Paris: Du sursis requis contre trois policiers jugés pour des violences sur des adolescents
PROCES•Dans ses réquisitions, la procureur a requis la relaxe d’un des policiers et demandé des peines allant de trois à cinq mois de prison avec sursis…Caroline Politi
L'essentiel
- Les policiers étaient poursuivis pour « violences volontaires aggravées ».
- Tous les fonctionnaires ont nié un usage disproportionné de la violence.
- Le jugement a été mis en délibéré au 4 avril.
Droit comme un « i » à la barre de la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Yassine M., longue liane à la fine moustache, est formel : son premier contrôle d’identité remonte à ses « 13 ou 14 ans ». Depuis, ces vérifications font partie de son quotidien ou presque, « quatre à cinq fois par semaine », estime-t-il. Elles ont presque toujours lieu dans le XIIe arrondissement de Paris, à proximité du quartier sensible de la dalle Rozanoff, sont quasiment systématiquement menées par les « Tigres », le surnom des policiers du groupe de soutien des quartiers (GSQ). Régulièrement, assure le jeune homme, ces contrôles sont accompagnés d’insultes, de violences ou de gestes humiliants.
Le 17 décembre 2015, 18 habitants du quartier, âgés de 14 à 23 ans, tous « Français d’origine étrangère », ont déposé plainte pour des violences, agressions sexuelles, séquestrations d’objets… Quelque 44 faits ont été passés au crible par l’IGPN, la police des polices, en charge de l’enquête. Si 39 d’entre eux ont été classés sans suite, notamment parce qu’ils n’étaient pas suffisamment étayés, quatre policiers étaient jugés mercredi et jeudi pour trois faits de « violences volontaires aggravées » à l’encontre de Yassine M., 17 ans au moment des faits et Julie B., 14 ans à l’époque.
« Quel intérêt de le ramener au commissariat ? »
Dans la rue comme dans cette chambre du tribunal, le dialogue semble au point mort. De part et d’autre, les versions s’opposent, se heurtent sans jamais s’accorder. A la barre, Yassine M. se remémore un contrôle remontant au 5 juillet 2014. Ce jour-là, raconte-t-il, il a été emmené au commissariat alors qu’il rentrait du supermarché. A l’écouter, son seul tort est d’être arrivé après un tir de mortier. « Un policier est venu vers moi et m’a mis les menottes, je ne savais même pas pourquoi. » Le jeune homme – dont le casier comporte trois mentions, outrage, recel de vol et violence - n’avait pas ses papiers d’identité pour le contrôle, justifie le prévenu, Thomas F., qui a depuis quitté « les tigres » pour s’installer dans le Sud-Ouest. « Quel intérêt de le ramener au commissariat ? », s’étonne la présidente. « On ne peut pas se servir de nos moyens de radio pour établir l’identité, c’est la procédure. »
Au commissariat, Yassine M. affirme que son téléphone a été fouillé puis qu’il a été interrogé sur du trafic de drogue, frappé à chaque fois qu’il indiquait ne rien savoir. « Une grosse claque très violente » et « des coups de poing dans les côtes », des blessures qu’il a fait constater le soir même aux urgences. « Le certificat ne reflète pas du tout la vérité », estime le policier. Il conteste chaque point du témoignage du jeune homme. « C’est impossible », répète-t-il à l’envi. « Certains éléments sont pourtant corroborés par des éléments de l’enquête de l’IGPN », note la présidente. Quid également de ce témoignage de la gérante de la pizzeria qui évoque l’attitude de « cow-boy » des fonctionnaires ce jour-là ? « Souvent, les gens nous considèrent comme ça, à cause de notre équipement, on a un gilet statique », estime son collègue Pierre A., qui vient d’être promu brigadier après 14 ans de carrière au sein de la GSQ
« On a souvent affaire à des individus qui peuvent être récalcitrants »
De ce procès, se dégage le sentiment d’un impossible dialogue entre habitants et policiers et d’une défiance mutuelle. Les prévenus vivent ce procès comme une injustice. « Je trouve ça dégueulasse ce qui nous arrive, lâche le brigadier-chef Franck P. (…) Je me sens plus victime et ma place n’est pas là. » Tous se défendent d’avoir fait preuve d’une violence disproportionnée mais estiment que la spécificité de leur mission les oblige parfois à devoir réagir. « On a souvent affaire à des individus qui peuvent être récalcitrants, violents ou armés », assure Pierre A. Dans un long propos préliminaire, la présidente du tribunal, a rappelé que l’enquête de l’IGPN avait confirmé l’existence d’un « phénomène de bandes » s’appropriant l’espace. En 2014 et 2015, les fonctionnaires sont régulièrement amenés à intervenir sur des tirs de mortiers, des dégradations ou des rodéos sauvages…
Mais le 3 mai 2015, à proximité de la piscine Daumesnil, point de tirs de mortier ou de dégradations. A la barre, dans un récit détaillé, Julie B. raconte avoir été insultée, poussée au sol dans des buissons puis avoir reçu des coups de tonfa sur la cuisse avant d’être « gazée à bout portant ». Elle s’est vu prescrire un jour d’ITT pour une hémorragie sous conjonctivale et des ecchymoses. L’adolescente explique avoir subi ces violences en allant demander à un policier pourquoi son petit ami faisait l’objet d’un contrôle après avoir fait un geste de « bisou » en direction des policiers.
Le brigadier-chef Franck P. astime l’avoir simplement repoussé, qu’elle est tombée en se prenant les pieds dans un grillage. Il affirme puis s’être senti en insécurité face à elle. « Vous ne vous sentiez pas en sécurité face à Julie, 14 ans et 1,60m ? », ironise l’avocate de la jeune fille Me Anaïs Mehiri. Et pourquoi alors ne pas avoir noté cette difficulté dans la main courante rédigée après l’opération. « Ça m’arrive souvent de me faire outrager, c’est comme ça, ça fait partie du métier. »
Des peines allant jusqu’à cinq mois avec sursis
Dans son réquisitoire, la procureure a requis la relaxe pour l’un des policiers et des peines allant de trois mois avec sursis à cinq mois avec sursis assortis d’une interdiction d’exercer pendant trois mois. Elle a fustigé des « violences tout à fait gratuites » à l’encontre du jeune homme pendant sa garde à vue et « un manque total de sang-froid » et une « violence disproportionnée » pour les policiers mis en cause dans les autres affaires. Néanmoins, a noté, sa collègue du ministère public, « on ne peut pas laisser dire que, de A à Z, tous les contrôles sont faits en toute illégalité. » La peine a été mise en délibéré au 4 avril.