Attaquer l’État en justice est-il le nouveau moyen de faire entendre sa cause?
DROIT ADMINISTRATIF•Le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) doit rendre sa décision, ce mardi, après avoir été saisi par une femme qui estime que l’État ne lutte pas assez contre la pollution de l’airVincent Vantighem
L'essentiel
- Une mère et sa fille ont attaqué l’État en justice pour « carence fautive » en matière de lutte contre la pollution.
- Les associations qui les soutiennent ont parlé de cette affaire comme une « première en France ».
- Mais loin d’être une « première », cette action est surtout un moyen pour elles de faire entendre leurs causes.
Comme un sentiment de déjà-vu. Ce mardi, le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) doit rendre sa décision après avoir été saisi par Farida, une mère de 52 ans et sa fille de 16 ans qui ont attaqué l’État pour « carence fautive » en matière de lutte contre la pollution de l’air. Contraintes de déménager de Saint-Ouen à Orléans (Loiret) en raison des pics de pollution, elles réclament 160.000 euros de dommages et intérêts.
Lors de l’audience, le 28 mai, elles ont été soutenues par plusieurs associations environnementales qui ont mis en avant le côté historique de leur action. Une « première » pouvait-on lire dans tous les journaux, y compris dans 20 Minutes. En réalité, les mêmes associations avaient déjà évoqué, en juin 2017, le cas similaire de Clotilde Nonnez, une autre victime de la pollution qui réclame 140.000 euros, parlant là aussi d’une « première ». A l’époque, 20 Minutes avait d’ailleurs déjà consacré un article à ce sujet.
« En 2017, avec Clotilde Nonnez, il s’agissait du "premier" dossier déposé en justice contre l’État. Cette année, avec Farida et sa fille, il s’agit de la "première" audience au tribunal, sourit Olivier Blond, président de l’association Respire, en insistant sur la nuance. C’est vrai… On essaye d’être le plus malin possible pour intéresser les médias à notre cause. » Quitte à tordre quelque peu la réalité…
L’État multicondamné ces dernières années
Car attaquer l’État en justice est aujourd’hui devenu un nouveau moyen de faire entendre sa voix. Ces dernières années, l’État a dû verser des dommages et intérêts à un détenu non-fumeur contraint de passer 120 jours dans une cellule enfumée par son voisin, aux familles des victimes du crash de Charm-el-Cheikh (Egypte) pour « mauvais fonctionnement de la justice » ou encore aux parents d’un enfant autiste dont la prise en charge était défaillante. Sans parler évidemment de « L'Affaire du siècle », l'action lancée fin 2018 par quatre associations pour contraindre l’Etat à respecter ses engagements climatiques…
Et ce ne sont là que quelques exemples. « Il n’y a pas de statistiques publiques sur le sujet mais attaquer l’État devient un réflexe simple, témoigne Julian Lalanne, avocat en droit administratif et auteur d’un blog sur le sujet. Tout simplement parce que l’État est solvable et que ses responsabilités sont tellement larges. »
Quelques Zorro et beaucoup d’associations
Cela reste tout de même une démarche d’initiés. Rares sont les Français qui se lèvent le matin avec la ferme intention de se lancer dans la rédaction d’une assignation de l’État devant le tribunal administratif. « Il y a bien quelques Zorro, constate Julien Lalanne. Mais la plupart des actions sont montées par des associations qui se cachent, en fait, derrière certains de leurs adhérents qui ont ce qu’on appelle en droit ''intérêt à agir''… »
Questionné à ce propos, Olivier Blond, de l’association Respire, reconnaît que plusieurs actions en cours ont été ficelées avec des militants de son association. « On assiste à une judiciarisation des combats écologiques, admet-il. Il y a 10 ans, on attaquait les pollueurs comme Total. Aujourd’hui, on attaque les pouvoirs publics. »
Notre dossier sur la pollution de l'air
Et, selon lui, il n’y a aucune raison de s’en satisfaire. « Si on utilise l’action en justice et qu’on sollicite les médias, c’est surtout parce que le reste n’a pas fonctionné… » Ce mardi, après que le tribunal administratif aura rendu son jugement, il ne serait pas étonnant de le voir parler, à nouveau aux médias, de Clotilde Nonnez dont le dossier sera, à son tour, examiné dans les prochains jours.