JUSTICEPeut-on vraiment bannir les cyberharceleurs des réseaux sociaux ?

Harcèlement scolaire : Peut-on vraiment bannir les cyberharceleurs des réseaux sociaux ?

JUSTICELe gouvernement souhaite pouvoir bannir les cyberharceleurs des plateformes et les empêcher de créer de nouveaux comptes
Hakima Bounemoura

H. B.

L'essentiel

  • Le gouvernement souhaite instaurer une peine de « bannissement » temporaire des réseaux sociaux pour les personnes responsables de cyberharcèlement.
  • « Ce n’est pas une mesure qui va être décisive dans la lutte contre le harcèlement scolaire (…). C’est surtout un effet d’annonce », explique Alexandre Lazarègue, avocat spécialisé dans le droit du numérique.
  • Si elle était adoptée, plusieurs obstacles, techniques et juridiques, se heurteraient à l’application de cette mesure.

«Il est temps de siffler la fin de la récréation ». Après les suicides de plusieurs adolescents, victimes de harcèlement à l’école et sur les réseaux sociaux, le gouvernement a dévoilé ce mercredi son plan pour lutter contre le harcèlement scolaire. Un « fléau qui a étendu son emprise bien au-delà de la cour de l’école », et dont sont victimes environ un million d’élèves chaque année en France.

En plus de la confiscation des téléphones portables des ados se livrant à du harcèlement en ligne, l’Etat souhaite instaurer une peine de « bannissement » temporaire des réseaux sociaux, qui pourra être demandée au juge avant même la conclusion de l’enquête, et donc une éventuelle condamnation. « Nous allons ouvrir la possibilité de prescrire cette mesure de bannissement dans le cadre d’un contrôle judiciaire », c’est-à-dire « sans attendre qu’au bout de l’enquête, une peine soit prononcée », a détaillé le ministre chargé de la Transition numérique Jean-Noël Barrot.

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« Concrètement, les réseaux sociaux pourront bloquer votre compte pendant six mois et vous n’aurez plus la possibilité de vous y connecter », indique le ministère du Numérique, précisant que les plateformes auront « l’obligation » d’appliquer cette mesure « sous peine d’amende ». Ces personnes seraient ainsi privées de compte Twitter, Facebook, TikTok, Snapchat ou encore Instagram. Les plateformes devront également surveiller et empêcher la création de nouveaux comptes. Cela fonctionnerait sur le même modèle que « l’interdiction de stade des supporteurs violents », a précisé le ministre de la Transition numérique.

Comment bloquer les utilisateurs ?

L’application de cette mesure, qui figurait déjà dans le projet de loi visant à « sécuriser et réguler l’espace numérique », actuellement en débat au Parlement, pose toutefois de nombreuses questions sur sa faisabilité. « Ce n’est pas quelque chose qui va être décisif dans la lutte contre le harcèlement scolaire, puisque l’on sait très bien que les ados sont particulièrement ingénieux pour contourner ce genre d’interdiction. C’est surtout un effet d’annonce », explique à 20 Minutes Alexandre Lazarègue, avocat spécialisé dans le droit du numérique. Le premier problème qui va se poser, « c’est celui de l’identification de la personne suspectée de faits de harcèlement », ajoute l’avocat, qui rappelle « qu’il est possible, aujourd’hui, de créer des comptes sous pseudonymat » ou « sous une autre identité ».

Le gouvernement plancherait pour une identification et un blocage par l’adresse IP, « mais celle-ci peut facilement être contournée par l’utilisation d’un VPN, ou tout simplement par l’utilisation d’un smartphone, dont l’adresse IP est différente selon une utilisation en 4G ou en wifi. Cette interdiction, si elle est prononcée, sera donc aisément surmontable, et pourrait pénaliser d’autres internautes n’ayant commis aucun délit, comme d’autres membres d’un même foyer », estime Alexandre Lazarègue. Quant au blocage par adresse mail, il serait encore plus facilement contournable. Et une identification via le numéro de téléphone difficilement applicable, puisque celui-ci n’est pas obligatoire pour s’inscrire sur un réseau social.

Respect de la liberté de communication

D’autres obstacles, plus juridiques, pourraient également empêcher l’application de cette mesure. « Il y a un principe fondamental qui est celui de la liberté de communication. Cette disposition, si elle est adoptée, pourrait se heurter au droit constitutionnel et européen. Car les réseaux sociaux sont aujourd’hui considérés comme un mode de communication essentiel, utilisé chaque jour par plus de 4 milliards d’individus dans le monde et plébiscité chez les jeunes », détaille l’avocat spécialisé dans le droit du numérique, pour qui le texte passera nécessairement sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel.

Dans les faits, le bannissement des réseaux sociaux n’est pourtant pas quelque chose de nouveau. Après l’assaut du Capitole, le président américain Donald Trump avait ainsi été banni des principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram…) Et, chaque jour, des milliers d’internautes voient leurs comptes suspendus. Mais jusqu’à aujourd’hui, seules les plateformes pouvaient prendre cette décision, conformément à leur charte d’utilisation. Reste donc à savoir si la justice disposera des moyens nécessaires pour également faire appliquer cette mesure…