Speedons 2024 : Les gamers, nouveaux super donateurs pour les ONG
Speedrun•Le marathon français de speedrun revient ce week-end pour la bonne cause. Il fait partie d’une avalanche d’événements caritatifs en lien avec le jeu vidéo, avec lesquels les ONG espèrent renouveler leur publicQuentin Meunier
L'essentiel
- Speedons, un marathon de speedrun de jeu vidéo au profit de Médecins du mond, tient sa quatrième édition ce week-end.
- Des marathons vidéoludiques à but caritatif comme le ZEvent ou encore Games Done Quick permettent à des associations de collecter des fonds importants tout en touchant un public jeune.
- Cependant, fidéliser ce nouveau public de donateurs n’est pas chose aisée.
Mise à jour : Dimanche soir, après environ quatre-vingt heures de speedrun, Speedons a réussi à lever 2.066.663 euros pour l'ONG Médecins du Monde.
A vos marques, prêts, donnez. Ce week-end, des milliers de personnes seront devant leur écran d’ordinateur à regarder Twitch pour suivre l’événement Speedons. Le principe : des adeptes du speedrun, une discipline qui consiste à terminer des jeux vidéo en un temps record, vont performer devant un public réel – au Centre des congrès à Lyon – et virtuel. Ceux-ci sont régulièrement incités à donner au profit de l’ONG Médecins du monde.
L’édition 2023 avait récolté 1.252.637 euros, au terme de soixante-dix-neuf heures de jeu vidéo. High score à battre pour les participants ? En plus de speedrunner Baldur’s Gate 3 dimanche soir, Gaëtan Young, dit Gyoo, contribue à l’organisation de Speedons depuis la première édition. « J’essayais de lancer le concept en France avec "Bourre-la-run", et on s’est rapproché avec MisterMV [de son vrai nom Xavier Dang, le streameur à l’origine de Speedons] », raconte-t-il.
Renouveler le public
Il participe plus précisément au processus de sélection des jeux qui seront montrés au public. « Ce que j’aime bien mettre en avant, c’est le côté spectaculaire et la surprise. On n’est pas là pour battre des records en live, explique Gyoo. Le speedrun permet à tout le monde de redécouvrir un jeu sous un autre angle. L’effet attendu, en regardant le planning, c’est : "Wow, j’ai mis vingt heures à faire ce jeu et là il est fini en vingt minutes". » L’équipe essaie également d’en mettre pour tous les goûts : jeux de plateforme, de tir, de rôle, classiques rétros et nouvelles sorties, ainsi que du « superplay », où c’est le score qui est mis en avant plutôt que la vitesse. L’organisation est aussi attachée à la diversité parmi les participants.
Gyoo est un habitué de l’exercice : il a participé à trois Games Done Quick (GDQ), un format similaire lancé aux Etats-Unis en 2010. Si le concept existait déjà depuis 2007, avec des programmes comme « Desert Bus for Hope », c’est la GDQ qui a popularisé le principe de marathon vidéoludique caritatif. En France, c’est le ZEvent, organisé par Zerator (Adrien Nougaret de son vrai nom) de 2016 à 2022, qui fait office de référence. « Jusqu’à 2019-2020, on était sur des campagnes de marketing assez classiques, même si le don par prélèvement automatique était assez répandu chez nous, indique Virginie Poux, cheffe de projet fundraising pour Médecins du Monde. On surveillait cette dynamique caritative sur Twitch, puis un prestataire nous a mis en contact avec MisterMV. »
Apparaître sur Twitch, aux côtés de vidéastes suivis par des centaines de milliers de personnes, c’est l’occasion pour les associations de se tourner vers un public plus jeune. « Notre but c’était de renouveler, chercher d’autres donateurs », poursuit Virginie Poux.
Un mode de collecte qui séduit de plus en plus
« C’était un mode de collecte qui n’était pas sur le radar des associations avant le ZEvent », confirme Benjamin Trecherel, responsable d’innovation de collecte de fonds pour Médecins sans frontières, une ONG française qui a bénéficié de ce marathon en 2018, et dont la branche américaine est une des bénéficiaires récurrentes des GDQ américaines.
