Affaire Urvoas : L’ancien garde des Sceaux face à la Cour de justice de la République pour « violation du secret »
PROCES•L’homme de 60 ans doit comparaître devant la Cour de justice de la République (CJR) pour avoir transmis, en mai 2017, des informations au député Thierry Solère sur une enquête qui le visait20 Minutes avec AFP
Début d’une semaine de marathon judiciaire pour Jean-Jacques Urvoas. L’ancien garde des Sceaux doit comparaître, ce mardi, devant la Cour de justice de la République (CJR) pour avoir transmis des informations au député Thierry Solère sur une enquête qui le visait.
A l’instar de Christine Lagarde ou de Charles Pasqua, Jean-Jacques Urvoas est le huitième ministre à être entendu par la Cour de justice de la République (CJR), une instance que l’exécutif veut voir disparaître mais qui reste, pour le moment, la seule habilitée à juger des actes commis par des membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions.
Une peine maximale d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende
Au cours de l’enquête, l’ancien ministre socialiste (janvier 2016-mai 2017) a reconnu « la matérialité des faits » mais conteste que les documents transmis soient couverts « par un quelconque secret ». Il reviendra à la CJR, composée de douze parlementaires et trois juges de la Cour de cassation, de trancher l’épineuse question du périmètre du secret et des obligations du ministre en la matière. L’ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale encourt une peine maximale d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.
Apprécié pour son habileté et son sens de l’écoute au Parlement comme au ministère, Jean-Jacques Urvoas, 60 ans, a vu son image de rigueur abîmée par cette affaire, qui l’a rattrapé alors que, battu aux législatives de 2017, il venait de retrouver un poste d’enseignant en droit public à l’université. L’affaire, qui avait conduit magistrats et politiques à réclamer une réforme pour trancher définitivement le lien hiérarchique entre la chancellerie et le parquet, s’était nouée dans les derniers jours de la présidence de François Hollande.
Des informations transmises via la messagerie cryptée Telegram
Le 4 mai 2017, Jean-Jacques Urvoas s’apprête à quitter la place Vendôme quand il adresse un document du ministère à Thierry Solère, alors élu de l’opposition LR, via la messagerie cryptée Telegram. Il s’agit d’une « fiche d’action publique » établie par la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), département sensible qui fait l’interface entre le ministère de la Justice et les procureurs. Cette fiche rend compte de l’état d’une enquête du parquet de Nanterre pour fraude fiscale et trafic d’influence, qui implique Thierry Solère depuis septembre 2016. Le lendemain, le ministre envoie encore un courriel d’actualisation de cette fiche au député des Hauts-de-Seine.
Ces deux communications seront découvertes six mois plus tard par les enquêteurs lors d’une perquisition au domicile de Thierry Solère, ensuite révélée par le Canard Enchaîné. Le 20 juin 2018, Jean-Jacques Urvoas est mis en examen pour « violation du secret » par la commission d’instruction de la CJR. Son avocat Me Emmanuel Marsigny soutient que le garde des Sceaux ne concourant pas à l’enquête, il n’était « pas soumis à un quelconque secret quant aux informations élaborées par les services du ministère, remontées par les parquets généraux ». Pour lui, les « fiches d’action publique » ne pouvaient contenir « aucune information protégée au titre d’un secret prévu par la loi ».
« Si on me les a transmis, c’est que je pouvais m’en servir »
Un avis que ne partage pas le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, qui a demandé en décembre 2018 la tenue du procès. « Le Garde des sceaux est détenteur de ce secret du fait de ses fonctions et en tant qu’ultime supérieur hiérarchique du parquet », avait-il affirmé dans un communiqué. Le procureur estime que « la remontée au garde des Sceaux d’informations couvertes par le secret (…) ne pouvait en aucun cas l’autoriser à renseigner » le principal mis en cause d’une enquête en cours le concernant. Et ce même si « les informations ainsi transmises ne semblent pas avoir entravé l’enquête », comme le relevait la commission d’instruction.
L’enquête, qui a conduit Thierry Solère, rallié depuis à LREM, à renoncer fin 2017 à son poste de questeur de l’Assemblée nationale, a été confiée à un juge d’instruction le 1er février. Plusieurs témoins, allant de l’ancien directeur de cabinet de Jean-Jacques Urvoas aux responsables de la DACG ont fait part de leur surprise voire d’un sentiment de « trahison » en apprenant la transmission à un mis en cause d’éléments d’enquête le concernant. « Si on me les a transmis, c’est que je pouvais m’en servir », a argué l’ancien ministre pendant l’enquête, ajoutant que son but était d’éviter que Thierry Solère – qui dénonçait une « chasse à l’homme » – « attaque l’institution judiciaire ».