Marseille : Alexandre Guérini, l'omnipotent Monsieur Propre
PROCES•Le deuxième jour du procès Guérini à Marseille a laissé entrevoir un Alexandre Guérini usant de pressions et menaces pour truquer des marchés publics de la propretéMathilde Ceilles
L'essentiel
- Mardi s’est tenu le deuxième jour du procès Guérini, consacré à l’attribution de marchés publics de la communauté de communes Marseille Provence Métropole.
- Des écoutes diffusées au cours de l’audience montrent l’emprise teintée de menaces qu’Alexandre Guérini, frère de Jean-Noël, exerçait sur un cadre de la collectivité, pour obtenir des informations stratégiques.
Le « système Guérini » avait besoin d’un homme de main, ce serviteur dévoué sans qui ne peut se faire la construction d’un empire. Au sein de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, l’homme d’affaires Alexandre Guérini , qui comparaît depuis lundi dans un vaste dossier portant notamment sur le trucage de marchés publics, avait trouvé le sien. Il s’appelait Michel Karabadjakian.
En 2008, la collectivité territoriale, initialement promise à un certain Renaud Muselier, passe entre les mains de la gauche. Dans ce contexte, Alexandre Guérini cherche à rencontrer Michel Karabadjakian, alors fonctionnaire pour la ville de Marseille. L’entrepreneur spécialisé dans les déchets se présente à lui comme le frère du puissant baron du PS, Jean-Noël. La rencontre se fait par l’entremise d’un ami d’Alexandre Guérini, lui aussi entrepreneur dans le secteur de la propreté.
Une ascension fulgurante
S’en suit pour Michel Karabadjakian une ascension fulgurante. Entré en septembre 2008 à la communauté urbaine, Michel Karabadjakian gravit vite les échelons au sein de la collectivité territoriale jusqu’à en devenir début 2009 directeur général adjoint du service propreté. .
Au même moment, la métropole doit justement renouveler le marché du tri des déchets pour les quatre prochaines années. Parmi les candidats, la société du même ami d’Alexandre Guérini qui a joué les entremetteurs. A partir de là, un lien d’emprise se tisse entre Alexandre Guérini et son factotum, à en croire les nombreuses écoutes accablantes diffusées au deuxième jour du procès Guérini. La méthode semble simple : par des coups de fil réguliers, virulents, Alexandre Guérini met la pression sur le DGA et lui donne des directives
« Quatre fois qu’on ne met pas ce qu’on dit »
Comme ce jour, où il apprend que les conditions d’attribution d’un marché public risquent de ne pas tourner à l’avantage de son ami. « J’ai fait des réunions, j’ai dépensé mon temps, je dépense mon argent, s’emporte-t-il ainsi dans une écoute téléphonique. Et à la fin des fins vous faites le jeu des autres ? Allez-vous faire enculer. Ça fait quatre fois qu’on refait le dossier et quatre fois qu’on ne met pas ce qu’on dit. »
Mais pourquoi donc Alexandre Guérini était-il si impliqué dans l’attribution des marchés publics de la communauté de communes ? En ce deuxième jour du procès, la présidente de la sixième chambre du tribunal correctionnel de Marseille Céline Ballérini pose la question une fois, deux fois, dix fois. Tout au long de la journée, Alexandre Guérini louvoie, courtois, à grand renfort de détails techniques, de formules de politesse et d’arguments confus.
« Terrorisé »
« Est-ce que je me suis occupé d’affaires qui ne me regardent pas ? Je dis oui. Est-ce que j’en ai tiré profit ? Je dis non », se défend-il, arguant pour se justifier d’un combat pour « la propreté de Marseille ». « Je suis adhérent du PS, avance-t-il. Je suis considéré à ce tire comme une des personnes qui soient susceptibles de donner leurs avis sur le traitement des déchets. » La veille, interrogé sur son parcours militant, Alexandre Guérini avait lancé : « On peut faire de la politique sans mandat électif. »
Face à ce Monsieur Propre aux doléances incessantes, Michel Karabadjakian acquiesce. Accusé de violation du secret professionnel et d’atteinte à l’égalité des candidats dans les marchés publics, l’ancien cadre de la MPM se dit « terrorisé » par ces coups de pression réguliers. « Je ne voulais pas l’avoir contre moi, explique-t-il à la barre. Il pouvait être nuisible pour ma situation personnelle, il était capable de me faire du mal à moi et à ma famille »
Des menaces dans les toilettes du tribunal ?
Il faut dire qu’Alexandre Guérini semblait prêt à se débarrasser de tous ceux qui lui barraient la route, prenant appui sur son frère. « J’ai trouvé un remplaçant à Dariès, glisse-t-il dans un message sur le répondeur de Michel Karabadjakian à propos d’un fonctionnaire de la MPM. Moi, à partir du 1er septembre, je ne veux plus de Dariès directeur. Tu recevras les instructions mardi. Je vais contacter mon frère qui est aux Etats-Unis, Eugène (Caselli) recevra l’ordre de procéder à son remplacement, tout sera sous contrôle. »
« Ce sont des mensonges proférés sous le coup de la colère, une attitude inexcusable », affirme Alexandre Guérini. Quelques heures plus tard, dans les toilettes du tribunal, à la faveur d’une suspension de séance, le frère de Jean-Noël aurait toutefois eu une virulente conversation avec un des prévenus, impliqué lui aussi dans le trucage supposé d’un autre marché public. Une conversation interceptée par hasard par le procureur de la République, qui a jugé bon d’en aviser la présidente, tant le ton était inapproprié, semblable à des menaces.
« Le seul procès qui compte, c’est celui des électeurs », lance Alexandre Guérini, alors que la seconde journée de ce procès-fleuve s’achève. Accusé de notamment de favoritisme et de prise illégale d’intérêt, il encourt 10 ans de prison, 750.000 euros d’amende et l’interdiction d’exercer une profession commerciale ou industrielle ou de gérer une entreprise.