« Hormis partager quelques articles de L214 sur Twitter, je n’avais pas vraiment d’impact », explique Ulrich Rozier
INTERVIEW•Défait aux élections législatives sous la bannière du Parti animaliste, Ulrich Rozier, par ailleurs patron du groupe de presse Humanoid, narre les raisons de son engagement politique et sa passion pour les nouvelles technologiesPropos recueillis par Laure Gamaury
L'essentiel
- En parallèle de la gestion du groupe de presse Humanoid, qu’il a cocréé, Ulrich Rozier vient de s’engager pour le Parti animaliste.
- L’occasion de comprendre pourquoi il a franchi le pas de la politique et comment ses convictions s’articulent avec sa passion pour les nouvelles technologies.
- « Hormis partager quelques articles de L214 sur Twitter, d’arrêter de manger de la viande, je n’avais pas vraiment d’impact. Or, ça bouillonnait en moi, j’avais besoin d’agir », explique le patron de presse à 20 Minutes.
Il coche plusieurs cases de la hype du moment : connecté, écolo, engagé. Quelle drôle de personnalité que celle d’Ulrich Rozier, touche-à-tout des nouvelles technologies, autodidacte du monde des médias et engagé politiquement pour la défense de la vie animale. Le patron du groupe de presse Humanoid, qui rassemble Numerama, Madmoizelle, FrAndroid et une agence de création de contenus, Humanoid xp, s’est présenté – sans succès – en juin aux élections législatives sous la bannière du Parti animaliste, dans la 9e circonscription de Loire-Atlantique. Un grand écart entre deux mondes que tout semble opposer.
Et pourtant, Ulrich Rozier passe aisément de l’un à l’autre. Il explique les changements induits par le rachat, il y a trois mois, de l’entreprise de presse par le groupe Ebra, adossé au mastodonte Crédit mutuel, et éclaire sur ses convictions en faveur de la cause animale. Sa société, créée en 2012 avec Baptiste Michaud, compte aujourd’hui 75 personnes et est indissociable de son parcours et de ses convictions. A la question de son engagement personnel dans ses obligations professionnelles, le patron d’Humanoid répond transparence, responsabilité, éthique et passion. Morceaux choisis.
Quel est votre parcours ?
L’histoire de notre groupe de presse a commencé fin 2007, durant mes études supérieures, un an quasiment après la sortie du premier iPhone. Google avait préparé sa réponse : Android. C’était beaucoup plus qu’un simple produit, c’était un véritable écosystème. En plus d’être un passionné du Web, j’étais aussi fan de nouvelles technologies. Le soir-même de l’annonce, j’ai ouvert un blog qui s’appelait Android France et trois semaines plus tard, j’ai rencontré deux développeurs qui avaient fait la même chose. Nous étions complémentaires et avions la même vision. Nous avons ensemble créé FrAndroid, un site de passionnés.
Jusqu’en 2012, FrAndroid était un side project, qui occupait nos soirées et nos week-ends, au rythme des développements d’Android, un système d’exploitation qui est très rapidement devenu l’OS le plus utilisé au monde, devant même Windows. Puis, mon associé, expatrié au Japon chez Orange, est rentré en 2011 à cause de Fukushima, et nous avons finalement décidé de nous lancer à 100 % dans le projet : Humanoid était né.
« « On ne voulait pas être un éditeur de médias qui utilise la technologie, mais plutôt une boîte technologique qui fait des médias » »
Il a vraiment fallu dix ans pour rassembler chaque brique du développement d’un média : SEO, rédaction, technique. Notre vision du départ, à laquelle nous n’avons pas dérogé, se rapprochait beaucoup de celle des ingénieurs : la technologie est une opportunité et non une contrainte. Il faut l’utiliser pour parvenir à un modèle de média gratuit sur le web, qui soit rentable.
Nous avons eu de la chance car en 2012, quand on s’est lancé à fond dans l’aventure, on avait déjà une audience et une trésorerie. On a adopté une démarche très traditionnelle dans l’approche financière : plutôt que de s’appuyer sur le modèle start-up, on n’a toujours dépensé uniquement ce qu’on gagnait. Et réinvesti dans le développement de l’entreprise sans jamais se verser de dividendes. On a ainsi pu racheté Numerama en 2015 sur nos fonds propres, et Madmoizelle en 2020, avec un montage financier sur de la dette mais pour que l’opération coûte moins cher uniquement.
Humanoid fête ses 10 ans, l’année où le groupe est racheté par le groupe Ebra. Quels changements cela implique-t-il ?
Au quotidien, pas grand-chose : nous gardons notre autonomie, je garde la présidence du groupe Humanoid. Nous conservons aussi nos locaux. Le projet a été longuement réfléchi et notre choix s’est porté sur Ebra pour deux raisons : c’est un groupe qui édite des journaux à plus de 80 % de son activité, il est dans le même secteur mais dans un métier différent, et il nous laisse une grande liberté. Comme nous sommes complémentaires, nous pouvons les accompagner dans leur transition dans le digital et si demain, nous voulons éditer un magazine papier Numerama ou Madmoizelle, ils ont les imprimeries, les circuits de distribution, le savoir-faire.
