Et à l’étranger, quelle IGPN, la «police des polices»?
POLICE•L’Inspection générale de la police nationale (IGPN), déjà mise en cause dans ses enquêtes sur les blessures des « gilets jaunes », est de nouveau critiquée pour son travail sur l’affaire Steve Maia CaniçoLaure Cometti
L'essentiel
- L’Inspection générale de la police nationale (IGPN), déjà mise en cause dans ses enquêtes sur les blessures des « gilets jaunes », est de nouveau critiquée pour son travail sur l’affaire Steve Maia Caniço.
- La « police des polices » est taxée de « partialité » et d’un manque de « transparence » concernant son enquête sur la mort de ce jeune homme, à Nantes, le 21 juin dernier.
- A l’étranger, et notamment chez certains de nos voisins européens, des solutions ont été mises en place pour répondre à ces attaques, avec des organes de contrôles indépendants des forces de l'ordre.
On n’a rarement autant parlé de l’IGPN, l’inspection générale de la police nationale. D’abord avec le mouvement des « gilets jaunes » et les nombreuses blessures de manifestants, puis avec la mort de Steve Maia Caniço, disparu le 21 juin dernier, et dont le corps a été retrouvé dans la Loire. La police des polices est sous le feu des critiques cet été en France, à tel point que la dénigrer est devenu un meme sur les réseaux sociaux.
Le travail de l’IGPN avait déjà été fustigé après son enquête classée sans suite sur l’interpellation en décembre dernier de lycéens mis à genoux à Mantes-La-Jolie (Yvelines), et « l’affaire Théo », grièvement blessé en 2017 par un coup de matraque. Comment les policiers sont-ils contrôlés et éventuellement sanctionnés dans les autres pays ? Un coup d’œil chez nos voisins permet de pointer plusieurs différences, en matière d’indépendance, de transparence et de professionnalisation.
Des organes indépendants chez nos voisins européens
L’IGPN est sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Son directeur, ou sa directrice, est nommé en Conseil des ministres et peut être révoqué à tout moment par la place Beauvau. A l’étranger aussi, « il y a toujours une subordination entre les organes de contrôle des forces de l’ordre et leur direction », observe Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS. « Mais certains pays ont voulu s’assurer que les organes de contrôle sont légitimes et impartiaux ». Ainsi, la nomination du patron de l’IGPN anglaise est validée par le Parlement, explique le chercheur. En outre, les affaires les plus graves ou sensibles sont confiées à un organe indépendant, l’IOPC pour Independent Office for Police Conduct, ou Bureau indépendant sur la conduite de la police.
La Belgique dispose aussi d’un organe de contrôle indépendant, le comité P, dirigé par un magistrat, et dont les membres sont nommés par la Chambre des représentants. Au Danemark, une entité rattachée au ministère de la Justice associe enquêteurs, magistrats et profils de la société civile, poursuit le spécialiste de la police. Ces trois pays ne font pas figure d’exception : une vingtaine d’institutions indépendantes des polices qu’elles contrôlent sont répertoriées par l'Independent Police Complaints authorities network (ICPAN). Toutes n’ont toutefois pas le pouvoir de sanctionner les forces de l’ordre.
Policiers ou non-policiers ? La question de l’impartialité des enquêteurs
Le recrutement est un autre critère différenciant. L’IGPN, « ce sont des policiers qui jugent des policiers, sous le contrôle d’autres policiers », résume Sébastian Roché. Dans certains pays, les profils des enquêteurs sont plus hétérogènes, mêlant policiers et non-policiers, comme au Royaume-Uni et en Belgique. Outre-Manche, le Bureau indépendant sur la conduite de la police ne recrute que des non-policiers.
Des efforts qui n’empêchent pas la critique : en janvier dernier, la BBC a épinglé des dysfonctionnements, notamment des agents accusés à tort et des méthodes d’enquête contestées.
Une culture de la transparence plus forte au Royaume-Uni
Nos voisins européens sont également plus zélés en matière de transparence. La plupart des instances de contrôle des policiers ont leur propre site web, contrairement à l’IGPN, qui ne publie qu'un rapport annuel. Au Royaume-Uni, elle publie tous ses rapports et des données statistiques téléchargeables. « On peut par exemple télécharger tous les chiffres des contrôles d’identité effectués par la police », explique Sébastian Roché. « L’IGPN n’a pas cette culture de la transparence », constate-t-il, attribuant cette responsabilité au ministère de l’Intérieur.
Des coquilles vides dans d’autres pays ?
Dans les méthodes de travail, celles de nos voisins européens sont similaires aux nôtres. Des auditions sont menées pour chaque enquête. « L’IGPN s’est beaucoup professionnalisée », souligne Sébastian Roché, avec « une sélection très forte » des agents. Les policiers de l’IGPN sont « assermentés, recrutés sur profil et formés » pour enquêter « à charge et à décharge », a expliqué à l’AFP Olivier Hourcau, secrétaire général adjoint du syndicat Alliance.
« Des organes de contrôle de la police existent dans de très nombreux pays », constate le chercheur qui a étudié ceux de l’Afrique de l’Ouest, du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient. « Mais ils sont parfois totalement dysfonctionnels », par manque de moyens ou d’indépendance.
« Mais si on se compare à nos voisins européens, le système français est très perfectible en matière d’indépendance, de transparence et d’impartialité », résume-t-il.