Justice : A Bobigny, les greffiers, « à bout de souffle », tirent la sonnette d’alarme
TRAVAIL•Des dizaines de greffiers, soutenus par des avocats et des magistrats, ont manifesté ce mercredi devant le tribunal de Bobigny pour dénoncer leurs conditions de travailCaroline Politi
L'essentiel
- Selon la CGT, la mobilisation atteignait 44% ce mercredi.
- Les greffiers réclament une augmentation des effectifs et une revalorisation des salaires.
- De nombreux magistrats et avocats étaient présents pour soutenir le mouvement de grève des greffiers.
Ce sont les petites mains de la justice. Ceux sans qui rien ne pourrait fonctionner. Ils assistent les magistrats lors des audiences ou des interrogatoires, sont garants de chaque étape de la procédure, convoquent les parties, rédigent les jugements… « Sans notre signature, rien n’est valide. On est indispensable mais ce n’est pas pour autant qu’on se soucie de nous », lâche Xavier, arrivé l’an dernier au tribunal de Bobigny. Ce mercredi midi, comme des dizaines de greffiers de cette juridiction, il a manifesté devant le tribunal pour dénoncer ses conditions de travail. « On ne peut plus tenir dans ces conditions, on est à bout », confie le jeune fonctionnaire, affecté à l’instruction. Selon la CGT, ils étaient 44 % à s’être mobilisés.
« Si on respectait nos horaires, les instructions dureraient trois ou quatre ans »
« On est censé travailler 7 h 22 par jour. Vous pensez qu’on pose notre stylo et qu’on part à 15 h 22 ? C’est impossible », déplore une greffière qui pense à se reconvertir dans le privé moins de deux ans après son arrivée à Bobigny. Devant le tribunal, ce mercredi, ils sont nombreux à affirmer cumuler 40 ou 50 heures supplémentaires non payées chaque mois. Si certains ont bien envisagé faire une grève du zèle, ils craignent que cette décision ne pèse sur leurs collègues. Car sans ces heures en plus, impossible de faire face à la masse de travail.
« Si on respectait nos horaires, les instructions dureraient trois ou quatre ans, les détenus sortiraient car les délais ne seraient pas respectés, les victimes ne seraient pas indemnisées », poursuit une de ces robes noires, arrivée l’an dernier dans la juridiction. Malgré ses efforts et ses heures en plus, elle regrette qu’il faille entre six et dix mois pour qu’un juge d’instruction puisse entendre sur le fond un mis en examen placé en détention provisoire. A l’exécution des peines, l’encombrement est tel que des dossiers datant de 2014 ou 2015 n’ont pas été traités. « Ils ne le seront sans doute jamais, lâche Michaël, arrivé il y a 15 ans. Pour écouler les stocks, on se concentre maintenant sur les jugements les plus récents. »
Davantage de greffiers… mais davantage d’audiences
A Bobigny, la deuxième juridiction de France derrière Paris, les effectifs ont pourtant été renforcés ces dernières années. En janvier, l’arrivée de 35 nouveaux greffiers a été annoncée en grande pompe. « C’est un effet d’annonce, certains viennent compenser des départs, assure Cyril Papon, greffier depuis dix ans à Bobigny et secrétaire général de la CGT Chancellerie et Service Judiciaire. Surtout, ce qu’on a moins dit, c’est que le nombre d’audiences a lui aussi augmenté. Depuis un an environ, il y a une nouvelle chambre des comparutions immédiates. » Selon le syndicaliste, une trentaine de fonctionnaires supplémentaires sont nécessaires pour faire face à l’engorgement de la juridiction.
Ils sont nombreux, ce mercredi, à envisager une mutation ou un détachement dans un autre ministère. « On a énormément de pression et on est payé 1.600 euros en début de carrière sans beaucoup de possibilités d’évolution. Forcément, on se pose des questions sur notre avenir », lâche Hélène, greffière depuis quatre ans à l’exécution des peines. Beaucoup déplorent également un turn-over important qui nécessite de sans cesse reformer les derniers arrivés.
Les magistrats et les avocats solidaires du mouvement
« Cette juridiction fonctionne sur le système D et le volontariat », déplore Me Stéphane Maugendre, venus ce mercredi comme d’autres avocats en signe de solidarité. Comme beaucoup de ses confrères, il croise ces petites mains au quotidien, doit souvent composer avec leurs emplois du temps surchargés. « Pour les indemnisations, par exemple, on est parfois obligé de leur faire une mise en demeure pour obtenir les jugements dans le délai d’un an. » Plusieurs magistrats se sont également joints à la manifestation en signe de solidarité. « Bobigny est à bout de souffle, ce tribunal est en train de couler, le naufrage est imminent et les premières victimes seront les justiciables », déplore une substitut du procureur. Une journée de mobilisation nationale est prévue le 12 mai.