Surpopulation carcérale: «Les prisons ne servent plus qu’à mettre les personnes à l’écart»
INTERVIEW•Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, livre ses réflexions à « 20 Minutes » à l'occasion de la publication ce mercredi de son rapport annuel…Propos recueillis par Vincent Vantighem
L'essentiel
- La contrôleuse des prisons publie, ce mercredi, son rapport annuel.
- Adeline Hazan livre des pistes pour résoudre le problème de surpopulation.
- Selon elle, le projet de loi préparé par le gouvernement est « insuffisant ».
«Tout a été écrit sur la situation des prisons… » Cela pourrait passer pour un aveu de lassitude voire pire, de résignation. Mais pas du tout. En attaquant son rapport annuel par cette formule, Adeline Hazan, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, entend surtout faire comprendre au gouvernement qu’il est temps de faire quelque chose pour les prisons françaises.
Au 1er décembre 2017, le taux de densité carcérale atteignait les 118 %. Et même les 141 % dans les maisons d’arrêt qui abritent 70 % des prisonniers français (les prévenus en attente de leur procès). Avant de rendre public, ce mercredi, son rapport annuel appelant Emmanuel Macron à faire preuve de « courage » en la matière, Adeline Hazan a accepté de livrer ses réflexions pour 20 Minutes…
En décembre, plus de 1.500 détenus dormaient sur des matelas posés à même le sol, faute de places de prison. Qu’est ce que cela vous inspire ?
Que la prison ne sert plus aujourd’hui qu’à garder les personnes, à les mettre écart de la société. Et non pas à les réinsérer comme le prévoit pourtant la loi. Et surtout à éviter la récidive. Ce n’est pas nouveau. Nous répétons cela depuis dix ans au Contrôle général. Déjà dans les années 1980, Robert Badinter expliquait que la prison avait du mal à jouer son rôle. Ce n’est plus le moment de faire un nouveau rapport sur la situation. Il faut passer aux actes.
Le 6 mars, Emmanuel Macron a fait plusieurs annonces sur le sujet. Un projet de loi doit d’ailleurs être présenté, en avril, en conseil des ministres. N’est-ce pas la « volonté politique » que vous appelez de vos vœux ?
Je fais une analyse un peu mitigée de la situation. Certes, le discours du président de la République était très fort. Il a clairement expliqué que l’incarcération devait être le dernier recours et non pas la panacée. Mais lorsque l’on regarde les orientations du projet de loi, il y a beaucoup de choses décevantes…
aLesquelles ?
La proposition de supprimer les très courtes peines de prison est très bien. Mais sur le reste… Emmanuel Macron a expliqué que les peines de 1 à 6 mois de prison devaient être purgées ‘’prioritairement’’ à l’extérieur des prisons (bracelets électroniques, semi-liberté…). De fait, cela laisse une large place au libre arbitre aux magistrats qui peuvent encore choisir la prison. Et puis surtout, il a décidé de supprimer la possibilité d’aménager les peines allant de 1 à 2 ans de prison. Cela risque d’anéantir les bénéfices de la première mesure…
Comment expliquez-vous que les hommes politiques ont autant de réticences à agir pour les prisons ?
C’est un dossier extrêmement compliqué pour les autorités. D’abord parce qu’il faut attendre quelques années avant de voir les effets des mesures que l’on prend. Et puis surtout parce que ce sont des décisions qui ne sont pas forcément faciles à prendre du point de vue électoral.
Pour obtenir des résultats, ne faudrait-il pas aussi agir sur le travail des magistrats ?
Oui, il faudrait d’abord un changement de culture de leur part. Mais pour cela, il faut leur donner les moyens de prononcer des aménagements de peine. La procédure actuelle demande aux magistrats de juger très vite les personnes et sans disposer des informations nécessaires sur les personnes. Pour les mettre sous bracelet électronique par exemple, il faut savoir où elles habitent, qui peut les héberger, si elles travaillent et dans quelles conditions. Emmanuel Macron a annoncé un renfort de 1.000 ou 1.500 agents de probation sur plusieurs années. Mais il en faut davantage pour vraiment changer les choses.
La France ne parviendra donc pas, selon vous, à mettre en place l’encellulement individuel en 2019, comme elle s’y était pourtant engagée ?
Je ne le crois pas, non. Je rappelle que le principe de l’encellulement individuel a été inscrit dans la loi en 1875. Et réaffirmé par la loi Guigou en 2000. Depuis, on ne fait que voter des moratoires pour repousser l’échéance. En 2019, c’est évident que nous ne serons pas prêts…
Vous êtes très pessimiste tout de même ?
Je note qu’il y a du courage dans le discours. Mais il faudra voir dans la réalité. J’espère que le projet de loi sera amélioré par les députés. Tel qu’il est actuellement, c’est sûr qu’il n’est pas suffisant pour résoudre le problème.