Pour moi, qui ne suis pas un entrepreneur-né, ce rachat me permet de me sentir moins seul pour assumer toutes les lourdes responsabilités qui incombent à un patron. Je n’ai jamais imaginé passer toute ma vie professionnelle dans l’entreprenariat parce que ça bouffe un temps fou. Je ne veux pas perdre des années de vie et rater l’opportunité d’avoir une retraite ! C’est un moyen de trouver un équilibre de vie, que je ne pouvais pas me permettre avant.
Et donc vous vous engagez au Parti animaliste ?
La défense de la cause animale a toujours été très importante mais je me sentais spectateur. Hormis partager quelques articles de L214 sur Twitter, arrêter de manger de la viande, je n’avais pas vraiment d’impact. Or, ça bouillonnait en moi. On développe une vraie rage intérieure, c’est la même chose pour les violences envers les enfants ou les femmes, ou pour la défense de l’écologie. Pour moi, les animaux raisonnent un peu plus fort, c’est très personnel.
Depuis environ un an, je faisais des dons au Parti animaliste et je voulais faire plus. Mais il fallait que je trouve du temps. Au départ, la politique ne m’intéresse pas, comme la plupart des candidats de mon parti. Il manquait de candidats hommes, les femmes étant généralement plus sensibles à la cause animale, et perdait de fait des subventions accordées pour la parité. J’ai donc décidé de me lancer c’est une démarche animaliste avant d’être une démarche politique.
Comment liez-vous aujourd’hui technologies et engagement pour les animaux ?
Comme dans la majorité des partis aujourd’hui, la communication passe par le Web. J’ai donc pu apporter mon expérience sur les stratégies en fonction des plateformes, comment créer du contenu, comment rebondir. Il y a un autre aspect qui m’intéressait : je suis journaliste depuis des années, j’ai donc multiplié interviews et relations publiques et j’étais curieux de voir l’autre côté du miroir, comment je pouvais mener les interviews en étant candidat, comment le Parti animaliste pouvait se positionner par rapport aux médias. Il devait mettre en place sa stratégie de communication, s’exprimer au bon moment, sur les bons sujets.
C’était un one shot, le Parti animaliste ?
Non, j’aime l’engagement dans ce mouvement, auprès de personnes bienveillantes issues de tous les milieux, de tous les métiers. Cette diversité me plaît et change des mondes de journalistes et de technophiles dans lesquels j’évolue habituellement, où tout le monde se comprend, parle le même langage mais ne laisse pas trop de place à des idées différentes. Au Parti animaliste, tous se battent pour une cause et un objectif communs sans forcément parler la même langue. Et pourtant, ce qui a été mis en place en quelques semaines en matière de communication, d’information, de formation, m’a bluffé. Je pensais apporter mon expérience plus qu’apprendre de nouvelles choses, et finalement l’équilibre est bien mieux réparti. Je vais donc prolonger mon engagement.
Quels sont les projets d’Ulrich Rozier demain et après-demain ?
Je souhaite continuer sur la voie de la totale transparence avec mes équipes : mon engagement au Parti animaliste n’empiétera pas sur mon travail de patron d’Humanoid. Je sais déjà que certains outils de communication utilisés par le Parti animaliste et de formation interne pourraient être inspirants pour un groupe de 75 personnes qui se structure, et vice-versa. Il est encore un peu tôt pour que j’établisse une passerelle claire mais je pense que c’est un axe de réflexion.
L’engagement écologique éditorial de mes rédactions est aussi un axe que je veux maintenir. Annoncer qu’il faut moins regarder Netflix n’est pas une solution. Et nous médias, devont faire de la pédagogie autour de ces idées. Par exemple, sur FrAndroid, on a débunké une idée lancée par un politique : débrancher sa box Internet quand on ne s’en sert pas ne permet pas d’économiser la consommation d’un frigo, ça permet des écoonomies mais elles ne sont pas de cet ordre-là. Et il y a d’autres pratiques bien plus efficaces.
Finalement, il n’y a pas de changement majeur avec l’avant-Ebra. Je suis engagé pour plusieurs années dans le développement d’Humanoid, je travaille sur des acquisitions futures, principalement dans les médias, mais ça pourrait aussi être dans des technologies connexes, dans de la vidéo ou du e-commerce. Le groupe va grossir. J’ai désormais le luxe financier de pouvoir choisir mes engagements, que ce soit dans la cause animale, écologique, des femmes. J’irai vers ça, je ne sais pas encore sous quelle forme. Mais oui, je voudrais renforcer mon impact sur ces causes-là.