Divorce : « Dans les procédures conflictuelles, les enfants sont les premières victimes »
INTERVIEW•Si la moitié des divorces en France se règle par consentement mutuel, certains sont le théâtre d’âpres conflits dans lesquels les enfants sont souvent le centre. L’émission « Le monde en face », diffusée ce mardi soir, a suivi Delphine Thouillon, juge aux affaires familiales à Créteil (Val-de-Marne)
Propos recueillis par Caroline Politi
L'essentiel
- En 2019, les juges aux affaires familiales de Créteil ont auditionné 287 enfants sur les 4.500 nouveaux dossiers dont ils ont été saisis.
- Le reportage Séparation : les enfants d’abord sera diffusé ce mardi à 20h50 sur France 5 dans l’émission Le monde en face.
«Je sais que les enfants ont leur mot à dire. » C’est par ces mots que Louis, du haut de ses douze ans, a commencé sa lettre à Delphine Thouillon, juge aux affaires familiales à Créteil, dans le Val-de-Marne. Ses parents sont en pleine séparation, le jeune adolescent et sa petite sœur sollicitent la magistrate pour que la garde soit exclusivement accordée à leur mère. Comment gérer ces enfants pris au cœur d’un conflit qui les dépasse ? Quelle place accorder à leurs sollicitations ? C’est l’objet du reportage de Delphine Cinier La Séparation : les enfants d’abord diffusé sur France 5 ce mardi soir dans l’émission Le monde en face. On y suit les histoires de trois familles suivies par cette magistrate en poste depuis quatre ans. Interview.
Combien d’enfants, comme Louis, vous écrivent dans le cadre d’un divorce particulièrement conflictuel ?
En 2019, les juges aux affaires familiales de Créteil ont auditionné 287 enfants sur les 4.888 nouveaux dossiers dont nous avons été saisis. Aujourd’hui, plus de la moitié des divorces se règlent par consentement mutuel, les parents parviennent à trouver un accord. Nous, nous nous occupons de ceux pour lesquels cela n’a pas été le cas. Mais les degrés de conflits sont très divers. Dans notre juridiction, les familles sont systématiquement convoquées pour un rendez-vous de médiation familiale avant de voir un juge aux affaires familiales. Dans certains cas, ça désamorce une partie des tensions.
Dans le reportage, vous expliquez que ce n’est pas parce qu’un « enfant souhaite quelque chose » que vous y accéderez. Quelle place accordez-vous à leurs sollicitations dans votre décision finale ?
L’audition d’un enfant est un élément du dossier parmi d’autres. On tient également compte de la pratique des parents, des enquêtes sociales ou des expertises ordonnées. On cherche à savoir s’il y a une cause réelle et sérieuse – des violences physiques ou psychologiques notamment – qui justifie le fait qu’il ne souhaite plus voir un de ses parents. On remarque souvent qu’en cas de conflit, il va, plus ou moins consciemment, prendre le parti du parent gardien pour s’acheter une sorte de tranquillité. Dans ce cas, notre rôle est de maintenir le lien. On doit se projeter dans l’avenir : un enfant qui ne voit plus l’un de ses deux parents peut en souffrir par la suite.
Comment justement démêle-t-on le vrai du faux dans le discours des enfants ? Certains sont victimes de manipulation…
Ça arrive effectivement, même si ce n’est pas la majorité des dossiers. On se rend compte que le discours est stéréotypé, comme répété. L’enfant prend parti pour un parent, dénigre systématiquement l’autre. Lorsqu’on creuse, il n’y a pas vraiment de réponses. Dans des dossiers extrêmes, les accusations portées peuvent être particulièrement graves : des violences, des agressions sexuelles ou la radicalisation de l’autre parent. Des expertises sont alors ordonnées, des enquêtes sont menées pour vérifier les propos. Dans ces dossiers, le juge des enfants est régulièrement saisi, notamment si on estime que l’enfant est utilisée comme une arme dans le conflit de ses parents et qu’il passe au second plan tant la haine entre eux est forte.
Qu’est ce qui guide vos décisions ?
L’intérêt de l’enfant. Il faut se projeter dans l’avenir, on se demande où il sera le mieux. Ou le moins mal. Il faut trouver des solutions pour aider une famille à s’apaiser. Cela peut passer par une médiation, une thérapie familiale ou par l’aide sociale à l’enfance qui met en place une aide éducative. Il faut toujours garder à l’esprit que dans ces conflits, les enfants sont les premières victimes.