sociétéL’IA sera-t-elle la meilleure pote ou la prochaine drogue des jeunes ?

L’IA va-t-elle devenir la meilleure pote ou la prochaine addiction des jeunes ?

sociétéToujours disponibles, jamais dans le jugement, les intelligences artificielles conversationnelles sont déjà massivement utilisées par la gen-z, notamment aux États-Unis. Il pourrait en être de même bientôt en France
Selon notre étude moijeune menée avec OpinionWay (voir encadré en fin d'article), 35 % des 18-30 ans pensent que « L’IA conversationnelle pourrait devenir un des principaux outils pour lutter contre l’isolement, la solitude ».
Selon notre étude moijeune menée avec OpinionWay (voir encadré en fin d'article), 35 % des 18-30 ans pensent que « L’IA conversationnelle pourrait devenir un des principaux outils pour lutter contre l’isolement, la solitude ». - Getty Images
Arthur Loton, étudiant en journalisme de l'école Narratiiv

Arthur Loton, étudiant en journalisme de l'école Narratiiv

L'essentiel

  • Cet article vient compléter notre fiction sonore journalistique « Chat G planté : le prix de l’IA ». Cette création en quatre épisodes met l’accent sur l’impact environnemental de l’intelligence artificielle.
  • Pour pousser la réflexion à l’issue de cette fiction, des contenus additionnels ont été produits avec les étudiants en journalisme de l’école Narratiiv.
  • Les chercheurs s’inquiètent de l’attrait pour les intelligences conversationnelles ou « compagnons IA », qui proposent d’échanger avec un avatar personnalisé : personnage de manga préféré, amant, thérapeute… Au risque de créer une dépendance chez les profils les plus fragiles.

«Dans un futur plus ou moins proche, on aura tous un double IA avec lequel on échangera constamment. » Marius Bertolucci, auteur de L’Homme diminué par l’IA (éd. Hermann), fait moins une prédiction qu’une déduction : l’IA conversationnelle est déjà là, et avec elle ses premiers cas d’addiction. Adoptées par des dizaines de millions d’utilisateurs, des applications comme Replika, Character.ai ou MyAI, fonctionnalité intégrée à Snapchat, envahissent la vie des jeunes. Avec, chez les plus fragiles, le risque de développer une dépendance.

Au centre de tout ça, il y a évidemment l’intelligence artificielle, mais d’abord et avant tout l’écran, au point qu’interagir avec d’autres personnes dans la vie de tous les jours n’a plus rien de naturel chez une partie de la population. Selon le Pew Research Center, 30 % des adolescents américains sont presque constamment connectés aux réseaux sociaux. « Sur les réseaux sociaux, on a une course vers le produit le plus addictif. Les entreprises perdent des parts de marché s’ils rendent leurs algorithmes moins addictifs. Les IA interactives et génératives risquent de se propager encore plus vite que les réseaux sociaux », alerte Victor Fersing, membre de l’association Lève les yeux. Créé en 2017 par la start-up américaine Luka, le chatbot Replika a attiré en 2020, année du confinement, plus de 7 millions d’utilisateurs à la recherche de soutien émotionnel.

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L’application permet de modéliser un confident d’apparence masculine ou féminine avec lequel vous pouvez interagir par messages texte ou vocaux. En apprenant et en s’adaptant au fil de vos discussions, l’IA développe une personnalité unique pour chaque utilisateur. L’avatar de Replika est présenté comme un ami virtuel avec qui on peut discuter sans se sentir jugé. Il est disponible 24h/24 et 7J/7. Cependant, des inquiétudes ont émergé concernant l’attachement émotionnel excessif de certains utilisateurs. En février 2023, quelques mois seulement après le lancement de la version payante Replika Pro, les développeurs ont dû restreindre les contenus romantiques et sexuels générés par l’IA. Certains utilisateurs qui avaient noué une relation amoureuse avec l’IA ont très mal accueilli cette mise à jour considérée comme une lobotomie. Ce mécontentement relève-t-il d’une forme de dépendance ?

