DETENTIONEn prison, l'épidémie de coronavirus inquiète les surveillants et détenus

Coronavirus : En prison, la crainte d’une épidémie gagne les surveillants, les détenus et leurs proches

DETENTIONSelon nos informations, aucun cas de détenu infecté par le coronavirus n’a été recensé pour l’heure en France
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Au 1er janvier 2020, 70.651 personnes étaient détenues dans les prisons françaises, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire.
  • Si aucun cas de détenu infecté n’a été recensé dans les établissements pénitentiaires, l’administration a diffusé deux notes, les 27 février et 3 mars, pour anticiper une éventuelle propagation du virus.
  • Mais la communication, rendue parfois difficile en détention, alimente les inquiétudes des détenus et de leurs proches.

L’inquiétude a traversé les murs. La propagation du coronavirus suscite depuis plusieurs jours des craintes au sein des prisons françaises. Comme pour tous les lieux accueillant du public, les établissements pénitentiaires et leurs directions ont reçu des consignes du ministère de la Santé. Le 27 février et le 3 mars, deux circulaires ont été diffusées afin d’anticiper des cas éventuels. Des notes préventives puisque, selon nos informations, aucun détenu n’a pour l’heure été infecté par le virus.

Mais les prisonniers comme leurs proches redoutent désormais les conséquences d’une épidémie à huis clos. En Italie, plusieurs mutineries ont éclaté ce week-end après la décision de suspendre les parloirs dans certaines prisons pour éviter une propagation de l’épidémie en détention. Si aucune décision en ce sens n’est pour l’instant envisagée côté français, certaines familles ont d’ores et déjà fait le choix de limiter leurs visites pour se préserver et protéger leur proche incarcéré.

Un protocole prévu

Lundi soir, à la demande de représentants syndicaux, une réunion s’est tenue entre la direction de l’administration pénitentiaire et les organisations représentatives des surveillants. « Il y a une forte inquiétude. L’information circule mal. On a demandé des masques pour les surveillants, des gels hydroalcooliques, on nous répond que c’est en commande. Chaque ministère se bat pour avoir ses propres protections », déplore Emmanuel Baudin, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire-Force ouvrière (SNP FO). Comme les surveillants, les détenus pâtissent eux aussi d’un manque d’information souligne François Bes, coordinateur du pôle « enquête » à l’Observatoire international des prisons (OIP). « Les détenus n’ont pas tous accès aux consignes liées au coronavirus ni aux détails des dispositifs prévus. Il y a donc beaucoup de rumeurs et de bruits qui courent en détention », précise-t-il.



Un protocole pour chaque cas de figure a pourtant bel et bien été défini et diffusé le 3 mars dans une note à l’ensemble des établissements. Les nouveaux détenus arrivant en prison et qui seraient de retour d’une zone à risque peuvent être placés en quatorzaine au sein de la prison. Placés en cellule individuelle, ils sont isolés du reste de la détention mais peuvent toujours bénéficier de leurs droits. Un aménagement pour des promenades seul doit être mis en place et les parloirs – ces temps d’échange avec leurs proches – peuvent être suspendus le temps de la quatorzaine. Une prise de température régulière et des contacts restreints et protégés par des équipements spéciaux (masque, gants) avec le personnel sont également prévus. Dans cette note, consultée par 20 Minutes, le ministère insiste sur la nécessité de mettre à disposition, dans chaque prison, du savon en quantité suffisante pour les détenus et le personnel. Les gels hydroalcooliques eux, ne peuvent être distribués aux prisonniers, l’alcool étant interdit en détention.

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Les parloirs, objet de tiraillements

Au-delà de la quatorzaine préventive, c’est l’apparition de cas confirmés et la capacité des établissements pénitentiaires à prendre en charge les malades qui inquiètent. La porte-parole du ministère de la Justice assure à 20 Minutes que toutes les prisons ont d’ores et déjà prévu des cellules individuelles si un ou plusieurs cas étaient détectés et qu’un confinement était nécessaire.

Mais les doutes persistent dans les coursives. « Avec les taux de surpopulation carcérale, on voit mal comment l’administration pénitentiaire va pouvoir libérer des cellules individuelles si le virus se propageait en détention », s’étonne François Bes, de l’Observatoire international des prisons (OIP). « Ca va être compliqué », abonde le secrétaire général du SNP FO, Emmanuel Baudin. « Ils veulent libérer des étages entiers en prévention. Mais, concrètement, ça veut dire qu’il va falloir entasser des matelas dans d’autres cellules », poursuit-il.

Et l’inquiétude s’est propagée de l’autre côté des barreaux. « On reçoit de plus en plus d’appels de familles de détenus depuis la semaine dernière. Certains proches ont décidé de ne plus aller au parloir, par peur d’être contaminés ou de contaminer eux-mêmes leur proche incarcéré », confie François Bès. La présidente du syndicat « Pour la protection et le respect des prisonniers » (PPRP), Lydia Trouvé évoque pour sa part un tiraillement, pour ces familles. « C’est très mitigé. Certains anticipent et comprennent qu’il va peut-être falloir interrompre les parloirs par mesure de sécurité. Et d’autres détenus, moins inquiets, eux, y sont très opposés. Ce qui fait peur, c’est surtout de ne pas savoir combien de temps va durer cette situation », ajoute-t-elle.

Quelle qualité de soins ?

La qualité des soins prodigués en détention en cas de contamination est aussi source d’angoisses. Lydia Trouvé développe : « On sait que c’est déjà compliqué pour les détenus de bénéficier de soins corrects quand ils ont la grippe, alors avec le coronavirus… On craint le pire ». Si les médecins de l’unité médicale de la prison peuvent à tout moment réorienter les détenus infectés vers le Samu et une prise en charge hospitalière, l’éventualité d’un traitement en détention, même isolé en cellule individuelle, pose, pour Emmanuel Badin, du syndicat SNP-FO, quelques difficultés : « La plupart des établissements ont un système de ventilation commun à tous les étages, donc ce n’est pas vraiment un confinement ».

Dans son guide méthodologique pour les établissements médico-sociaux, le ministère de la Santé formule pourtant des recommandations claires sur le traitement de l’air : « Le recours à une chambre d’isolement à pression négative est recommandée pour assurer la prise en charge d’un patient classé "cas confirmé" (…) une chambre individuelle avec un renouvellement d’air satisfaisant (6 à 12 volumes/heure) peut aussi permettre d’assurer la prise en charge d’un patient Covid-19 à la condition que l’air provenant de la chambre ne soit pas recyclé vers d’autres locaux de l’établissement. »

Pour répondre à toutes ces interrogations, une troisième note détaillée doit être diffusée dans le courant de la semaine aux directeurs et personnels de prisons françaises. Une rencontre avec la ministre de la Justice et les représentants syndicaux devrait également intervenir jeudi. Avec un seul objectif : anticiper et rassurer.