Disparition d’Estelle Mouzin : Sur les traces du passé criminel de Michel Fourniret à Guermantes
RECIT•Michel Fourniret et son ex-femme, Monique Olivier, ont été extraits de prison, jeudi, pour être conduits à Guermantes (Seine-et-Marne), où Estelle Mouzin a disparu en 2003.Vincent Vantighem
L'essentiel
- Michel Fourniret a reconnu être à l’origine de l’enlèvement d’Estelle Mouzin en 2003. Mais il assure ne plus se souvenir de l’endroit où il l’a enterrée.
- Jeudi soir, la justice a organisé une reconstitution, à Gournay-sur-Marne d’abord, puis à Guermantes.
- Monique Olivier a confirmé l’implication de son ex-mari dans l’enlèvement, le viol et le meurtre de la fillette. Lui a reconnu les faits à sa manière.
A Gournay-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) et à Guermantes (Seine-et-Marne),
Marc était tranquillement installé dans sa salle à manger. Il nettoyait ses Meccano quand il a aperçu Michel Fourniret passer devant ses fenêtres décorées de petits stickers Disney. Mickey à droite. Minnie à gauche. Et le tueur en série au milieu. « Il était à cinq ou six mètres de moi, raconte ce retraité. Un policier armé m’a tout de suite dit de me calfeutrer. » Mais Marc n’en a rien fait. Et à travers l’interstice de ses rideaux jaunes, il a suivi discrètement la première étape de la reconstitution à laquelle « l’ogre des Ardennes » a participé.
Jeudi, le tueur en série a été extrait de prison pour être transporté sur les lieux où il a reconnu avoir enlevé la petite Estelle Mouzin, le 9 janvier 2003. L’objectif du voyage était clair : tenter d’établir le scénario précis des faits et, surtout, de parvenir à dénicher l’endroit où la fillette a été enterrée. Et ce n’est pas simple : aujourd’hui âgé de 78 ans, Michel Fourniret souffre de troubles neurologiques qu’il brandit comme une excuse en permanence. Comme face à la juge Sabine Khéris, le 27 novembre 2019, par exemple : « Ce n’est pas drôle de vieillir. Mes neurones, ils foutent le camp ! »
Cheveux hirsutes, barbe longue et sourcils broussailleux : c’est un homme un peu rabougri et très peu soigné qui s’est présenté, jeudi, à l’air libre de la région parisienne. « Il ressemblait à un garde forestier », confie un participant de la reconstitution. « Il avait l’air de sucrer les fraises, abonde un second. Mais sa mémoire revient vite… » Deux ans après avoir repris le dossier, la magistrate chargée de l’instruction le sait bien. Elle ne s’est donc pas inquiétée d’entendre le tueur ronfler dans le camion qui le promenait. Parce qu’elle avait un plan.
Premier rendez-vous chez Jacky à Gournay-sur-Marne
Avant de larguer Michel Fourniret à Guermantes, sur les lieux précis du crime, Sabine Khéris avait organisé un périple alentour afin de lui rafraîchir la mémoire. Première étape rue du Puits-Perdu, à Gournay-sur-Marne (Seine-Saint-Denis). Avant d’appartenir à Marc, ce petit pavillon de plain-pied était à Jacky L. Une vieille connaissance de Michel Fourniret. Un homme qui avait partagé sa cellule dans les années 1980 quand il avait été condamné pour une première série d’agressions sexuelles.
A l’époque, Michel Fourniret avait passé une annonce dans Le Pèlerin : « Prisonnier aimerait correspondre avec personne de tout âge pour oublier solitude. Écrire N°1173 RP. » C’est Monique Olivier qui avait répondu. Et lors d’une permission de sortie, Fourniret lui avait fixé rendez-vous chez son copain Jacky, à Gournay.