« L’IA donne l’impression à l’individu qu’il est fort »

Le psychanalyste et psychologue Michaël Stora associe certains usages de l’IA à la pensée magique de l’enfant ou autrement dit à la psychologie du Moi. « Le patient se retrouve dans une situation de dépendance qu’il a pu connaître enfant vis-à-vis des figures parentales. L’IA est un miroir qui permet à l’individu de lui donner l’impression qu’il est fort. » En pratique, l’utilisateur dialogue avec une IA constamment sympathique avec lui. Il sait que son compagnon virtuel ne l’abandonnera pas. Le risque d’une addiction à l’IA pourrait s’intensifier avec l’intégration d’outils conversationnels aux réseaux sociaux. Bascule déjà opérée chez certains d’entre eux.

En février 2023, Snapchat a sorti son chatbot My AI destiné principalement aux adolescents. 2 mois après son lancement, la newsletter « Insights précoces sur My AI » estimait que plus de 150 millions de jeunes ont échangé plus de 10 milliards de messages. Problème ? La communauté Snapchat a identifié plusieurs failles du chatbot comme la génération de réponses non conformes pour un jeune public ou encore l’apparition d’une story publique suspecte de l’application. Victor Fersing alerte : « S’il n’y a pas de régulation des entreprises, ils feront tout pour maximiser leurs profits et négligeront l’impact que cela peut avoir sur la santé psychologique des gens. » Selon les données graphiques 2023 du similarweb, quasiment 60 % des utilisateurs de Character.ai ont moins de 24 ans.

Avec AI Studio, Meta clone numériquement les influenceurs

Créée en 2021 par deux anciens ingénieurs en IA de Google, la plateforme permet de concevoir vos personnages et de les partager avec la communauté. Les utilisateurs notent les réponses du chatbot et commentent pour améliorer son comportement. Character.ai propose une grande diversité de personnalités (célébrités, personnages fictifs, créations originales). On peut même créer des salons de discussion pour les faire dialoguer entre eux. Selon la newsletter Upmynt, une session sur Character.ai dure en moyenne 25 minutes, soit le triple de ChatGPT. Cyril di Palma, Directeur Général de l’association Génération numérique, tempère. « Le temps passé sur un outil n’est pas la cause d’un état mental ou d’un problème de bien-être chez l’utilisateur. C’est le symptôme. » En mars 2024, la mise à jour de la plateforme Character Voice AI permet de doter les personnages fictifs d’une voix synthétique. D’ailleurs, selon Marius Bertolucci, My AI prendra vraiment son essor quand Snapchat équipera son avatar de cordes vocales.

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Meta va encore plus loin. Le 29 juillet, l’ex-Facebook a lancé AI Studio. Cette plateforme accessible via Instagram, WhatsApp, Messenger et le Web, doit permettre aux créateurs de contenu les plus célèbres de résoudre le problème de l’interactivité massive avec leurs fans. Comment ? En les « clonant » numériquement. « Chacun peut créer un personnage IA en fonction de ses centres d’intérêt, et les créateurs peuvent créer une extension IA de leur propre personne », promet l’entreprise de Mark Zuckerberg sur la page d’accueil d’AI Studio. Pourtant, selon un article publié sur Begeek, « Meta a eu auparavant des difficultés à transmettre avec précision certaines informations via son IA ». Dans une interview accordée le 23 juillet au média américain Bloomberg, le fondateur de Facebook a annoncé vouloir atteindre « des centaines de millions » d’avatars intelligents générées par les utilisateurs sur les applications comme Character. AI et AI Studio.

