PROCESAu procès des attentats de janvier 2015, un accusé « reconnaît ses torts »

Attentats de janvier 2015 : « Je veux être jugé pour ce que j’ai fait », demande un accusé, qui « reconnaît ses torts »

PROCESLors de son interrogatoire, Miguel Martinez a nié toute radicalisation religieuse
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Quatorze personnes sont jugées depuis le 2 septembre à Paris au procès des attentats de janvier 2015.
  • La cour d’assises spéciale arrive bientôt au bout des interrogatoires des accusés lors de cette huitième semaine d’audience.
  • Ce jeudi, Miguel Martinez, originaire des Ardennes, a reconnu sa participation à un trafic d’armes en lien avec Ali Riza Polet, seul accusé présent à être jugé pour complicité des crimes d’Amedy Coulibaly et des frères Kouachi.

A la cour d’assises spéciale à Paris,

« Ça fait longtemps que j’attends pour pouvoir m’expliquer », souffle Miguel Martinez derrière la vitre de son box. Placé en détention depuis avril 2017, l’Ardennais a – comme les dix autres accusés présents au procès des attentats de janvier 2015 – longtemps nié toute implication dans ce dossier. Ce jeudi, l’ancien gérant d’un garage automobile à Charleville-Mézières a décidé de « reconnaître ses torts ». Renvoyé devant la cour d’assises spéciale de Paris, Miguel Martinez encourt une peine de vingt ans de prison.

Il lui est reproché d’avoir servi d’intermédiaire aux terroristes pour trouver des armes et les faire transiter. Livrant aujourd’hui une tout autre version de celle donnée pendant l’instruction, Miguel Martinez, colosse au crâne rasé, a notamment justifié ses non-dits par la crainte de « décevoir » ses proches. Soupçonné de radicalisation et placé dans un quartier d’évaluation lors de son incarcération, le trentenaire a revendiqué une pratique modérée de sa religion, embrassée à l’âge de 9 ans.

Amitié et reconnaissance

Dans un long propos introductif, Miguel Martinez a refait le film des sept mois qui ont précédé les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher. En 2014, il s’associe avec un autre Ardennais, Abdelaziz Abbad, lui aussi renvoyé dans ce dossier. Les deux hommes montent un garage de réparation de pneus. « Ça se passait super bien au début », décrit-il. Mais à l’été de cette même année, Abbad est impliqué dans une affaire de meurtre. « Il s’est retrouvé dans une situation assez difficile. […] Abbad était comme en cavale, beaucoup de gens de Charleville lui en voulaient. Je suis quelqu’un de reconnaissant. […] Je laisserais pas un ami dans la galère et dans la merde », explique l’accusé. D’autant que Miguel Martinez a une dette envers Abbad. C’est ce dernier qui a payé l’intégralité du fonds de commerce pour le garage.

Alors, quand Abbad demande à son associé de prendre attache avec un garagiste belge, Martinez ne pose pas de questions. « Il avait besoin de refaire du business, il m’a demandé si je pouvais passer au garage de M. Karasular. » L’accusé file en direction de Charleroi. « Il a commencé à m’expliquer qu’il faisait du pneu, mais c’était pas ce qui intéressait M. Abbad, au fond. Donc on commence à parler de business – illégal bien sûr – de stupéfiants, d’armes aussi », lâche Miguel Martinez. Après plusieurs rendez-vous, Karasular, lui aussi accusé au procès, le met en contact avec un certain « Ali ». C’est Ali Riza Polat, seul accusé jugé pour « complicité » des crimes de Coulibaly et des Kouachi.



Les deux hommes échangent par téléphone mais ne se rencontrent pas. C’est un autre Belge qui ramène à Miguel Martinez un sac contenant plusieurs calibres. « J’étais au courant de ce qu’il y avait dans le sac, je vais pas faire celui qui savait pas. » Mais la piètre qualité des armes pousse Abbad à se débarrasser du sac. « Il m’a demandé si c’est possible de trouver quelqu’un pour planquer le sac », dit Martinez, qui s’exécute.

