Législatives 2024 : Pourquoi les appels aux meurtres du site « Réseau libre » doivent-ils être pris au sérieux ?
extrême droite•Le site d’extrême droite « Réseau libre » a renouvelé ses appels au meurtre, visant cette fois-ci quatre personnalités de gauche et un avocat pénalisteDiane Regny
L'essentiel
- Le site d’extrême droite Réseau libre a appelé à « éliminer » les avocats signataires d’une tribune contre le Rassemblement national la semaine dernière puis, ce lundi, quatre personnalités de gauche et un avocat.
- Cette divulgation d’informations personnelles, qu’on appelle aussi le « doxxing », est une méthode utilisée pour cyberharceler.
- Mais cette pratique ne se cantonne pas qu’au Web et peut rapidement glisser « dans la vie réelle », rappelle Yasmine Buono, fondatrice de l’organisme Net Respect.
«Liste (très partielle) d’avocats à éliminer » et à envoyer « dans un fossé ou dans un stade ». C’est ainsi que le site d’extrême droite Réseau libre a divulgué les informations personnelles d’une centaine d’avocats qui avaient signé une tribune contre le Rassemblement national. Au moins 68 avocats ont déposé plainte. Ce lundi, le site a réitéré, appelant à tuer quatre personnalités de gauche (Rachel Keke, Ian Brossat, Manuel Bompard et Alexis Corbière) ainsi que l’avocat pénaliste Yassine Bouzrou. Ce dernier, qui a notamment représenté la famille de Nahel tué par un policier à Nanterre, a confirmé à 20 Minutes avoir porté plainte auprès de Parquet national antiterroriste.
Pourquoi le doxxing doit-il être pris au sérieux ?
Le « doxxing », qui consiste à diffuser les informations d’une personne est une pratique illégale qui expose les victimes. Entre raids numériques et vie réelle, 20 Minutes fait le point sur cette pratique grâce à l’éclairage de Yasmine Buono, fondatrice de l’organisme Net Respect et spécialiste du cyberharcèlement.
Le doxxing, qui consiste à divulguer des informations personnelles sur quelqu’un dans le but de lui nuire, est puni par la loi qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et 45.000 euros d’amende. « Quand on publie une liste de noms et de coordonnées permettant d’atteindre des personnes, on est conscient que, potentiellement, certaines personnes passeront à l’acte », juge Yasmine Buono qui estime que les personnes à l’origine de cet appel ne « peuvent ignorer » sa dangerosité.
Pourquoi cette pratique est-elle extrêmement violente ?
Qui plus est ici, le doxxing s’allie à un appel au meurtre. Qualifiés de « pourritures » et de « vermines en robe noire », les avocats visés doivent être « éliminés » et envoyés « dans un fossé », écrit le site. « C’est la grande majorité des avocats qu’il est nécessaire de neutraliser », gronde Réseau libre en accompagnant leur texte d’une photographie de guillotine. Dans le billet de lundi, l’auteur surnommé Léon appelle à « mettre au pas ce troupeau de connard avec les seules méthodes restantes et que je vous laisse imaginer ».
« Après des appels comme ça, les personnes visées risquent de subir un raid numérique lors duquel elles vont recevoir des insultes, des menaces et des appels au meurtre par centaine », prévient Yasmine Buono. Ce cyberharcèlement, bien connu depuis quelques années, a parfois des conséquences dramatiques. « Les victimes reçoivent un torrent de haine qui peut briser une réputation, une carrière et même une vie », rappelle la spécialiste du cyberharcèlement qui appelle à ne surtout pas « minimiser » la brutalité de ces pratiques.
Régulièrement, des victimes se suicident, démunies face à ce déferlement de violence, comme la jeune Lindsay, âgée de seulement 13 ans lorsqu’elle se suicide en mai 2023. Le cyberharcèlement s’est d’ailleurs poursuivi après sa mort, les parents de l’enfant dénonçant l’horreur des messages qui ont continué à affluer, tels que « t’as bien fait de te suicider » ou « Lindsay enfin morte ». « Cette violence touche toutes les facettes de la vie de la victime et entraîne aussi des dégâts collatéraux dans son sillage comme un parent, un mari ou une femme », explique Yasmine Buono.
Les personnes visées sont-elles en danger physiquement ?
« Il n’y a pas de frontière entre le Web et la vie réelle. Ce qui se joue en ligne aura forcément des conséquences hors ligne », prévient Yasmine Buono. La fondatrice de l’organisme Net Respect rapporte le cas de garçons victimes de doxxing qui ont ensuite été attendus et battus à la sortie de leur établissement scolaire. Le doxxing pourrait donc entraîner des violences physiques à l’encontre des victimes, voire de leur proche.
« Les enfants de ces personnalités peuvent aussi être visés par exemple », avertit Yasmine Buono. La spécialiste du cyberharcèlement regrette qu’« aujourd’hui, vos opinions politiques [puissent] vous mettre en danger de mort » et conclut : « au regard de la haine et de la violence dans nos sociétés le risque est très grand. » Reste donc à savoir si les auteurs de ces appels au meurtre seront identifiés et poursuivis alors que le site, hébergé en Russie, se vante d’être hors de portée de la justice française.
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