Lille : Prison avec sursis requise contre trois identitaires pour l’agression d’une mineure de 14 ans
PROCES•Les trois hommes comparaissaient notamment pour l’agression d’une Maghrébine à Lille révélée dans un documentaire diffusé sur la chaîne Al Jazeera. Des peines de prison avec sursis ont été requises contre les prévenusMikaël Libert
L'essentiel
- Une enquête avait été ouverte en 2018 après la diffusion d’un reportage d’Al Jazeera sur le milieu identitaire Lillois.
- Trois hommes sont accusés de violences et pour certains d’incitation à la haine raciale et incitation à commettre un acte terroriste.
- Des peines de trois à cinq mois de prison avec sursis ont été requises contre les prévenus à l’issue de leur procès en correctionnelle à Lille.
Kahina, 14 ans, 1,70 m, 45 kg, maghrébine. Voici le profil de la jeune fille sur laquelle trois hommes sont accusés d’avoir commis des violences en janvier 2018, à Lille. L’un d’eux est aussi accusé d’incitation à la haine raciale et un autre d’incitation à provoquer un acte terroriste.
Des faits qui seraient passés totalement inaperçus s’ils n’avaient pas été enregistrés par la caméra d’un journaliste de la chaîne qatarie Al Jazeera. C’est la diffusion de cette enquête, menée en infiltration dans le milieu identitaire lillois, qui a permis d’amener les prévenus devant le tribunal correctionnel, mardi.
« Quand vous trinquez au IIIe Reich, vous êtes aussi dans la déconne ? »
Face aux images du documentaire Generation hate, tous les prévenus ont reconnu les faits pour lesquels ils sont jugés. S’il leur était difficile de nier l’évidence, chacun a pourtant tenté d’arranger l’histoire à sa sauce. Filmé dans le bar La Citadelle, repaire des identitaires Lillois, en train d’exposer son projet d’aller tuer « des gnioules » au marché de Wazemmes, Rémi F. plaide l’alcool : « J’étais ivre, j’ai voulu me faire mousser. »
Même argument pour Etienne V. à qui le tribunal reproche des propos néonazis tenus dans un autre bar, rue Solférino. « J’étais sous l’emprise de l’alcool. Je suis un fanfaron, j’ai dit ça pour taquiner les autres parce qu’ils sont proches de l’extrême droite », assure-t-il. « Et quand vous trinquez au IIIe Reich, vous êtes aussi dans la déconne ? », tonne le président. Silence.
L’agression de la jeune fille est survenue au cours de la même soirée, rue Masséna. Les images du documentaire montrent Rémi F. assénant à la victime de violents coups de poing sur la tête à l’aide de gants renforcés. Des gants qu’il porte depuis qu’il s’est fait agresser, un an plus tôt, par des « Nord-Africains », affirme-t-il. L’alcool lui a fait oublier certains moments de la scène, mais Rémi F. se souvient pourtant n’avoir « fait que répondre parce qu’il avait été attaqué ». Si l’agressivité de la jeune fille ne se voit pas sur les images, « c’est parce que cette vidéo est coupée, montée et qu’on ne voit pas tout », insiste-t-il.
« C’est un dossier emprunt de racisme et de xénophobie »
Etienne V. reconnaît l’agression de Kahina mais conteste que son origine en ait été la cause. « Cette vidéo montre une personne que je ne suis pas », promet-il. Et quand un témoin assure l’avoir déjà vu insulter des Maghrébins à plusieurs reprises, silence embarrassé. « Il a toujours été un déconneur », tente de le défendre Rémi F.
Guillaume D., agent de sécurité dans le bar devant lequel se sont produits les faits, est accusé d’avoir aspergé de gaz lacrymogène l’adolescente. « Je suis juste un videur qui faisait son boulot en tentant de séparer une bagarre », se lamente-t-il. « Pourtant vous ne gazez pas tout le monde pour les disperser mais uniquement cette jeune fille », s’étonne l’avocat du Mrap, partie civile dans le dossier.
« Ils se font passer pour des victimes, minimisent en évoquant l’alcool. Mais la vidéo montre une autre réalité : un dossier qui est emprunt de racisme et de xénophobie », insiste maître Nora Missaoui, avocate d’Identités plurielles, une autre association partie civile. « Kahina n’est pas de bonne famille, elle traîne les rues, elle ne s’appelle pas Marie. Mais cela ne justifie pas les violences », lance son défenseur.
Montage ou pas, pour le ministère public, le documentaire montre des faits qui sont répréhensibles. « La faute n’est pas non plus celle de l’alcool, il va falloir assumer maintenant », assure la procureure aux prévenus. « Qui prend des gants renforcés pour passer une soirée festive ? Demander une cigarette justifie-t-il de se faire frapper ? Cette violence était dirigée, pure et gratuite », martèle-t-elle. Pour Rémi F. et Etienne V., la procureure réclame 5 mois de prison avec sursis et 18 mois de sursis probatoire. Pour Guillaume D., elle demande une peine de trois mois de prison avec sursis. Tous devront aussi effectuer un stage de citoyenneté, « pour apprendre à vivre en société avec les autres ». La décision a été mise en délibéré.