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Sur Instagram, les internautes dépoussièrent la poésie

Réseaux sociaux : Et si la poésie était en train de connaître une grosse hype en ligne ?

LittératureSur Instagram et sur TikTok, de nombreux comptes se mettent à la poésie, un genre littéraire souvent perçu comme démodé
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • La poésie a regagné en popularité chez les jeunes grâce aux réseaux sociaux, où elle est associée au plaisir et à l’expression de soi.
  • Des créateurs comme « Cameron flipe » partagent des textes poétiques émouvants dans des vidéos travaillées qui rencontrent un fort succès, tout comme les publications d’Hadrien alias Crottins Verbaux. Lui vient de publier un livre, J’avais oublié que c’était beau, pour donner à voir la poésie dans des moments de vie ordinaires.
  • Les maisons d’édition comme Robert Lafont prennent également la poésie au sérieux, y voyant une forme de thérapie permettant de « mettre en forme » ses pensées et émotions.

«Un décrochage préoccupant ». Ce sont les conclusions d’une nouvelle étude du Centre national du livre (CNL), réalisée par Ipsos et publiée ce mardi. Pour les jeunes entre 7 et 19 ans interrogés, la lecture ne serait plus un plaisir, mais une nécessité pour leur scolarité. Un genre littéraire semble tout de même faire exception ici : la poésie qui se hisse à la 9e place des genres littéraires les plus lus avec une augmentation de plus trois points par rapport à 2022. Pas de quoi faire les gros titres, certes, mais il est bon de se demander si cette nouvelle hype n’est pas due, en partie, aux réseaux sociaux ?

Souvenez-vous de l’été 2022. Sur de nombreuses vidéos publiées en ligne, une maxime tournait en bouclait, celle de l’écrivain Jean d’Ormesson sur le bonheur. « Ecoutez, je n’ai jamais cessé d’être heureux. Vous savez, il y a une phrase que j’ai souvent répétée : "Merci pour les roses, merci pour les épines" ». De quoi laisser penser à une passion naissante de la jeune génération pour l’académicien décédé en 2017 ? Peut-être, mais Jean d’O n’était pas le seul. Il semble bien que la poésie s’est largement fait une place sur les réseaux sociaux.

« Les mots sont accessibles à plus de gens »

Il suffit par exemple de jeter un œil au compte de « Cameron flipe » – suivie par près de 41.000 abonnés sur Instagram. La jeune vingtenaire, passionnée de poésie depuis toujours, y partage des vidéos joliment travaillées qui s’accompagnent de textes émouvants sur le quotidien, la jeunesse ou bien sur les sentiments naissants. Depuis peu, elle a même décidé d’adapter les textes de ses ouvrages sur des vidéos.

« Je suis agréablement surprise de voir à quel point ça plaît. Ce sont mes publications qui marchent le mieux », se réjouit-elle. Ce renouveau de la poésie, elle l’a aussi remarqué il y a quelques mois. « Il doit être lié sans doute au goût pour tout ce qui est esthétique, mais aussi à l’essor des Booktok et des concours d’éloquence », songe la créatrice de contenus qui participe également à ces événements.

Si sa passion pour l’écriture la suit depuis longtemps déjà, elle sait que le genre littéraire n’est pas forcément le plus apprécié pendant la scolarité. « Les poésies, on les associe souvent aux récitations un peu ennuyeuses, à trouver des figures de style sans même comprendre le sens du poème et sa beauté », avoue « Cameron flipe » qui voit dans les réseaux sociaux un chemin plus « ludique » vers la poésie. « C’est désormais associé à un plaisir et non à une obligation de l’école. Les mots sont accessibles à plus de gens, là où, avant, les beaux mots étaient réservés à une élite ».

Se diversifier des réseaux sociaux

A quelques pages Instagram de là, Hadrien alias Crottins Verbaux – suivi par 95.000 personnes – ne peut que confirmer cette renaissance de la poésie. « J’ai pris conscience qu’il y avait la poésie littéraire, celles des auteurs qu’on étudie à l’école et qui font vivre un genre littéraire. Mais pour moi, il y a aussi une voie qui était possible pour le faux poétique, tout ce qu’on reconnaît comme poésie mais qu’on a du mal à nommer ». Et clairement, c’est cette nouvelle forme de poésie qui s’épanouit en ligne.

Hadrien ne se la joue pas grand dramaturge, il avoue lui-même avoir mis du temps à arriver à la poésie. Le genre lui est venu en travaillant dans la publicité « par le goût des bons mots et des phrases bien construites ». Mais une fois sur les réseaux sociaux, l’évidence était là. « C’est le genre qui permet le plus de libertés et celui qui fait le plus de bien ». Une sorte de thérapie qu’il partage sur son compte à travers des poèmes publiés tous les deux-trois jours et accompagnés de dessins colorés.

La recette du succès n’est pourtant pas miraculeuse ici. « Sur les réseaux sociaux, il y a un besoin d’exprimer des émotions qu’on a du mal à comprendre et à contrôler », souligne l’auteur qui a publié début mars J’avais oublié que c’était beau, un « carnet d’expériences poétiques », aux éditions Solar.

« J’entendais souvent que la poésie était partout et qu’il suffisait de regarder, mais je trouvais qu’ils ne le prouvaient pas tellement dans les recueils existants. Je me suis dit que j’allais prendre le truc au premier degré et choisir des moments de vie très communs et me mettre au défi de présenter des regards poétiques afin de proposer au lecteur de compléter les pensées ».

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Pour aller au bout de ce ménage de printemps et dépoussiérer entièrement la poésie, Hadrien a organisé le 22 mars dernier le premier Poetry Club au sein de la Gaîté Lyrique, à Paris. « L’ambition de cet événement était de faire de la poésie un divertissement populaire et quitter l’image de sous-sol que pouvait avoir la poésie parfois ». Malgré les quelques appréhensions en amont de l’événement, le premier club de poésie a fait salle comble, remplissant les 200 places bien avant le début de l’événement.

Une mode qui intéresse

Un succès qui n’est pas anodin pour les maisons d’édition. « Il y a véritablement une manifestation écrite sous forme de livre de quelque chose qui est l’expression de soi sur les réseaux sociaux », résume Sophie Rouanet, directrice éditoriale chez Robert Laffont. « La poésie permet de se raconter, d’organiser nos pensées, nos émotions et de les mettre en forme à la fois pour la personne qui l’écrit, mais aussi pour le lecteur. Ça lui donne la sensation de ne pas être seul dans ses émotions ».

Chez Robert Lafont, on prend désormais la poésie très au sérieux. « Il se passe quelque chose d’important, d’autant plus que c’est assez surprenant comme mouvement », avoue Sophie Rouanet, notamment chargée des œuvres de Déborah Garcia, poétesse née sur les réseaux sociaux avec le compte « Cpartout » et autrice de Tous mes hasards se ressemblent. D’autres succès se rencontrent en librairie, comme les œuvres de Rupi Kaur, poétesse également devenue célèbre en ligne. De là à devenir le genre littéraire numéro un, il y a encore du chemin, mais la poésie moderne a de belles heures devant elle.