« C’est dur de reconnaître ses torts »

Depuis le début des interrogatoires, les magistrats chargés de juger les accusés sont confrontés au même problème. « Les positionnements des uns et des autres sont des sables mouvants », déplore le premier assesseur. Pourquoi Martinez n’a-t-il pas livré ces explications dès sa première garde à vue en 2016 ? « Je veux pas être impliqué dans un trafic d’armes. […] Depuis très peu de temps, j’ai compris, mais c’est dur de reconnaître ses torts, vous savez », se justifie l’ancien garagiste avant d’implorer : « Je veux pas que vous jugiez le mauvais homme ! Je veux être jugé pour ce que j’ai fait et pas pour ce que j’ai pas fait ! »

« « Je veux pas que vous jugiez le mauvais homme ! » »

À cela, s’ajoute la honte et la peur de « décevoir tout le monde », sa femme, son petit frère, son oncle et sa tante dont il est encore proche. Comme d’autres avant lui, il invoque aussi une affaire qui le dépasse : « J’ai rendu un service et je sais que c’est minime par rapport à l’attentat. […] Et puis, je me retrouve en garde à vue. Je suis un barbu, faut dire ce qui est. Je vois comment c’est en train de tourner, j’ai été pris de panique. »

Le « spectre » de la radicalisation

La suspicion de radicalisation a en effet pesé contre Miguel Martinez dans ce dossier. Très peu questionné à ce sujet en début d’interrogatoire, l’accusé presse les parties à l’interroger : « Ça fait quatre ans qu’on sous-entend que je suis radicalisé, et personne me pose de question là-dessus ? On ne m’en parle pas ! », s’offusque-t-il. Converti à l’âge de 9 ans après le décès brutal de son père, il entretient des rapports décousus avec la religion. Sa pratique s’intensifie au gré des « épreuves ».

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En 2012, il se rend à La Mecque. À l’époque, ce voyage intrigue son beau-père, qui l’a élevé. Après son pèlerinage, l’homme lui dit : « On a l’impression que tu nous dis pas tout. On se demande si t’es vraiment allé à La Mecque ». Martinez se vexe et répond : « Je lui ai dit : 'Je fais 135 kg, tu crois que je vais aller faire des galipettes avec Al-Qaida ?' On s’est un peu brouillés, je suis allé voir mon oncle et ma tante pour leur dire "Faut pas vous faire des films". » De ce voyage, Martinez dit aujourd’hui en garder un goût immodéré pour son pays natal : « Spirituellement, c’était bien. Mais avec l’application de la charia, ils se croient au-dessus de tout le monde. J’ai jamais autant aimé la France que lors de mon voyage là-bas. »


Notre dossier sur le procès

Lors de la perquisition de son domicile, des ouvrages sur l’islam seront retrouvés. Me Maktouf, avocate de parties civiles, tique sur le livre du repentir de l’imam Mâlik ibn Dînâr retrouvé dans sa bibliothèque et qui « appelle au djihad contre les mécréants ». Réponse de l’accusé : « Quand on recontextualise le texte, c’est quelqu’un qui a vécu à l’époque des invasions mongoles, c’était pas une bataille de polochons, c’était violent, donc oui il a appelé au djihad. » Ce « spectre » d’une radicalisation a pesé sur Martinez qui estime que personne, au cours de l’instruction, ne lui a expliqué les raisons de cette suspicion.

Alors, pour balayer définitivement cette ombre, Me Pugliese, son avocate, l’interroge directement :

- « Vous estimez que votre religion est compatible avec la République ? »

- « Oui. La République, c’est la loi. La religion c’est quelque chose de personnel, c’est de l’ordre de l’intime, et ça ne s’oppose pas ».

- « Vous pensez qu’on peut tuer pour défendre le Prophète ? »

- « Non, non ! On tue pas quelqu’un, déjà, à la base. Et on tue pas pour des dessins. […] On tue pas des gens pour des dessins. Pour moi, ça va de soi. »