INVESTIGATIONSL’enquête sur la sécurité le soir de l'attentat de Nice franchit un cap

Attentat de Nice: L’enquête sur les mesures de sécurité, centrée sur la vidéosurveillance, franchit un cap important

INVESTIGATIONSLes juges d’instruction envisageraient aujourd’hui d’élargir l’enquête à la qualification d'«homicide et blessures involontaires»
Fabien Binacchi

F.B. avec AFP

L'essentiel

  • En parallèle à l’instruction sur l’attentat en lui-même, une enquête est ouverte sur les mesures de sécurité en vigueur le soir du 14 juillet 2016 à Nice.
  • Après l’audition de protagonistes majeurs, elle se concentre désormais sur la vidéosurveillance de la ville de Nice.
  • Les juges qui mènent des investigations pour « mise en danger de la vie d’autrui » envisageraient de les élargir à la qualification d'« homicide et blessures involontaires ».

Avec l’audition récente de protagonistes majeurs, l’enquête sur les mesures de sécurité déployées lors de l’attentat de Nice en 2016 a franchi un cap. Les juges d’instruction chargés de mener des investigations pour « mise en danger de la vie d’autrui » envisageraient aujourd’hui de les élargir à la qualification d'« homicide et blessures involontaires », davantage susceptible de déboucher sur un procès.

Depuis deux ans, ces magistrats se sont en particulier intéressés à la vidéosurveillance et ses éventuelles failles, dans une ville de France parmi les plus équipées en caméras : Nice compte en permanence 15 à 20 agents postés devant des écrans au « Centre de supervision urbaine » (CSU), à l’initiative du maire LR Christian Estrosi, lui-même récemment entendu sous le statut de témoin assisté.

« Une formation sur le tas » au centre de vidéosurveillance

Dans les jours précédant l’attentat, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l’auteur de l’attaque qui a coûté la vie à 86 personnes, avait multiplié les infractions sur la Promenade des Anglais au volant du poids lourd qu’il utilisera pour perpétrer l’attentat attaque, sans être repéré. « On ne l’a pas vu. Il y a tellement de camions qui passent, notamment pour livrer les plages, donc ce n’est pas évident », a répondu aux enquêteurs une opératrice, qui dit avoir été « formée par [des] collègues plus anciens ».

Le système de vidéosurveillance de la ville est « sophistiqué », mais « confié à des fonctionnaires sans réelle formation », selon l’enquête, qui évoqué « une formation sur le tas » et « une méconnaissance des arrêtés réglementant la circulation ».

Une trentaine d’agents de la vidéosurveillance de Nice ont été entendus et leurs documents de travail examinés. « Pour les journées des 11,12, 13 et 14 juillet, aucune consigne relative à la surveillance de la Promenade des Anglais n’y était mentionnée », selon un rapport d’enquête. « Qui peut croire que s’agissant d’un attentat terroriste, un des plus meurtriers, il aurait pu être évité par une formation à la circulation, exigée par aucun cadre réglementaire ?, s’est défendue la mairie auprès de l’AFP. Concernant les opérateurs du CSU, il n’existe aucun cadre réglementaire imposé par le ministère de l’Intérieur qui définit les formations de polices municipales. Pour autant, à Nice, nos [agents] reçoivent une formation interne dispensée par des agents également formateurs pour d’autres municipalités. »

« Nous n’avons jamais imaginé un camion de 19 t »

Au fil des 4.000 pages de dossier, les juges d’instruction ont aussi cherché à savoir qui a décidé de renoncer à un dispositif de barrières et filtrage du public, et pourquoi aucun plot, même en plastique rempli d’eau ou de sable, n’a été posé pour protéger la foule. « C’est simple et peu coûteux. Que ce soit une Twingo ou un 19 tonnes, ça ne passe pas ! », critique Me Yassine Bouzrou, l’avocat qui défend les parents d’un garçonnet mort dans l’attaque, à l’origine de la plainte, rejoint depuis par quelque 150 parties civiles.

S’agissait-il d’un manque de temps, de moyens, d’effectifs ? « Nous n’avons jamais imaginé un camion de 19 tonnes », a récemment répondu aux juges qui l’interrogeaient François-Xavier Lauch, directeur de cabinet du préfet de l’époque, aujourd’hui chef de cabinet d’Emmanuel Macron, lui aussi entendu sous le statut de témoin assisté.

Celui qui a reconnu avoir joué un « rôle clé » dans la validation du choix du dispositif de sécurité a aussi assuré que la menace d’un camion-bélier n’avait jamais été envisagée « au cours des préparations de l’Euro [2016 de football organisé en France] » qui s’était achevé le 10 juillet. « Le fait qu’un individu ait pu se mettre au volant d’un 19 tonnes et arriver à une telle vitesse était pour moi inenvisageable et inenvisagé », a-t-il déclaré, selon ces éléments de l’enquête. En plein état d’urgence, la menace était pourtant suffisamment élevée pour que la mairie interdise les kermesses dans les écoles.