Même l’incontournable Téléthon s’y est mis, avec un Téléthon Gaming organisé depuis 2017. « Nous avions une volonté de mobilisé un public plus jeune, et certains organisateurs du Téléthon participait déjà à des événements autour du jeu vidéo », relate Christophe Piton, responsable du projet. Sur le modèle du marathon télévisé, il y a un « plateau » principal, avec 80 streameurs et streameuses sur place, ainsi que plusieurs animations partout en France. Kayane, Enki ou encore l’association Women in Games font partie des participants. Samuel Etienne s’est fait ambassadeur du projet, avec sa double casquette : animateur de France Télévisions, et streameur Twitch.
Souvent, ces événements permettent, en plus de la collecte de dons, de porter le message de l’association auprès de ce nouveau public. Au Téléthon gaming, les chercheurs mais aussi des malades viennent témoigner sur la scène principale, avant d’intervenir sur les chaînes des autres participants au marathon vidéoludique. « On sait que les gens viennent pour le jeu vidéo, donc c’est important d’apporter du sens et de porter un message sur notre action », insiste Christophe Piton.
Le défi de la fidélisation
Pourtant, mesurer la fidélisation des donateurs reste difficile. « Avec Speedons, on touche un public assez large de 15 à 50 ans, mais ça reste plus étendu qu’auparavant, estime Virginie Poux. Et on a, effectivement, des donateurs réguliers fidélisés grâce à ça. » Pour le Téléthon Gaming, la pérennité se voit plus chez les streameurs, « qui participent chaque année et deviennent, en quelque sorte, des bénévoles de l’association », dit Christophe Piton.
Chez Médecins sans Frontières, la problématique est différente. Après le ZEvent et trois éditions du Télévidéogames, un marathon belge, l’ONG a voulu lancer son propre événement pour ne pas dépendre d’un collectif de streameur. Elle a lancé MSF Quest sur le modèle d’une carte au trésor. La première édition, en octobre, a rapporté 90.000 euros. Lorsqu’ils ont préparé cette campagne, Benjamin Trecherel et l’agence engagée par MSF ont observé « une forme de lassitude des gamers pour ce type d’action », face à la multiplication de ces initiatives. « Ce n’est pas un public simple à fidéliser, estime le responsable. Le taux d’ouverture des campagnes de mail est très faible. Mais au moins, avec le ZEvent, Zerator a réussi à sensibiliser cette génération au don. » En effet, d’après une étude du syndicat France Générosités, en France, le volume des dons reste stable, mais le nombre de donateurs est en baisse. D’où la nécessité de renouveler le public.
« On n’a pas besoin d’être populaire pour récolter des grosses sommes »
Avec 50.000 spectateurs lors de la première soirée, vendredi, Speedons aura en tout cas réussi à faire parler. « Pour nous, c’est l’occasion de promouvoir la pratique du speedrun et de faire une bonne action avec, reprend le speedrunner Gyoo. Les spectateurs n’y sont pas insensibles. » Le succès de Speedons est aussi, selon lui, rendu possible par la communication autour de l’événement. De nombreux streamers connus apparaissent comme animateurs pour rythmer l’événement. Mais le marathon ne veut pas se reposer dessus : « Contrairement au ZEvent, par exemple, Speedons met en avant des joueurs qui ne sont pas du tout connus. C’est la performance qui compte. Ça montre qu’on n’a pas besoin d’être hyper populaire pour récolter des grosses sommes. » Et le speedrun a même un lien historique avec le caritatif. « Les speedrunners investissent des centaines ou des milliers d’heures dans une performance, analyse Virginie Poux. Mais c’est différent des athlètes e-sport, qui sont professionnels. Ici, c’est généralement sur leur temps libre, la plupart posent des jours de congé pour venir à Speedons. Il y a quelque chose de très généreux là-dedans. Un peu comme l’humanitaire, où les gens donnent de leur temps sans contrepartie. Ce sont deux mondes qui se rejoignent. »