Meurtre de la joggeuse de Bouloc: Pourquoi Laurent Dejean se retrouve ce jeudi dans le box des accusés ?
PROCES•Ce jeudi s'est ouvert le procès de Laurent Dejean, meurtrier présumé de la «joggeuse de Bouloc». Si plusieurs indices mènent à cet homme instable, des questions restent en suspens en l'absence de preuves directesBéatrice Colin
L'essentiel
- Patricia Bouchon a été tuée le 14 février 2011, à Bouloc, près de Toulouse, alors qu’elle faisait son jogging matinal.
- Le corps de la mère de famille de 49 ans a été retrouvé 45 jours après sa disparition.
- Quatre ans après le meurtre, Laurent Dejean, un plaquiste de la commune, a été mis en examen en raison d’un faisceau d’indices « graves et concordants », mais sans preuve matérielle.
- Son procès a débuté ce jeudi devant la Cour d’assises de la Haute-Garonne et doit s’achever le 29 mars.
Le 14 février 2011, vers 4h30, Patricia Bouchon, secrétaire dans un cabinet d’avocats toulousain, quittait sa maison de Bouloc pour faire ses 4,5 km de jogging quotidien. Inquiet de ne pas la voir revenir, son mari donnait rapidement l’alerte et d’importants moyens étaient déployés.
Le lendemain, dans un chemin situé à la sortie du village, des traces de sang et des objets appartenant à la mère de famille de 49 ans étaient retrouvés. Interrogé, un couple de riverains mentionnait alors qu’il avait entendu dans la nuit les cris d’une femme et les pleurs et excuses d’un homme.
C’est un chasseur à la recherche de son chien égaré qui retrouvera son corps le 29 mars, caché dans une buse, sous un pont, à 12 km de son lieu de la disparition. L’autopsie de la victime va montrer qu’elle a été frappée et étranglée.
Ce jeudi s’est ouvert, devant la Cour d’assises de la Haute-Garonne, le procès de son meurtrier présumé, Laurent Dejean, mis en examen en février 2015. Cet homme de 39 ans, sujet à des troubles psychiatriques, a toujours nié être l’auteur de ce crime. Si de nombreux éléments semblent l’accuser, aucune preuve matérielle ne le lie directement au meurtre.
Un profil et un comportement troublants
Quelques jours avant l'ouverture de son procès, Laurent Dejean était hospitalisé pour « décompensation psychologique ». Son expertise psychiatrique, réalisée au cours de l’instruction, a montré que ce plaquiste souffrait de schizophrénie paranoïde. Des troubles qui se sont accentués au moment du meurtre de Patricia Bouchon.
Ce dont vont témoigner plusieurs de ses proches, y compris son ex-petite amie. Quelques jours seulement après la disparition de la mère de famille, il sera hospitalisé en psychiatrie. A son patron, il dira pourtant que s’il ne revient pas, c’est à cause d’une tendinite.
Notre dossier sur l'affaire Bouchon
C’est un des éléments qui ont participé à forger la conviction des gendarmes en charge de l’enquête. Au même titre que son attitude lorsqu’il apprend qu’un de ses collègues de travail va faire l’objet d’un prélèvement ADN. Ce jour-là, il quittera précipitamment l’entreprise. Et arrêtera de consommer de la drogue, alors qu’il était connu pour être accro à diverses substances.
Une Clio et un portrait-robot
Mais, c’est un témoignage qui va changer le cours de l’enquête et conduire, quatre ans après les faits, à la mise en examen de Laurent Dejean.
Quelques jours après la disparition de Patricia Bouchon, un homme s’est présenté aux gendarmes pour leur signaler qu’il avait croisé le 14 février la joggeuse vers 4 h 35 du matin en train de courir. Et quelques secondes plus tard, l’automobiliste a indiqué qu’il avait évité de justesse une Clio, stationnée tous feux éteints sur la chaussée, et dont le conducteur a démarré en trombe après avoir croisé sa route.
Grâce à ce témoin les enquêteurs vont dresser un portrait-robot, qui sera diffusé le 16 octobre 2013.
Pas moins de 37 personnes, notamment des proches, vont indiquer qu’ils reconnaissent Laurent Dejean dans ce portrait-robot. Ils sont aussi nombreux à confirmer que ce dernier a possédé durant un temps un Clio, dont il se serait débarrassé 2 ou 3 jours après le meurtre.
Des déclarations troublantes
Lorsqu’il est entendu pour la première fois par les gendarmes, dans les premiers jours après de l’enquête, Laurent Dejean leur a expliqué qu’il avait aperçu des membres des forces de l’ordre sur le chemin le 14 février à 7h du matin. Sauf que ce n’est que le 15 février que ce lieu a été identifié comme étant le lieu du meurtre.
Des années plus tard, alors qu’il est placé en garde à vue, il va embrasser devant les enquêteurs une photo de la victime. Pierre-Yves Couilleau, procureur de la République de l’époque, racontera que Laurent Dejean aurait alors dit : « J’ai fait mon deuil pour Patricia Bouchon, je n’y pense plus ».
De l’ADN, mais pas celui de Laurent Dejean
Autant d'indices «solides et concordants qui convergent tous vers Laurent Dejean», souligne Léna Baro, l'avocate de la famille de Patricia Bouchon. Mais aucune preuve matérielle directe pour le confondre. Si des traces d’ADN masculin ont été retrouvées sur des mégots ou sur les vêtements de Patricia Bouchon, « on ne retrouve pas du tout celui de Laurent Dejean où il y en a forcément eu, puisqu’il y a eu agression et donc contact », plaide Guy Debuisson, l’un de ses avocats.
Ce dernier remet aussi en cause le témoin principal, celui qui a certainement croisé la route du meurtrier à la Clio. Lors d’un « tapissage », cette procédure qui consiste à désigner le suspect parmi plusieurs autres personnes, « il va reconnaître quelqu’un d’autre », poursuit l’avocat.
Un procès mais sans le soutien de l’accusation
Des éléments concrets qui manquent au dossier et qui ont poussé il y a un an l’avocat général à ne pas soutenir le renvoi de Laurent Dejean devant les Assises. « On a toujours dit que le parquet est un et indivisible, je suis persuadé que lors du procès l’avocat général viendra confirmer ce que son collègue a déjà dit », poursuit Guy Debuisson pour qui c’est au ministère public de porter l’accusation et d'apporter la preuve.
Une relaxe que la famille de Patricia Bouchon n’ose pas envisager, mais à laquelle elle se prépare. « Cela fait quatre ans qu’il est incarcéré, toutes ses demandes de sortie ont été rejetées, c’est bien qu’il y a des éléments contre lui », relève la fille de la victime, Carlyne Bouchon.