Bébé secoué : A Rennes, la nourrice nie, les parents l’accusent, la médecine s’interroge
JUSTICE•Une assistante maternelle est jugée à partir de mardi devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine pour avoir « secoué un bébé », aujourd’hui lourdement handicapéCamille Allain
L'essentiel
- Une nourrice de 63 ans sera jugée devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine à partir de mardi.
- Les parents d’une petite fille l’accusent d’avoir « secoué leur bébé » en 2014 près de Rennes. L’enfant est lourdement handicapé.
- La nourrice nie les faits. Son avocat conteste le diagnostic posé par les médecins.
EDIT: La nourrice a été condamnée à sept ans de prison et incarcérée à l'issue de l'audience. Elle a nié les faits tout au long du procès. Son avocat a décidé de faire appel de sa condamnation.
C’était son premier jour chez sa nounou, mais aussi son dernier. Ce jour d’avril 2014, la maman de la petite Jeanne avait récupéré sa fille alors âgée de 4 mois chez l’assistante maternelle qu’elle venait d’embaucher à Guipry-Messac, au sud de Rennes. La mère est alors surprise de voir le comportement « anormal » de sa fille. « Elle avait des pleurs inhabituels, le regard fuyant. Elle a tout de suite appelé le médecin », raconte l’avocate des parents de Jeanne, Me Natacha Bernard. Le bébé est rapidement transféré à l’hôpital où il subit de multiples examens. Le diagnostic des médecins est sans appel : Jeanne présente tous les symptômes du « bébé secoué ».
Presque six ans plus tard, ses parents vont recroiser la route de la nourrice, que les médecins désignent comme potentielle coupable de maltraitances. Le procès s’ouvrira mardi à Rennes devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine. « Le bébé allait très bien. Elle était en parfaite santé quand son père l’a déposée le matin, poursuit l’avocate. Nous sommes persuadés de la culpabilité de la nourrice ». Depuis ce jour d’avril, Jeanne est lourdement handicapée et accuse un important retard de développement. Du haut de ses 6 ans, « elle a le développement moteur d’un enfant de 2 ans », décrit l’avocate de la famille.
« Ma cliente est innocente », se défend l’avocat de la nourrice
Agée de 63 ans, la nourrice clame son innocence depuis le début et l’assure : non, elle n’a pas secoué le bébé. « Ma cliente est innocente, elle n’a eu commis aucun geste », affirme son avocat Me Marc-Etienne Verdier. Pour le prouver, le conseil évoque « un appel au médecin dans l’après-midi ». Mais le praticien n’a pas répondu. « Elle avait l’impression que la petite pleurait beaucoup, elle la trouvait bizarre. » Depuis les faits, l’agrément de la nourrice lui a été retiré. « Elle est dévastée, elle vit sous tranquillisants. Elle s’est longtemps sentie coupable alors qu’elle n’a rien fait. »
Sans preuve matérielle, la cour d’assises va devoir s’appuyer sur les expertises des médecins pour tenter d’établir la culpabilité ou non de la nourrice. Dans le cas de Jeanne, le diagnostic posé est sans appel. La jeune fille présente les symptômes « habituels » du bébé secoué : des hématomes sous-duraux (sang dans le cerveau), lésion hémorragique de la moelle cervicale ou encore atteinte du ligament nuchal. « Quatre des cinq experts sont d’accord sur le diagnostic. Seul un ne confirme pas la date des faits », avance l’avocate des parents.
« Ce syndrome du bébé secoué est aujourd’hui largement contesté »
L’avocat de la défense pose un autre regard sur ce diagnostic. « Ce syndrome du bébé secoué est aujourd’hui largement contesté. Il ne repose que sur les recommandations de la Haute Autorité de santé qui sont remises en question », argumente Me Verdier. L’avocat cite notamment les travaux du docteur Bernard Echenne, ancien neuropédiatre au CHU de Montpellier qui est très critique sur ces recommandations.
Vanessa Keryhuel en sait quelque chose. Il y a quelques mois, cette maman a été relaxée par le tribunal correctionnel de Rennes alors que les médecins l’accusaient d’avoir secoué son bébé. Un combat mené pendant des années qui l’a poussée à fonder l’association Adikia. « C’est un sujet qui fait beaucoup parler dans les couloirs des tribunaux. Les juges semblent plus informés de ces controverses », estime la jeune femme. En mars, sa relaxe a fait couler beaucoup d’encre. Mais pas au point de convaincre certains praticiens. « Je suis retournée au CHU de Rennes pour m’expliquer. Ça ne s’est pas bien passé. La radiologue refusait d’admettre qu’elle avait pu se tromper ». Son avocat a d’ailleurs porté la question au Conseil d’État mais la réponse se fait attendre.
La jeune femme explique par ailleurs que les sollicitations de son association sont « quasi quotidiennes ». De nombreux parents la contactent pour tenter de trouver des réponses à leurs questions face à « la machine infernale » du système judiciaire. Mardi, mercredi et jeudi, les jurés de la cour d’assises vont voir les experts défiler. Et devront trancher.