Qu’est-ce que le « body count », une tendance sur TikTok au sexisme décomplexé ?
SEX-ISME•Derrière cette tendance sur TikTok, des femmes interrogées se font insulter en commentaires car elles auraient connu trop de partenaires sexuels. Des comportements misogynes et sexistes qui posent de nombreuses questionsLina Fourneau
L'essentiel
- Sur TikTok, depuis plusieurs mois, une tendance s’impose : celle du « body count ». Des « microtrotteurs » demandent aux passants combien de partenaires sexuels ils ont eu dans le passé.
- Chez les hommes, le chiffre est plutôt perçu comme une réussite, un trophée. Mais si les femmes ont des scores trop élevés, alors c’est le branle-bas de combat dans les commentaires. La femme est traitée de tous les noms car elle ne se respecterait pas assez.
- Des théories fumeuses sont mêmes établies. Si une femme a eu trop de partenaires sexuels, alors c’est un « red flag ». Cela voudrait également dire qu’elle ne saurait pas entretenir une relation durable par la suite.
«What’s your body count ? ». Sur TikTok, une tendance virale a vu le jour depuis plusieurs mois et continue encore et encore. Et ce n’est que le début, d’accord, d’accord. Aux quatre coins du globe, des vidéos de micros-trottoirs dans la rue pullulent sur le réseau social. À chaque fois, il s’agit de demander aux passants le nombre de partenaires sexuels qu’ils ont eu dans leur vie. 1, 10, 25, 350… qu’importe. Les chalands se prêtent au jeu et répondent avec confiance, ou non. « Euh, je n’ai pas compté, deux… je crois ».
Parfois, la question va même plus loin en proposant à la personne suivante de deviner le body count de son prédécesseur… en oubliant bien évidemment que cela impliquerait forcément un jugement de valeur car, souvent, le body count est associé au physique. Cet homme n’est pas beau alors il ne doit pas avoir eu beaucoup de relations sexuelles, ou cette femme a un beau corps donc elle doit présenter un sacré tableau de chasse.
« 100 c’est haut pour un homme, dix c’est haut pour une femme »
Si dans de nombreuses vidéos, la franchise des interviewés sonne un peu faux, la question du body count pose des problèmes bien plus importants. Car sur TikTok, le nombre de partenaires sexuels est souvent associé à la fiabilité de son futur compagnon. Lors d’une vidéo publiée en mai dernier, la militante d’extrême droite Thaïs Descufon conseille par exemple aux hommes qui viennent de rencontrer une femme intéressante de « se renseigner sur son passé et de prêter attention au body count ». Le « décompte des corps » serait en fait un facteur important de stabilité sur le long terme.
Outre-Atlantique, le message est le même. Un compteur trop élevé chez une femme serait considéré comme un « red flag ». « À partir de combien de partenaires sexuels d’une femme, un homme pourrait reconsidérer une demande en mariage ? », demande par exemple le TikToker Slightly Offensive. « Plus de vingt », répond l’une des jeunes femmes interviewées. « 100 », renchérit son amie. Dans les commentaires, les internautes se déchaînent. « Nous savons très bien pourquoi elle dit 100 ». « Elle a vraiment dit 100, elle doit bientôt atteindre ce cap et va continuer à l’augmenter comme le plafond de la dette ». Alors à une question similaire posée par la TikTokeuse Ask Nelly, à un garçon cette fois-ci, l’interviewé sera affirmatif : un body count élevé pour une fille est un danger imminent.
Pire encore, une femme et un homme n’auront pas les mêmes obligations sur cette question. La première devra presque garder sa virginité, alors que le second pourra assouvir ses besoins comme il l’entend. « Vous devez garder vos corps pour vos maris », finit-il par marteler. Et dans les commentaires, la logique suit. Dès qu’une femme balance un chiffre considéré comme trop élevé, le lynchage est activé. « Il faut faire un dépistage ». « Elle a fait l’école des p**** ». A contrario, les hommes aux body count élevés sont vus comme des êtres virils et qui peuvent se vanter de leurs expériences. Il n’y aura donc pas de mal de différencier une nouvelle fois « le score » entre les genres. « 100 c’est haut pour un homme, dix c’est haut pour une femme », peut-on notamment lire dans les commentaires d’une des vidéos.
Donne-moi ton « body count » et je te dirai qui tu es
Il fallait donc s’y attendre : des théories autour du body count ont ensuite commencé à circuler sur TikTok, ressemblant fortement à de la psychologie de comptoir. D’après le TikTokeur Iman Gadzhi, une femme avec un score élevé serait l’équivalent d'« une personne grosse ». « Je ne juge pas, mais ce n’est pas bien ». Rajoutez donc au sexisme un peu de grossophobie, ça ne fait pas de mal. D’après lui, un homme qui voudrait se mettre en relation avec une femme ne devrait pas accepter un body count supérieur à vingt. Il ajoute par ailleurs que contrairement aux hommes, les femmes ne savent pas avoir de relation sans sentiments.
Pour le TikTokeur Alex Nwa, le constat est similaire et il décide ainsi de dresser une hiérarchie de ce que le body count dit de nous, mais surtout des femmes. Après la catégorie « virginité » qui montrerait que la femme est issue d’une famille stricte ou religieuse, survient la catégorie « un à trois » partenaires sexuels. Il s’agirait, selon lui, de « la zone d’or » où la femme aurait assez pratiqué sans être une « p*** ». De « six à neuf » partenaires, l’homme explique qu’il n’est pas trop tard « pour se repentir » et que ce score, qu’il considère comme élevé, serait dû à des « peines de cœur » ou « des traumatismes ». Enfin, le tant attendu « dix à vingt » : « là tu peux te considérer comme une p*** ». Misogynie toujours, ce score excessif selon lui serait forcément lié à des « problèmes avec le père ». Ironie du sort, Alex Nwa termine cette vidéo en rappelant de ne pas juger les gens sur leur body count.
La fausse question de l’ocytocine
Pour certains, cette mauvaise psychologie se conjugue également à des preuves scientifiques formelles. Si une femme a trop de relations sexuelles, alors elle serait au fil du temps détruite. Parmi ces grands scientifiques 2.0, Thaïs Descufon se démarque en abreuvant TikTok de la théorie de l’ocytocine, considérée comme l’hormone de l’amour. Graphique à l’appui, celle-ci soutient que « plus une femme a multiplié les expériences, moins elle produit d’ocytocine, et moins elle est apte à s’attacher durablement à un homme ». Mais comme l’expliquent nos confrères de la rubrique « Vrai ou fake » de France Info, l’argumentaire est faux. D’une part, car l’ocytocine est également présente chez les hommes. D’autre part, car sa présence dans le corps ne se limite pas aux rapports sexuels. Par ailleurs, les sources citées par Thaïs Descufon proviendraient surtout d’un think tank conservateur américain qui promeut le mariage et la vie de famille.
Plus largement, filmer des inconnus en leur demandant leur body count interroge également la notion d’intimité sur les réseaux sociaux. Si cette question peut être posée au sein d’un couple, à l’instar d’un épisode de Friends où Monica et Richard se demandent mutuellement avec combien de partenaires ils ont couché - avons-nous réellement envie d’exposer ce chiffre à la vue de tous ? Et de connaître cette donnée à propos de chacun ? La question se pose, en rappelant toutefois qu’intimité et sexisme ne font jamais bon ménage. Et que tant que le consentement existe, chacun est libre d’agrandir son tableau de chasse.
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