Le tueur et celle qui allait ensuite devenir son épouse ont passé leur fameux « pacte » dans cette maison. Si Michel Fourniret acceptait de venger Monique Olivier en tuant son ex-mari, elle l’aiderait à lui trouver de jeunes vierges pour assouvir ses pulsions…
Carte de vœux et petit sapin bleu
Jeudi, c’est aussi pour cette raison que l’ancienne « muse » du tueur faisait partie du voyage. Rien n’indique qu’elle a, un jour, mis les pieds à Guermantes. Mais à Gournay, oui. Après la rue du Puits-Perdu, les enquêteurs se sont ainsi arrêtés rue Henri-IV. Toujours dans le but de raviver la flamme de leur mémoire.
Dans cette allée bordée d’arbres majestueux vivait une femme qui tenait une radio libre. En détention, Michel Fourniret l’écoutait. Et il lui écrivait souvent. Mais une fois sorti de prison à la fin des années 1980, les liens se sont estompés. Et le tueur a cessé de correspondre. Jusqu’au début des années 2000, où il s’est bizarrement fendu, à nouveau, d’une carte de vœux. Avec Monique Olivier, ils sont même venus lui offrir un petit sapin bleu. « Fourniret ne fait rien par hasard. S’il a repris contact avec cette dame, c’est parce qu’il opérait dans le secteur… », décrypte un fin connaisseur du dossier.
Avant Estelle, il y avait eu une tentative avec Megan…
Affectionnant les bords de Marne plus au nord, « l’ogre des Ardennes » s’est en effet beaucoup aventuré dans ce secteur. Notamment à Bussy-Saint-Georges, où sa fille a travaillé quelques années avant de se suicider, anéantie par la découverte des crimes commis par son père. Bussy-Saint-Georges est situé juste au sud de Guermantes. Les deux villages ne sont séparés que par un golf. C’est dans cet espace quadrillé de rues droites et plantées de maisons cossues que les enquêteurs ont ensuite posé leurs fourgons, jeudi soir, juste après avoir offert au tueur une pause pour le dîner.
Il n’était pas encore l’heure de le questionner sur Estelle Mouzin. Mais sur sa camarade Megan B., qui vivait là. Quelques semaines avant la disparition d’Estelle, Megan a en effet raconté avoir été abordée par un homme et avoir eu très peur. Refusant de monter dans sa camionnette, elle est parvenue à établir un portrait-robot. Jeudi soir, Michel Fourniret a trouvé que le dessin lui ressemblait d’ailleurs beaucoup… « L’idée, c’était de comprendre comment il fonctionnait, poursuit l’une de nos sources. Comment il abordait les fillettes. Comment il a tenté sa chance avec Megan et puis comment il a enlevé Estelle… »
« Un être qui vous regarde de cette manière, il n’y a qu’une issue… »
Le point commun semble être l’école du Val Guermantes, où elles étaient toutes deux scolarisées. Jeudi soir, Michel Fourniret et Monique Olivier ont donc, pour finir, été emmenés sur cette zone. Ils ont refait à pied le trajet qu’aurait emprunté Estelle Mouzin jusque chez elle. Avec l’espoir que le tueur avoue enfin à quel endroit précis il l’a enlevée, et ce qu’il a fait ensuite. « Mais il a fait du Fourniret… », résume un observateur. C’est-à-dire qu’il a utilisé ses expressions favorites. « Je n’ai pas souvenance… », « cela ne fait pas tilt… »
La juge a alors donné la parole à Monique Olivier. Celle-ci a confirmé que son ex-mari avait bien enlevé, violé et tué la fillette. « Et vous avez toujours dit que Monique Olivier ne mentait pas ! », l’a-t-on relancé. A cette évocation, Fourniret a levé les yeux au ciel. « Oh Monique… » Avant de reconnaître les faits de façon glaçante. En évoquant la fillette à sa manière : « Vous savez, un être qui vous regarde dans les yeux de cette manière, il n’y a qu’une seule issue… »
Rien qui ne permette de retrouver son corps. Mais la juge ne compte pas laisser « l’ogre » tranquille. Le 26 octobre, elle a prévu d’emmener à nouveau Michel Fourniret. Au programme cette fois, quatre jours de fouilles dans les Ardennes.