COMPTE-RENDUVIDEO.La charge de l’inspectrice contre les ex-dirigeants de France Télécom

VIDEO. Suicides à France Télécom: L’inspectrice du travail, qui avait lancé l'alerte, charge les anciens dirigeants

COMPTE-RENDUAu troisième jour du procès, Sylvie Catala, l’inspectrice du travail qui a enquêté sur la vague de suicides de salariés de l’entreprise, a dénoncé l’absence de réactions de la direction malgré plusieurs alertes
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Le procès de sept anciens dirigeants de France Télécom, poursuivis pour « harcèlement moral » et « complicités », s’est ouvert le 6 mai à Paris.
  • Une série de suicides a touché France Télécom entre 2007 et 2010, dont 35 au cours des seules années 2008 et 2009.
  • Interrogée par le tribunal, Sylvie Catala, inspectrice du travail à l’origine d’un signalement au parquet en 2010, a pointé l’absence de réaction de la direction sur les risques psychosociaux encourus par les salariés

Son nom revient inlassablement dans la bouche de ceux qui ont eu à jouer un rôle dans le dossier des suicides à France Télécom. À 58 ans, Sylvie Catala, ancienne inspectrice du travail, est considérée par beaucoup d’anciens salariés et représentants syndicaux comme celle à l'origine de l'affaire. Le 4 février 2010, après cinq mois d’enquête, elle écrit au procureur de la République de Paris pour signaler – comme son statut de fonctionnaire l’y oblige – des faits de « harcèlement » et de « mise en danger de la vie d’autrui » au sein de l’entreprise.

Secouée par une vague de suicides dans un contexte de réduction massive des effectifs, France Télécom et plusieurs de ses dirigeants se retrouvent, quelques mois après la remise de son rapport, dans le viseur de la justice. Dix ans plus tard, Sylvie Catala s’est avancée d’un pas décidé, ce jeudi, face aux magistrats chargés de juger sept ex-cadres de l'entreprise pour «harcèlement» et «complicité».

Cinq mois d’enquête

Des 84 pages de son rapport, Sylvie Catala n’a rien renié. Avec aplomb, elle est longuement revenue sur la méthodologie utilisée entre septembre 2009 et février 2010 pour boucler son enquête. « Très vite, des documents sont arrivés de la part de mes collègues sur l’ensemble du territoire qui faisaient tous état de risques psychosociaux (…) Entre-temps j’ai reçu des dossiers transmis par la direction du travail et j’ai compilé des documents des organisations syndicales, des rapports de la médecine du travail », a-t-elle relaté.

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Ses conclusions sont sans équivoque : « Les atteintes à la santé mentale, l’absence de prise en compte des risques psychosociaux liés aux réorganisations sont le résultat d’une politique mise en œuvre sur tout le territoire national au cours de la période 2006-2009. La responsabilité de cette politique et de ses effets n’incombe pas à chaque directeur d’unité France Télécom qui n’ont fait qu’appliquer des décisions et des méthodes prises au plus haut niveau du groupe », écrit-elle alors.

Des pratiques brutales « inévitables »

Pour bâtir son enquête, Sylvie Catala s’appuie également sur les conclusions d'une étude réalisée en 2009 par le cabinet Technologia. Mandatés par la direction, les experts relèvent : « Moins que la mobilité, c’est la brutalité des réorganisations, des injonctions et des pressions à la mobilité qui ont été mal perçues ». Une analyse partagée par l’inspectrice du travail à la lecture des lettres laissées par certains salariés qui se sont suicidés et par d’autres qui ont tenté de le faire.

« « Je n’avais jamais eu autant d’écrits de gens qui disaient leur mal-être à cause de leur emploi et vouloir mettre fin à leurs jours à cause de leur travail (…) J’ai 27 ans d’inspection du travail, et des lettres comme ça, je n’en ai jamais eu » »

Au-delà des mots, c’est le système dans lesquels s’exprime cette souffrance au travail qui interpelle l’inspectrice. En 2006, après un échec des négociations avec les syndicats, la direction de France Télécom prend une « décision unilatérale » pour « réorganiser la formation » des 110.000 salariés que compte l’entreprise, mais aussi toutes les mobilités, professionnelles comme géographiques. Au total, 22.000 départs doivent intervenir sur cette période et 10.000 métiers doivent changer. « Les pratiques brutales sont inévitables à partir du moment où on fait tout poser sur les individus. Les managers étaient évalués sur la façon dont ils géraient leurs services. On leur disait « Il faut une, deux ou trois personnes en moins dans ton équipe, débrouille-toi ! », souffle l’inspectrice.

Résultat, des cadres dérivent. « Il y avait les exécutants, ceux qui protégeaient leurs équipes ou s’opposaient à la direction, et ceux qui faisaient du zèle, qui allaient bien au-delà de ce qu’on leur demandait », poursuit Sylvie Catala.

Une réaction trop tardive

Et le constat de l’inspectrice ne s’arrête pas là. Selon elle, la direction n’a pas pris la mesure de la « crise sociale » que traversait l’entreprise. « Outre l’inspection du travail, il y a eu les alertes lancées par les CHSCT puis le CNHSCT en 2007-2008, les alertes des médecins du travail et les alertes en 2008 du médecin coordonnateur qui disait que dans tous les rapports annuels les risques psychosociaux remontaient (…) Il y a eu un manquement », estime Sylvie Catala.

Chahutée par les avocats de la défense qui ont tenté de soulever la partialité de son rapport, ou de minimiser les chiffres des cas de salariés en souffrance, le témoin n’a pas cillé. Lorsque l’avocat de l’ancien DRH souligne que les demandes d’expertises relevées par Sylvie Catala dans son rapport représentent une minorité sur l’ensemble effectué par les 250 CHSCT entre 2006 et 2009, elle tacle : « Et alors ? Vu la gravité des faits évoqués dans ces rapports, oui ça aurait dû attirer l’attention de la direction ».

Le procès doit se poursuivre jusqu'au 12 juillet.