« Une insulte au consommateur »… Les prix des jeux Nintendo Switch 2 ne passent pas
Votre vie, votre avis•Console plus puissante, catalogue renouvelé, mais aussi des additions plus salées. Face à la montée en prix des jeux de la firme japonaise, nos lecteurs font état de leur mécontentementYoussef Zein
L'essentiel
- Nintendo augmente significativement le prix des jeux pour sa nouvelle console Switch 2, allant jusqu’à 90 € pour Mario Kart World, ce qui provoque la colère de nombreux fans qui trouvent ces tarifs excessifs.
- Cette hausse des prix est une stratégie délibérée de Nintendo pour augmenter ses marges, misant sur la force de ses licences phares, mais qui risque de repousser une partie de sa base de joueurs, notamment les familles et les « gamers » chevronnés.
- Selon Stéphane Rappeneau, spécialiste en économie du jeu vidéo, Nintendo teste le marché et s’ajustera probablement à l’avenir.
A mesure que la Nintendo Switch 2 pointe le bout de son Joy Con, l’agacement des fans de la firme commence à monter sur les réseaux sociaux. La cause de cette discorde ? Le prix des jeux de la nouvelle console hybride de Big N. Annoncés à 80 euros - et jusqu’à 90 euros pour Mario Kart World –, ces tarifs font grincer les dents, surtout chez une communauté qui avait jusqu’ici salué l’approche tarifaire accessible de Nintendo.
Pour Florian, un de nos lecteurs, la pilule ne passe plus : « 70 à 90 € un jeu Nintendo, ça me fait passer l’envie de tenter l’expérience. Sans parler des 10€ pour le manuel d’instruction numérique (NDR : Nintendo Switch 2 Welcome Tour), ou encore débourser pour bénéficier d’une mise à jour graphique, c’est à mon sens, plus une insulte au consommateur. »
Le pari des franchises phares
Du côté de Nintendo, cette hausse n’est pas un accident à mettre sur le dos de l’inflation japonaise et la forte dévaluation du Yen. Stéphane Rappeneau, professeur en économie du jeu vidéo à la Sorbonne, y voit une stratégie assumée pour gonfler les marges, quitte à prendre des risques : « C’est un cycle typique pour Nintendo : une première console innovante, puis une version améliorée, plus chère et avec des marges plus confortables. La firme mise sur la puissance de ses licences. Elle est consciente que Mario Kart, même à 90 €, se vendra. »
Mais derrière cette logique, une inquiétude persiste : celle de voir Nintendo se couper de son cœur de cible, notamment les familles, séduites jusque-là par le côté abordable de la marque. Sophie, une de nos lectrices, témoigne de cette possible rupture avec la base familiale du géant japonais : « La Switch à 500 €, l’abonnement online, les jeux de base à 80 ou 90 €… L’époque de la Nintendo DS et ses jeux à 40 € sont bien loin. C’est devenu trop cher, les familles ne peuvent pas suivre. » Mais l’économiste est moins pessimiste : « Je ne pense pas qu’ils perdront les familles, estime Stéphane Rappeneau. Quand on est parent et qu’on veut une console pour ses enfants, Nintendo reste une valeur sûre. C’est la marque la plus facile à faire passer. »
Une incitation à aller voir ailleurs
Le vrai risque que prend Nintendo va plus se jouer du côté des « gamers » chevronnés. Pour l’économiste, les amateurs de consoles portables pourraient vraiment commencer à trouver l’herbe plus verte ailleurs : « Nintendo prent le risque de perdre une partie de son public ''gamer'', qui commence à regarder ce que proposent les concurrents, notamment du côté de chez Valve et son Steam Deck. »
Florian compte parmi ces hésitants : « Je suis un adepte des consoles hybrides ou portables, mais depuis l’arrivée du Steam Deck, les jeux semblent être beaucoup plus intéressants et surtout moins cher que sur la Nintendo Switch 1 et 2. »
« Tant pis pour Pokémon »
Chez certains fans historiques, la fidélité s’effrite. Fred, loyal à la firme au plombier moustachu depuis des années, confie son dilemme : « J’ai toujours résisté aux sirènes de la PS5 ou de la Xbox, même si leurs jeux sont souvent plus beaux, plus puissants. Ce qui me retenait, c’était le prix. Mais là, si l’écart se resserre, je ne vois plus l’intérêt de rester. Pour quasi le même budget, autant avoir une expérience plus immersive. Tant pis pour Pokémon. »
Depuis février, l’action du groupe a chuté de 20 %. Pourtant, Nintendo ne semble pas craindre un « effet Wii U » – cette console de salon sortie fin 2012, qui avait affiché de très mauvaises ventes, la faute à une communication mal gérée et un line-up trop peu ambitieux. Mais cette fois, le contexte est très différent. La Switch - première du nom - s’est écoulée à plus de 130 millions d’exemplaires. Les bases sont solides, mais « les analystes s’attendent tout de même à ce qu’elle se vende moins bien que le premier modèle », relève Stéphane Rappeneau.
Tester le marché
Doug Bowser, directeur de Nintendo of America, justifie ces nouveaux prix par le temps de développement croissant des jeux. Mais pour Stéphane Rappeneau, cet argument est loin de tenir : « Mario Kart 8 Deluxe s’est vendu à 75 millions d’exemplaires. Il a probablement coûté 150 millions à produire… et rapporté des milliards. Dire que le jeu coûte plus cher à développer ne justifie pas de le vendre à 90€. » Derrière cette hausse des prix, se cache surtout une pression psychologique sur les consommateurs : « Le jeu vidéo reste un des loisirs les plus abordables par heure de divertissement. Mais ce qui freine vraiment, c’est l’impact visuel du prix : 90 €, c’est un seuil mental difficile à franchir. »
Nos articles Jeux VidéoNintendo prend un gros risque, mais maîtrisé. Le géant japonais est seul maître à bord : il contrôle son hardware, ses licences, sa distribution depuis des décennies. Et il sait que même si les ventes démarrent lentement, il pourra toujours ajuster les prix plus tard. La Nintendo 3DS en son temps, a vu ses ventes exploser dès l’instant où elle a connu une baisse de prix significative. « Ils vont peut-être baisser dans six mois, estime Stéphane Rappeneau. Mais en attendant, ils testent le marché. Ils veulent vendre cher, marger fort, puis s’adapter. » Reste à savoir si à sa sortie, les joueurs suivront ou, comme pour les témoignages de nos lecteurs, laisseront les Joy Cons prendre la poussière en rayon.