PAS DE RESEAUTrois questions pour comprendre le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie

Crise en Nouvelle-Calédonie : Trois questions pour comprendre le blocage de TikTok

PAS DE RESEAUBastien Le Querrec, juriste pour l’association La Quadrature du Net, revient sur les mécanismes qui ont conduit à la suspension de l’application dans l’archipel
Quentin Meunier

Quentin Meunier

L'essentiel

  • L’application TikTok a été bloquée le 15 mai en Nouvelle-Calédonie, dans un contexte de violences dans l’archipel.
  • Selon l’association Quadrature du Net, les justifications de cette décision sont floues et infondées.
  • Cela crée aussi un précédent dangereux pour la liberté d’expression en ligne.

En Nouvelle-Calédonie, l’état d’urgence doit être levé mardi à 5 heures heure locale (soit ce lundi soir à 20 heures à l’heure de la métropole). Le régime, déclenché il y a deux semaines, avait permis des mesures d’exception sur le territoire, comme des assignations à résidence sans autorisation préalable d’un juge ou des restrictions de circulation. Mais il s’était aussi accompagné d’une autre décision, jamais vue jusqu’alors : l’interdiction de TikTok.

L’accès à la plateforme de vidéos courtes était devenu impossible pour les quelque 270.000 habitants de Nouvelle-Calédonie. Plusieurs parties, dont la Quadrature du Net, ont attaqué cette décision en justice. Bastien Le Querrec, juriste pour l’association, revient sur cette mesure sans précédent.

Comment ce blocage a-t-il pu avoir lieu ?

La Quadrature du Net dénonce un blocage arbitraire, voire « occulte ». « Rien n’a été formalisé, donc le gouvernement a pu changer plusieurs fois son fusil d’épaule sur la justification », estime Bastien Le Querrec. Initialement, aucune justification précise n’est avancée le 15 mai par le Premier ministre. « Comme il est annoncé en même temps que l’Etat d’urgence, plusieurs observateurs ont pu penser que cela faisait partie de ce cadre et plus précisément de l’article 11-II qui affirme que "le ministre de l’Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie", reprend Bastien Le Querrec. Le lendemain, on évoque les risques d’ingérence étrangère, ce qui n’est pas un cadre prévu par l’état d’urgence. »

Le gouvernement a enfin invoqué la « théorie des circonstances exceptionnelles », une jurisprudence – mais pas une loi – qui justifie la prise de mesures restrictives dans des circonstances d’urgence comme une guerre. « Mais le gouvernement ne répond pas aux exigences postérieures à cette théorie, notamment en droit international », répond Bastien Le Querrec.

La Quadrature du Net a saisi en référé le Conseil d’Etat en référé pour faire suspendre cette interdiction. Jeudi, ce dernier a rejeté la procédure, arguant de « l’absence d’éléments démontrant des conséquences immédiates et concrètes pour la situation ou les intérêts des requérants » et de « l’intérêt public qui s’attache au rétablissement de la sécurité et de la tranquillité publique ».

Est-ce déjà arrivé par le passé ?

« C’est parfaitement inédit dans l’Union européenne, et c’est même la première fois dans une démocratie que ce type de mesure est prise », déplore Bastien Le Querrec. Loin de défendre TikTok – une application « toxique et dangereuse » –, il y voit une dérive qui s’installe depuis déjà plusieurs années en France sur les questions de la liberté d’expression en ligne : « Emmanuel Macron a cette politique caractéristique qui consiste à vouloir imposer des solutions pas concertées. Il ne voit pas Internet d’une autre manière que quelque chose de néfaste. C’est la suite logique de plusieurs textes visant à limiter l’expression en ligne, comme la loi Avia en 2020 qui a été censurée. »

Faut-il s’en inquiéter ?

Selon la Quadrature du Net, ce blocage crée un précédent qui renforce le gouvernement. « L’objectif, c’est d’habituer les mentalités à ce type de décision, de montrer que c’est possible techniquement et politiquement. » Le président avait d’ailleurs évoqué l’idée de limiter l’accès aux réseaux sociaux après les violences de l’été 2023 liées à la mort de Nahel, comme le rapportait Le Monde.

Petite nuance néanmoins : sur le plan technique, ce blocage est plus facile en Nouvelle-Calédonie, car tout le trafic passe par un opérateur contrôlé par l’Etat. Là où le réseau en Europe est plus décentralisé.

Enfin, selon Bastien Le Querrec, « la justice s’est montrée incapable de prévenir ce genre d’abus ». Son association compte déposer un recours en excès de pouvoir, une procédure qui peut durer un à deux ans, et qui statuera bien après le retour de TikTok dans l’archipel. « Certainement qu’à la fin, on dira que ce blocage n’était pas légal, déplore-t-il. Mais, d’ici là, nos institutions auront quand même échoué. »

De quels contenus parle-t-on ?

Le site Politico a eu accès à des contenus publiés sur TikTok qui auraient motivé la décision du gouvernement de couper le réseau social. On y voit des images des forces de l’ordre ou des scènes de destruction. « Ce sont des contenus parfaitement légaux, qui seraient impossibles à faire retirer avec le droit commun », fustige Bastien Le Querrec de la Quadrature du Net.