Des entrepreneurs biberonnés à la science-fiction

Ne plus échanger à l’écrit avec une IA anonyme mais parler à un compagnon personnalisé, comme on discute avec ses amis, c’est ce à quoi semblent aspirer les ingénieurs de la Silicon Valley. Et cette aspiration a un nom : « Her ». Le 13 mai 2024, le PDG d’Open AI Sam Altman cumule des millions de vues en postant simplement « Her » sur son compte X. Il fait ici référence au film du même nom réalisé par Spike Jonze sorti en salle en 2013. Ce long métrage raconte l’histoire de Theodore Twombly, qui sombre dans la dépression après une rupture. L’homme fait l’acquisition d’une assistante virtuelle capable de s’adapter à la personnalité de chaque utilisateur. IA dont il tombe peu à peu amoureux. Le tweet de Sam Altman résume le lien entre la culture de la Silicon Valley et la culture littéraire. Les grandes figures de la start-up nation comme Elon Musk et Mark Zuckerberg ont été biberonnés aux films de science-fiction. Et aujourd’hui grâce à l’IA, la réalité rattrape la fiction. Selon Carlos Diaz, entrepreneur et investisseur en IA à San Francisco, « Her » est en quelque sorte leur madeleine de Proust. « C’est le rêve absolu de la Silicon Valley d’arriver à quelque chose qui transcende l’humain où que la machine arrive au moins à l’égal de l’homme, voire qui le dépasse. » Mais le songe éveillé de la Silicon Valley pourrait bien devenir le cauchemar de la jeunesse.

L’addiction à l’IA est le symptôme d’une jeunesse en dépression

De 2009 à 2021, 26-44 % des lycéens américains déclarent ressentir des « sentiments persistants de tristesse ou de désespoir. » C’est le résultat de l’étude menée par les centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux Etats-Unis. Le média Actus-IA révèle en mai 2024 que le bot « Psychologue » a reçu plus de 95 millions de messages sur la plateforme Character.ai depuis sa création par un étudiant en psychologie en novembre 2023. Marius Bertolucci met en garde. « Les réseaux sociaux avec leurs algorithmes apprenants vous rendent plus triste et plus seul et derrière vous allez vous consoler avec un ami virtuel. » « Avec l’IA, on devient accro à ses propres angoisses » remarque Michaël Stora.

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Victor Fersing détecte une insuffisance au sujet de l’éducation numérique. Aux Assises de l’attention du 27 janvier 2024 à Paris, le collectif Lève les yeux a rassemblé 900 personnes sur une journée de conférence sur le thème de la démocratie à l’ère numérique. « On a lancé un appel à projets avec les influenceurs qui créent des vidéos de vulgarisation sur l’IA générative » confirme Cyril di Palma. « Quand ces actions-là s’accumulent, elles peuvent remonter jusqu’aux sphères politiques », se félicite Victor Fersing, également fondateur du média La Fabrique Sociale. « Il est très important de sensibiliser les jeunes et surtout d’avoir des retours de leur part. Ils vivent dans un monde numérique mal compris des adultes. » Même si les cas d’addiction aux écrans sont voués à se multiplier, l’étude Destin Commun parue en mai 2024 révèle que 50 % des Français préféreraient « vivre dans un monde où les réseaux sociaux n’auraient jamais été inventés. » Demain, combien d’entre eux aspireront à une société où leur « IAmie » ne leur a jamais adressé la parole ?

Cet article a été écrit par un étudiant en journalisme de l'école Narratiiv sous la conduite de la rédaction de 20Minutes.

Qu’en pensent les jeunes ?

Pour le savoir, 20Minutes a sondé son panel moijeune. Premier point rassurant : la quasi-totalité des 18-30 ans accordent plus de valeur à des échanges humains plutôt qu'à une conversation avec une IA (ex : 9 sur 10 sont d’accord avec les affirmations « Un dialogue avec une IA conversationnelle ne vaudra jamais un échange avec un être humain » et « Il ne faut pas se replier vers la technologie au détriment de l’humain »). Mais l’institut de sondage OpinionWay note également que plus d’un tiers des jeunes (35 %) pensent que « L’IA conversationnelle pourrait devenir un des principaux outils pour lutter contre l’isolement, la solitude ». 30 % validaient d’ailleurs la déclaration « Au moins les IA conversationnelles ne nous laissent jamais tomber, contrairement aux humains. » Loin de fermer la porte aux assistants conversationnels dans un moment d’ennui, 41 % pensent que l’IA pourrait les aider dans des passages à vide et 36 % en cas de confinement.