Marseille : «Balisage, traquenard et course-poursuite», le récit des survivants d’un des règlements de comptes les plus marquants
JUSTICE•Mounir Ahamadi et Omar Mhoumadi, deux survivants d’un règlement de comptes à Marseille, étaient auditionnés pour « association de malfaiteurs »…Adrien Max
L'essentiel
- Mounir Ahamadi et Omar Mhoumadi, étaient auditionnés pour « association de malfaiteurs » dans le cadre du règlement de compte du tunnel du Vieux-Port en 2015.
- Ils sont les seuls survivants de ce règlement de compte du côté des « gitans ».
«Les détonations des kalachnikovs à l’intérieur du tunnel étaient hallucinantes. Ça faisait un tel bruit d’armes de guerre que je ne sais pas si des coups ont été tirés depuis notre véhicule », tente de se remémorer Omar Mhoumadi.
Il répond aux questions du président de la 7e chambre du tribunal correctionnel de Marseille, alors qu’il est poursuivi pour « association de malfaiteurs », en compagnie d’El Mounir Ahamadi. Deux armes de poing ont été retrouvées juste après l' assassinat de leurs amis Mohamed Mhoumadi, surnommé « Babouin » et d’Anthony Costa, son lieutenant supposé.
El Mounir Ahamadi et Omar Mhoumadi sont, avant tout, les seuls survivants du côté des « gitans » de ce terrible règlement de compte dans le tunnel du Vieux-Port en novembre 2015. Un des épisodes les plus marquants de la guerre que se livrent le clan des « blacks » et celui des « gitans » pour le contrôle du trafic de stupéfiant à Marseille. Particularité de ce procès, quatre supposés membres des « blacks » comparaissent sur le même banc des prévenus, pour avoir balisé la voiture de « Babouin ».
« Un véritable traquenard »
C’est d’ailleurs de ce « balisage », que cet épisode meurtrier part. Après avoir repéré une balise sur son véhicule, « Babouin était en pleine parano, il pensait que c’était une bombe, il partait dans tous les sens », relatent à la fois Omar Mhoumadi et El Mounir Ahamadi. Les quatre hommes passent la nuit dans un hôtel d’Aix-en-Provence le 8 novembre, puis rencontrent le lendemain les avocats de « Babouin », pour qui le balisage « vient de la police ».
Pour en avoir le cœur net, ils décident de déposer l’Audi A5 de « Babouin », dans le 11e arrondissement « sous une caméra de vidéosurveillance afin d’avoir des preuves », assure El Mounir Ahamadi, et partent manger à la Ciotat. Mais les dépositions devant les enquêteurs, puis celles devant les juges, diffèrent. « Vous être sûrs que vous n’êtes pas restés dans les parages pour vérifier si quelqu’un s’approchait de la voiture ? », interroge Patrick Ardid, le président. « Certains », affirme Omar en cherchant du regard son compère.
Une fois de retour chez « Babouin », ils décident de quitter son domicile, « un véritable traquenard de par la disposition des lieux, en impasse », fait remarquer le président. « J’ai vu une camionnette Ford passer avec deux mecs à l’intérieur. J’ai essayé de les suivre, mais je n’y suis pas parvenu et j’ai prévenu les autres », assure El Mounir Ahamadi.
« J’ai pensé qu’ils voulaient se tirer la bourre »
Tous prennent la direction de Marseille à bord d’une BMW grise, de location, « une dizaine de minutes après le passage du fourgon Ford. J’étais crevé, je devais rentrer chez moi. "Babouin" et Anthony devaient aller à l’hôtel », explique El Mounir. « Pas pour les prendre en chasse ? », s’interroge le président.
Selon les images de vidéosurveillance du tunnel Prado Carénage, visionnées pendant l’audience, la BMW grise n’arrive qu’une vingtaine de secondes après le véhicule Ford. Sur la droite de l’écran, une BMW blanche temporise en attendant le passage de la grise au péage…
« On a essayé de la doubler, mais elle ne nous laissait pas passer. J’ai pensé qu’ils voulaient se tirer la bourre comme c’est souvent le cas à cette heure-ci », se remémore Omar Mhoumadi. Plutôt que de sortir vers le Vieux-Port, El Mounir Ahamadi suit le véhicule sur ordre de « Babouin », affirme les deux survivants.
« Est ce que mes cousins ont été touchés ? »
Une fois au niveau de la BMW blanche sous le tunnel du Vieux-Port, les deux passagers arrière, cagoulés, les « arrosent » à la kalachnikov. El Mounir freine brusquement et entame une marche arrière. Les quatre occupants prennent finalement la fuite. El Mounir décroche le téléphone d’urgence du tunnel et contacte le PC sécurité à 23h55.
« Venez me chercher, je me suis fait tirer dessus. Je suis caché, je n’ai plus de balles. Est ce que mes cousins ont été touchés ? », s’inquiète-t-il. « Oui au moins un, monsieur », rétorque l’agent. « Elle est partie la voiture ? » « Oui monsieur ». »
Pour El Mounir, l’évocation des balles est un réflexe. « Je venais d’entendre ça dans la voiture, mais je n’étais pas armé. » Omar Mhoumadi aperçoit « Babouin » se prendre trois coups de crosse alors qu’il est déjà mort, puis s’approche d’Anthony Costa, qui ne survivra pas à ses graves blessures.
« On est des victimes avant tout »
« Pourquoi avoir récupéré son arme avant de la jeter dans une plaque d’égout, en prenant le soin de mettre des gants, sans même vous soucier de lui ? », l’interroge Patrick Ardid. « On venait de se faire tirer dessus. Je l’ai récupéré pour me défendre s’ils revenaient. Ensuite, je ne voulais pas qu’on me soupçonne d’avoir tiré, quand la police est arrivée, je leur ai tout de suite dit ou elles étaient. Et on s’est occupé d’Anthony », se défend Omar Mhoumadi. Les images de vidéosurveillance viennent corroborer son témoignage.
El Mounir Ahamadi est directement conduit à l’Évêché « avec le préfet, dans sa voiture », sans même passer par l’hôpital « alors qu’on est des victimes avant tout », regrette-t-il. Ils seront ensuite poursuivis pour « association de malfaiteur ». Leurs avocats comptent plaider la relaxe dans ce procès qui dure jusqu’à vendredi.