PROCESLes deux accusées de l’attentat raté de Notre-Dame se rejettent la balle

Attentat raté de Notre-Dame : « Chacun sa version. Y a pas de souci ! »

PROCESDevant la cour d’assises spéciale Ornella Gilligman et Inès Madani ont opposé, ce lundi, des explications radicalement différentes
Inès Madani (à gauche) et Ornella Gilligmann (à droite) encourent la réclusion criminelle à perpétuité.
Inès Madani (à gauche) et Ornella Gilligmann (à droite) encourent la réclusion criminelle à perpétuité.  -  Benoit PEYRUCQ / AFP
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Ornella Gilligman, 32 ans, et Inès Madani, 22 ans, comparaissent devant la cour d’assises spéciale aux côtés de cinq autres personnes.
  • Elles sont accusées d’avoir tenté de faire exploser une voiture remplie de bonbonnes de gaz près de Notre-Dame, à Paris, en 2016.
  • Devant la cour d’assises spéciales, elles opposent des versions radicalement différentes.
  • Les deux femmes encourent la réclusion criminelle à perpétuité.

Seul un noir chignon dépasse du bord du box des accusés. Quand le président Laurent Raviot lui donne la parole, un peu après 21h, Ines Madani redresse enfin la tête. A quelques mètres d’elle, Ornella Gilligman, 32 ans, est nerveuse. Ce lundi après-midi, devant la cour d’assises spéciale, la jeune femme a eu bien du mal à convaincre les magistrats qu’elle n’avait jamais voulu faire exploser cette voiture piégée près de Notre-Dame, en septembre 2016.

Au contraire. Si le pire a été évité, c’est grâce à elle, a-t-elle expliqué durant près de sept heures. « Ça me fait rire, j’arrive pas à comprendre, sourit Inès Madani. Elle organise tout ça, on y est toutes les deux. Et puis devant la cour d’assises, on devrait presque lui donner une médaille pour sa participation ! » Avant d’ajouter : « Chacun sa version. Y a pas de souci ! »

Depuis le début de leur procès, il y a tout juste une semaine, les deux femmes se rejettent la responsabilité de cet attentat raté. La semaine dernière, Inès Madani avait affirmé que le projet, qui consistait à garer une 607 remplie de bonbonnes de gaz​ devant un bar et à l’enflammer, avait été organisé par cette mère de trois enfants, divorcée en 2016 et originaire de l’Essonne.

Ce que cette dernière conteste. A l’en croire, Ornella Gilligmann, gamine un peu paumée baladée de foyer en foyer, n’avait jamais envisagé de se muer en terroriste avant qu’elle ne croise le chemin d’Abou Omar. Elle a rencontré ce djihadiste sur Périscope et en est tombée éperdument « amoureuse ». Après avoir divorcé, elle se serait même mariée avec « Abou » par téléphone, sans même l’avoir rencontré.

« Des trucs terroristes »

Elle ne l’apprendra que bien plus tard, durant l’instruction. Mais derrière ce nom se dissimule en réalité Inès Madani. Et elle n’est pas la seule à s'être faite avoir. « Je ne voulais pas y croire ! Je pensais que vous vous faisiez tous berner, qu’elle couvrait quelqu’un dehors », lâche la jeune femme à l’épaisse chevelure ondulée, lunettes sur le nez, pull noir.

Elle semble même avoir encore un peu de mal « à réaliser » tant ils étaient complices sur Telegram. « Il m’a donné tout ce dont j’avais besoin. Niveau religion, on s’est retrouvé. On était des personnages religieux. » Il la complimente, lui dit qu’elle est belle. Elle retrouve « un peu confiance ». Elle pense « l’aimer sincèrement », lui envoie des photos d’elle dénudée. « Inconsciemment », elle est fascinée par ce combattant, « dépendante » même.

Un jour, elle loue une voiture, laisse ses enfants à son ex-belle-mère et prend la direction de Paris. Ça y est, elle va enfin « consommer » son mariage. Mais le jeune marié ne répond plus à ses messages. Inquiète, elle s’arrête dans un McDonald et contacte sur Telegram le djihadiste Rachid Kassim, tristement célèbre propagandiste de Daesh. Mais, jure-t-elle au président, à l’époque, elle ne le connaissait pas plus que ça.

Tout juste savait-elle qu’il était en contact avec « Abou », son seul lien avec lui. Un peu plus tard, il lui répond que la sœur de son mari va la contacter. Effectivement, celle-ci va la guider jusque chez elle. Sur le chemin, comme « Abou » le lui avait demandé, elle achète deux bonbonnes de gaz dans une station-service. Elle ne le nie pas : elle savait que son bien aimé préparait « des trucs terroristes ».

« Essayez de dire la vérité ! »

Elle pense qu’il va l’attendre chez elle. Raté. Kassim la rassure, lui dit qu’il viendra plus tard, elle s’endort. Le lendemain, « Abou » n’est toujours pas là. Sa sœur – dont le rôle est une fois de plus campé par Inès Madani – lui demande de l’accompagner faire « des courses ». Puis elle lui dévoile le projet d’attentat. « Je me suis senti bloquée, embourbée, clame-t-elle. J’étais piégée. Je ne savais pas quoi faire. »

Ornella Gilligmann ne veut ni problème avec la police, ni décevoir son « Abou ». Alors elle aurait décidé de faire échouer l’attentat. Pour cela, elle compte remplacer l’essence qui servira à asperger des bonbonnes de gaz, par du gazole, un liquide difficilement inflammable. Elle pourra ensuite rentrer chez elle, la conscience tranquille.

Comment la croire, elle qui reconnaît avoir été radicalisée, qui a prêté allégeance à Daesh en vidéo, qui a envisagé de partir en Syrie avec ses enfants dès 2014 pour rejoindre l’organisation terroriste ? « Je ne cherche pas à minimiser les choses, je vous les explique comme je les ai vécues », promet-elle. L’avocate générale hausse la voix. « Vos déclarations sont confuses, contradictoires et contredites par certains éléments de la procédure. Vous encourrez la perpétuité. Essayez de dire la vérité ! »

La magistrate demande :

« -La version que vous développez devant la cour est ni plus ni moins que vous êtes une héroïne, une personne qui a tout fait pour éviter un attentat. Où est votre responsabilité ? -Avoir embrassé l’idéologie de cet homme, m’être retrouvée dans une histoire d’attentat alors que je savais que j’allais m’y retrouver, ma responsabilité, elle est là. »

Son collègue du ministère public pointe à son tour une étrangeté dans l’évolution des déclarations de l’accusée durant l’instruction.

« -C’est moins grave pour vous de dire : « je monte à Paris commettre un attentat » que de dire « je monte à Paris voir l’homme que j’aime » ? -La pudeur… Je ne voulais pas qu’on sache que je me suis mariée alors que je venais de divorcer. »

Le procès doit durer jusqu’au 11 octobre. Inès Madani et Ornella Gilligmann encourent la réclusion criminelle à perpétuité.