REFORMELe tribunal criminel, la «révolution» du gouvernement pour juger les viols

Tribunal criminel départemental: La «révolution» du gouvernement pour juger les viols signera-t-elle la fin d'un «déni de justice»?

REFORMELe gouvernement propose d’instaurer un nouveau tribunal, le tribunal criminel départemental, chargé de juger les crimes punis de 15 et 20 ans de réclusion criminelle…
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Aujourd’hui, seule la cour d’assises est habilitée à juger ces crimes.
  • Le gouvernement espère désengorger les assises et réduire les délais pour les victimes en créant un nouveau « tribunal criminel départemental ».
  • Le dispositif entend également lutter contre le phénomène de « correctionnalisation » des viols et agressions sexuelles.

C’est une petite révolution, préparée en toute discrétion. En mars dernier, la ministre de la Justice a créé la surprise en évoquant pour la première fois l’expérimentation d’un tout nouveau tribunal. Instauré par l’article 42 de la réforme de la Justice présentée ce vendredi en Conseil des ministres, ce projet pourrait se généraliser après trois années de test. Cette juridiction inédite, intitulée « tribunal criminel départemental » (TCD), pourrait désormais juger les crimes punis de 15 et 20 ans de réclusion criminelle.

En France, seule la cour d’assises est aujourd’hui habilitée à juger les viols, les meurtres ou les vols à main armée. Composée de jurés citoyens tirés au sort et d’un magistrat professionnel, l’audience aux assises repose sur « l’oralité » des débats et nécessite un temps long pour entendre les témoins, les victimes, les experts et l’accusé. Pour justifier la mesure, le gouvernement évoque « l’engorgement actuel des cours d’assises » et les « retards d’audiencement » pour lesquels la France a déjà été condamnée par la CEDH. Saluée par certaines victimes, notamment de viol, la mesure inquiète les avocats.

Dix ans d’attente

Jean-Pierre Escarfail tient aux chiffres. Père d’une des victimes de Guy Georges et fondateur de l’Association pour la protection contre les agressions et crimes sexuels (APACS), ce docteur ès sciences à la retraite milite depuis dix ans pour l’instauration de ce type de tribunal. Selon lui, cette nouvelle juridiction permettrait de lutter contre la « correctionnalisation » des viols. « Il y a un déni de justice dramatique, le viol est considéré comme un crime dans le Code pénal mais sur le terrain, on le juge majoritairement comme un délit », souffle-t-il.

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Tableaux Excel à l’appui, il ajoute : « En 2015, on a recensé 17.600 plaintes pour viols. Parallèlement, on a dénombré pour ces mêmes faits un millier de condamnations ». Aux classements sans suite souvent décidés faute « d’infraction suffisamment caractérisée », s’ajoute ainsi la requalification des faits en agression sexuelle. « Un des viols de Guy Georges avait été correctionnalisé. Il n’avait été condamné qu’à 5 ans de prison et quand il est sorti, il a recommencé », se souvient Jean-Pierre Escarfail.

« Un dispositif particulièrement lourd »

Installés dans une dizaine de départements, les nouveaux tribunaux criminels départementaux ne seront plus composés de citoyens mais seulement de magistrats professionnels. L’objectif affiché par le ministère de la Justice : gagner du temps et de l’argent. « Cette expérimentation permettra de déterminer si le tribunal criminel constitue une réponse appropriée et opportune afin de répondre à l’engorgement actuel des cours d’assises (…) et aux retards qu’il provoque, retards qu’il n’est plus possible de tolérer, tant dans l’intérêt des accusés que de celui des victimes », avance le porte-parole de la place Vendôme, Youssef Badr.

« Quand les magistrats correctionnalisent les viols, ils expliquent aux victimes que c’est pour lutter contre les délais très longs, que c’est [un procès aux assises] un dispositif particulièrement lourd qui dure plusieurs jours voire plusieurs semaines, que c’est face à un jury populaire et que le verdict est moins prévisible qu’une audience menée par des juges professionnels », précise Pauline Rongier, avocate pénaliste au barreau de Paris spécialisée dans la défense de victimes de viol. Si elle juge l’alternative du tribunal criminel « infiniment mieux » que la correctionnalisation, elle craint l’instauration d’une « distinction » dangereuse entre certains crimes.

La fin de l’oralité et le risque de « glissement »

Fustigeant l’absence de « concertation » sur le sujet, le conseil national des barreaux (CNB) qui regroupe les avocats de France, est farouchement opposé au projet. Cela « aboutit à une extension de la correctionnalisation pour tous les crimes qui fait primer la gestion des flux et l’approche budgétaire sur la qualité du procès d’assises ». Autre argument avancé par les opposants au projet : le risque d’une « hiérarchisation » des crimes.

Les faits les plus graves impliquant des actes de barbarie, de torture ou des cas en récidive, resteront jugés aux assises. Mais les viols, vols à main armée et coups et blessures pourront, eux, se retrouver face aux magistrats professionnels des tribunaux départementaux. « Les viols sont justement le type de crime qui nécessite une attention particulière et un temps long. On voit parfois en correctionnelle des faits de viols sur de jeunes victimes audiencés en 1h30, rien ne nous garantit que le tribunal criminel n’évolue pas de cette façon. Ensuite, s’il existe dans les faits une hiérarchisation avec l’échelonnement des peines encourues, le fait d’instaurer une dichotomie procédurale pose un sérieux problème », s’inquiète Pauline Rongier.

Un argument balayé par Jean-Pierre Escarfail, auteur d’Assassinée, tu vis dans l’Eternité (ed. Michel de Maule) : « Devant la réalité des faits, l’argument qui consiste à dire que ça pourrait "minorer" ces crimes ne tient pas puisque les viols sont de toute façon majoritairement correctionnalisés. Ce tribunal ne remplacera pas les assises mais remplacera ces audiences correctionnelles ». ​