, j’ai écrit à Madame la préfète sur cette idée que ce carnaval pourrait avoir lieu sur la voie publique, se défend Yannick Ohanessian. J’ai demandé au directeur départemental de la sécurité publique lui-même de regarder pour mettre tout en œuvre sur l’encadrement de cette manifestation si jamais elle devait avoir lieu. Nous avons fait le nécessaire pour alerter. »

« Même si cet événement n’était pas déclaré en préfecture, un dispositif de contrôle avait été mis en place aux abords du parcours pour verbaliser le non-respect des gestes barrières », affirme la préfecture de police dans un communiqué ce dimanche. Contactée par 20 Minutes ce lundi, la préfecture refuse toutefois de détailler ce dispositif. La dispersion des carnavaliers ne s’est faite qu’en toute fin de journée, vers 18 heures, alors que des camions de CRS attendaient près de la Canebière, à l’arrivée du cortège. De son côté, Yannick Ohanessian affirme avoir mobilisé quatre équipages de police municipale de trois personnes chacun.

« Interdire ? C’est impossible »

« Nos collègues ont été informés en début de semaine dernière, rapporte Rudy Manna, secrétaire départemental du syndicat Alliance. Il y avait entre 100 et 120 policiers de la sécurité publique et deux compagnies de CRS. Pour interdire la manifestation, il en aurait fallu quatre fois plus, et c’est impossible ! Même quand c’est très chaud entre l’OM et le PSG, on a dix à douze compagnies. »

Et de supposer : « Vous imaginez ? Il aurait fallu bloquer tous les accès, et envoyer les policiers dans la manifestation. Et on sait comment ça se serait passé. Si vous faites des sommations, ils ne vont pas partir. Alors les collègues auraient fait évacuer la place en faisant usage de la force. On aurait été filmés avec des téléphones portables. Et qui aurait payé l’addition à la fin ? Les policiers. »

Un nombre inédit

« Et si Yannick Ohanessian était au courant de la tenue du carnaval, il aurait pu envoyer plus de policiers municipaux pour faire un travail de physionomie, s’agace une autre source policière syndicale sous couvert d’anonymat. Il aurait dû réquisitionner des moyens policiers, pour prévenir l’agglutinement progressif sur la place Jean-Jaurès, et alerter en temps réel sur le nombre de participants. »

« Je crois que les organisateurs ont été eux-mêmes débordés, rétorque Yannick Ohanessian. Cette situation aurait mérité que les organisateurs regardent d’un peu plus près la manière dont ils allaient organiser cette manifestation. » Pour ses vingt ans, en 2019, le carnaval avait attiré, selon les estimations de l’époque de la préfecture de police, près de 3.400 personnes. Ce dimanche, selon la préfecture de police, ils étaient deux fois plus, pour atteindre le chiffre inédit de 6.500 carnavaliers.