WEBParoles d'Anonymous

Paroles d'Anonymous

WEBLe collectif revient sur le devant de la scène, notamment en France...
Philippe Berry

Philippe Berry

Protestation contre SOPA, PIPA et ACTA, affaire Megaupload, clash avec Christophe Barbier, membres mis en garde à vue en France... Le mouvement Anonymous refait parler de lui. Justiciers masqués ou dangereux anarchistes? 20 Minutes s'est entretenu avec plusieurs sympathisants et avec Nate Anderson, journaliste d'Ars Technica, coauteur de l'enquête au long cours Unmasked.



Ce lundi matin (23 janvier), environ 400 internautes sont rassemblés dans un salon de discussion IRC (Internet relay chat). Ils débattent –en anglais– des prochaines cibles à attaquer pour protester contre la fermeture du site Megaupload par les autorités américaines. Au même moment, le site de L'Express tombe pendant une vingtaine de minutes après une chronique au vitriol du journaliste Christophe Barbier contre Anonymous sur i>Télé un peu plus tôt. «Viens sur le chan #opFrance», invite Mumei, après une question restée sans réponse.

Les attaques en déni de service? «Trop éphémères»

Mumei (pseudo d'emprunt) a 26 ans et travaille comme technicien réseau dans une société privée. Il raconte qu'un peu plus tôt, une personne est venue en proposant d'attaquer le site de L'Express. «Une ou deux autres personnes étaient d'accord avec lui. Ils ont trouvé des failles sur le site d'i>Télé pour le défacer (changer la page d'accueil par une image ou un message, ndr) mais les modérateurs ont fermé la discussion» et rappelé la consigne: pas touche aux médias. «A la rigueur, on prévient i>Télé mais on ne l'attaque pas», tranche Mumei. Mhythraz, qui a «entre 15 et 20 ans», confirme. «C'est contre leur intérêt» d'attaquer des médias, selon lui, car Anonymous «défend la liberté d'expression et de la presse». Mais comme il n'y a pas de leader, l'action de quelques membres a pu suffire à perturber le trafic de lexpress.fr.

Ces deux sympathisants sont «plutôt opposés» aux attaques en déni de service (DDoS). L'arme principale d'Anonymous vise à noyer un site sous les requêtes de connexion, notamment grâce au logiciel LOIC, qui automatise la procédure. «C'est trop facile», jure Mhythraz. Pour son compère, l'opposition est davantage idéologique. Selon lui, «les répercussions sont plus négatives que positives et trop éphémères». Sans compter qu'elles ne sont pas sans risque: «La plupart des arrestations par les forces de l'ordre sont des membres novices qui y participent sans avoir les compétences techniques pour protéger leur identité», confie Nate Anderson, d'Ars Technica.

Des actions parfois sans pitié

Souvent caricaturé comme un groupe d'adolescents jouant les apprentis hackers, Anonymous peut aussi se montrer impitoyable. Aaron Barr, de la firme de sécurité HBGary, l'a appris à ses dépens en 2010. L'analyste, après un long feuilleton, pensait avoir démasqué des membres clés d'Anonymous et a fini par essayer de monnayer l’information, notamment auprès du FBI.

«La réplique fut brutale. Plusieurs membres ont réussi à s'infiltrer sur le site de l'entreprise, puis à accéder aux serveurs emails. Ils ont dérobé des milliers de fichiers et pris le contrôle du compte Twitter» de Barr, raconte Nate Anderson. Anonymous a toujours affirmé que les informations de l'analyste étaient erronées.

Mouvance protéiforme

Selon Nate Anderson, si Anonymous n'est pas un groupe avec des membres officiels et une hiérarchie, «certains ont davantage d'influence et sont plus respectés, souvent pour leurs compétences». Si la plupart ne sont que des suiveurs, «quelques individus ont accès à des outils de traitement automatisé avancés».

La décentralisation du mouvement aboutit parfois à des guerres internes, quand des intérêts divergent. «Il semble que certains préfèrent s'amuser et semer la zizanie quand d'autres privilégient la prise de conscience politique, notamment avec une forte implication lors du Printemps arabe et dans la lutte contre les lois antipiratage», détaille Anderson.

Dans cette transition du cyberespace à la rue, on voit de plus en plus de masques de Guy Fawkes (du film V For Vendetta), emblème du mouvement, dans des manifestations comme Occupy Wall Street. Jeudi, des députés polonais sont même venus masqués à l'Assemblée pour protester contre la signature par l'UE du traité ACTA.

De l'éthique du piratage

Comme en écho, Cobra, un membre américain, explique à 20 Minutes ses motivations militantes: «Si ça ne choque personne que le FBI puisse du jour au lendemain fermer un site utilisé par des millions de gens, que des fichiers, légaux pour une partie, soient confisqués, qu'on puisse passer plus longtemps en prison pour avoir téléchargé une chanson de Michael Jackson que le médecin qui a causé sa mort, qu'entre la part d'iTunes et des majors, les artistes ne touchent souvent que 10 cents par chanson, alors peut-être qu'il y a besoin de la désobéissance civique d'Anonymous pour réveiller tout le monde.»

De nombreux membres se sentent une âme de Robin des bois. Mais leur logique peine à justifier le téléchargement illégal: ils prennent aux majors mais ne reversent rien aux artistes –plusieurs jurent toutefois dépenser davantage en billets de concert et en merchandising. Mhythraz ne s'en cache pas: «Minecraft est l'un des seuls jeux que je me suis senti obligé d'acheter. Notch, son développeur, est indépendant. Il n'a pas le portefeuille surchargé de PDG Ubisoft ou d'autres. Moralement, si je voulais jouer à Minecraft, je devais l'acheter.»

Une certaine idée du piratage équitable, en somme. Mhythraz rêve d'une plateforme sur laquelle les artistes et les développeurs pourraient «partager et vendre directement à l'utilisateur» à plus faible coût. Cobra, lui, veut un réseau «sur lequel les FAI ne seraient pas forcés de fliquer les internautes». En attendant, Anonymous n'est pas prêt de tomber le masque.