Alexandre Soljenitsyne, l'écrivain qui a osé décrire les camps soviétiques

PORTRAIT Il était l'homme qui a donné un nom à l'univers inhumain des camps soviétiques, celui de l'Archipel du Goulag...

Avec agence
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Prix Nobel de littérature en 1970, il a été privé de sa citoyenneté soviétique en 1974 et expulsé d'URSS. Il a alors vécu en Allemagne, en Suisse puis aux Etats-Unis, avant de revenir en Russie en 1994 après la chute de l'URSS.
Prix Nobel de littérature en 1970, il a été privé de sa citoyenneté soviétique en 1974 et expulsé d'URSS. Il a alors vécu en Allemagne, en Suisse puis aux Etats-Unis, avant de revenir en Russie en 1994 après la chute de l'URSS. — AFP/KEYSTONE/Arch.

Avec sa longue barbe qui le faisait ressembler aux grands intellectuels du 19e siècle, dont Karl Marx, l’écrivain Alexandre Soljenitsyne a consacré sa vie à lutter contre le totalitarisme communiste. Il était avant tout un patriote habité par une force prophétique et d’une détermination incomparable. Il était ainsi certain d'être élu par le destin qui lui avait permis de vaincre un cancer. 


Avant de pourfendre le système, Soljenitsyne a pourtant été un jeune «Rouge». Né le 11 décembre 1918 dans le Caucase, il adhère aux idéaux révolutionnaires du régime naissant et fait des études de mathématiques. Artilleur, il se bat courageusement contre les troupes allemandes qui attaquent l'URSS en 1941. Mais il met en doute dans une lettre à un ami les compétences guerrières de Staline. Ce courrier va bouleverser son existence: il est condamné à huit ans de camp en 1945.

L’histoire d’un détenu ordinaire


L'expérience va le marquer dans sa chair mais surtout dans son âme. Libéré en 1953, quelques semaines avant la mort de Staline, il est exilé en Asie centrale et commence à écrire. 


Le nouveau maître de l'URSS, Nikita Khrouchtchev, donne son feu vert à la publication, dans la revue littéraire non-conformiste Novy Mir, d' «Une Journée d'Ivan Denissovitch». L’histoire d’un détenu ordinaire du Goulag paraît le 18 novembre 1962. Ce récit est une onde de choc. Il fait écho aux souvenirs des millions de gens ayant séjourné dans les camps. Soljenitsyne met des mots sur l’ineffable. Mais le Goulag a encore de belles années devant lui.


 Un prix Nobel de Littérature et de plus en plus de contraintes


Soljenitsyne continue à écrire, mais ses livres, «Le Pavillon des Cancéreux», puis «Le Premier Cercle» ne sortent qu'en «samizdat», ces éditions clandestines traquées par le régime, et à l'étranger, où ils connaissent un grand succès.


Monument intellectuel, sa stature le protège encore. Mais lorsqu'il reçoit le Prix Nobel de Littérature en 1970, il renonce à aller à Stockholm, craignant ne pouvoir rentrer dans l'URSS de Léonid Brejnev.


Expulsé d’URSS en 1974


Alors que les pressions du KGB s’intensifient, que son premier mariage se consume, Soljenitsyne termine l'oeuvre de sa vie, «l'Archipel du Goulag», une grande fresque historico-littéraire sur les camps. Elle sera publiée à Paris en 1974.  


Le Kremlin éructe, expulse le citoyen Soljenitsyne vers l'Occident. Il vit d'abord en Suisse, puis s'établit aux Etats-Unis, dans le Vermont. Il est reçu dans l'émission Apostrophes de Bernard Pivot en avril 1975. Le camp d’en face découvre alors que l'homme qui avait fait trembler Moscou est un conservateur orthodoxe et slavophile, souvent très critique à l'égard de sa société de consommation.


Le difficile retour d’exil


En 1994, il retourne triomphalement dans la nouvelle Russie, mais il a du mal à trouver sa place dans ce nouveau monde. Il exprime des vues partagées par ses compatriotes, demandant la peine de mort pour les terroristes ou approuvant l'intervention de l'armée en Tchétchénie, mais reste nostalgique. Malgré un rapprochement avec Poutine sur la fin de sa vie, il ne reconnaît plus sa Russie éternelle. 


«Un être humain ressemble à une plante. Lorsqu'on l'arrache d'un lieu et qu'on le rejette au loin, cela dérange des centaines de racines minuscules et de centres nerveux», avait-il déclaré en arrivant en Occident en 1974, à l’aube de vingt années d’exil.