Marseille : Onze ans après s’ouvre enfin le procès de l’effondrement mortel de la scène du concert de Madonna
PROCES•Après onze de ans de procédure et plusieurs renvois, le procès de l’effondrement mortel de la scène du concert de Madonna au stade Vélodrome s’est ouvert ce mercredi, au grand soulagement des familles des victimesMathilde Ceilles
Soudain, la présidente du tribunal, Marie-Pierre Attali, interrompt la longue lecture monotone des faits de cette affaire aussi complexe que titanesque. L’assemblée entière, quelque peu assoupie, se fige tout à coup dans un silence de cathédrale, comme tétanisée. Les yeux sont rivés sur les images que diffuse le petit écran au fond de cette grande salle du tribunal correctionnel de Marseille. Des schémas 3D reconstituent dans une courte vidéo cette scène terrible du 16 juillet 2009 qui réunit en ce mercredi une flopée d'avocats.
Des grues qui soulèvent peu à peu le toit d’une scène, celle de Madonna, en concert quelques jours plus tard, sur la pelouse du stade Vélodrome de Marseille. Puis soudain, un câble qui lâche, les grues qui tombent et le toit qui s’effondre dans un immense château de cartes métallique, tuant dans sa chute Charles Criscenzo, un Français de 52 ans, Charles Prow, un Anglais de 23 ans, et blessant huit autres ouvriers.
Un procès plusieurs fois reporté
Face à l’écran, Jeannine, la sœur de Charles Criscenzo, secoue la tête, abattue, comme si elle peinait à croire ce qui se déroule sous ses yeux. A ses côtés, son neveu, le fils de la victime, fond en larmes. Voilà onze ans que les Criscenzo attendent que la justice fasse la lumière sur cet effondrement qui a fait l’effet d’un « tsunami » dans leur famille, comme le confie sa femme.
Ce procès a en effet l’objet d’une décennie d’enquête et de plusieurs reports. Audiencé une première fois en septembre 2019, il devait initialement se dérouler le 16 mars 2020. Mais, confinement oblige, le procès avait été une nouvelle fois reporté à lundi dernier, pour faire finalement l’objet d’une suspension de 48 heures, le temps de s’assurer que l’un des avocats de la défense était bien négatif au Covid-19.
« Cette attente, c’était trop »
Mais pas question pour Marie-Pierre Attali de reporter une fois de plus. En guise d’ouverture de la séance, la présidente souligne « la nécessité de prêter attention aux parties civiles et à leurs proches, qui ont vraiment besoin que ce procès se tienne », et ce d’autant plus que « la crise sanitaire est loin d’être terminée et que les conditions d’un procès ne seront pas forcément meilleures dans six mois ou un an ».
Pour la famille, c’est donc la fin de onze longues années d’attente à leurs yeux inacceptables, au point que leur avocat, Me Vouland, est assigné l’Etat au civil pour faute lourde selon La Provence. « On a vécu ces onze années dans la souffrance, confie la nièce de Charles Criscenzo, Audrey. On a vécu un véritable drame il y a onze ans, mais pour notre famille, c’était comme si c’était hier. » « Cette attente, c’était trop, souffle Jeannine. Le deuil de mon frère, il est fait, mais ça va permettre de mettre un point final à tout ça. Ce procès pour nous, c’est un peu un état des lieux. J’espère que ça va permettre de mettre l’histoire derrière nous. Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Fin du procès le 16 octobre
Une question difficile à répondre, tant les acteurs sont nombreux, le dossier technique et les enchevêtrements de responsabilité complexes. Pas moins de onze prévenus ont été appelés à la barre mercredi : Live Nation France 2006, l’organisateur du concert, et sa dirigeante Jacqueline Bitton ; Edwin Shirley Group (ESG), l’entreprise anglaise propriétaire de la scène pour qui travaillait Charles Prow et trois de ses représentants en Grande-Bretagne ; Tour Concept France, la société française chargée d’assister ESG pour le montage, pour qui travaillaient toutes les autres victimes, et son dirigeant Mathieu Anton ; Mediaco, l’entreprise marseillaise propriétaire d’un camion-grue impliqué dans le drame, et son dirigeant Gérard Billia ; et enfin le Britannique Scott Seaton, travailleur indépendant, recruté comme chef d’équipe par ESG. Seuls trois prévenus étaient présents mercredi. Tous les autres étaient représentés par leurs avocats.
La chanteuse américaine Madonna, 50 ans à l’époque, n’avait pas répondu à la convocation du juge d’instruction, expliquant ne pas avoir été impliquée dans le volet technique du montage de la scène et n’avoir jamais demandé de la monter plus rapidement pour bénéficier d’un jour supplémentaire de répétition. Elle avait présenté ses condoléances aux familles des victimes.
Selon les rapports des experts, la chute du toit est liée à un mauvais placement du câble utilisé par une grue pour hisser l’un des angles du toit, suite à la panne de moteur de deux treuils. Cette sangle avait été mise en place par Charles Prow, l’une des victimes. Mais cette erreur n’est que le résultat de la « totale improvisation » qui régnait sur le chantier, selon les termes de Pierre Philipon, le troisième juge instructeur chargé de ce dossier, dans son ordonnance de renvoi du 29 janvier 2019.
« Ce qui ressort, c’est que sous prétexte qu’on fait une opération présentée comme routinière qu’est démonter et remonter la scène, quelque chose qu’on fait partout dans le monde avec les mêmes équipes, on a omis de préparer et d’évaluer tous les risques » a ainsi indiqué un expert ce jeudi à la barre. Le procès est prévu pour durer jusqu’au 16 octobre, avec un réquisitoire attendu le 14.