Scandale Omegle : Quel est ce site dans le viseur de la protection de l'enfance ?
PROTECTION•Les interrogations autour de la plateforme Omegle relancent le débat plus global sur la protection de l’enfance dans l’espace numérique
Laure Gamaury
L'essentiel
- Le site Omegle est dans le viseur de la protection de l'enfance, à la suite d'une enquête du magazine Kool Mag.
- L'accès à cette plateforme de tchat vidéo américaine est ouvert à partir de 13 ans, mais comme les sites pornos, le contrôle de l'identité se limite à cocher une case pour y entrer.
- Pour Thomas Rohmer, fondateur et président de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, cette affaire relance le débat sur la régulation du numérique. « En laissant un accès complètement libre à des sites comme Omegle, c’est un peu comme si on donnait rendez-vous à des jeunes dans un sex-shop ».
Chatroulette, version 2022. Son nom, c’est Omegle, et c’est un petit nouveau dans la longue liste des plateformes signalées par la protection de l’enfance : ce site de tchat vidéo américain existe depuis un moment, il a été créé en 2009. « On ne reçoit quasiment aucun signalement dessus, contrairement aux sites pornos ou aux réseaux sociaux, tempère Thomas Rohmer, président et fondateur de l’Open, l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique. Mais s’il n’y a pas d'"effet Omegle" au quotidien, ça ne veut pas dire que les conclusions de l’enquête de Kool Mag sont erronées ».
Car tout est parti de ladite enquête sortie par Kool Mag jeudi 21 avril. Dans une vidéo, Baptiste des Monstiers, cofondateur du site dont la devise est « Assume ton côté daron » et ex-journaliste chez Quotidien, dénonce le site Omegle, sur lequel il s’est connecté un mercredi après-midi. Il y a rencontré des adolescents de tous âges qui n’avaient pas tous 13 ans, âge légal minimum requis pour se connecter, ainsi que des adultes, souvent dénudés, dans des positions équivoques, en pleine masturbation, etc... Bref un contenu totalement inapproprié et illégal à disposition d’un public mineur.
Mais comment est-ce possible qu’un tel site soit autorisé en France ?
Dans le viseur de la justice américaine depuis plusieurs années, Omegle n’avait pour l’heure pas fait les gros titres en France. En 2017, le site avait été impliqué dans une affaire criminelle entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Il avait servi pour une prise de contact entre une femme pédophile américaine, serveuse et stripteaseuse à San Francisco, et un couple britannique, condamné pour des actes d’agression sexuelle sur des mineurs de moins de 13 ans. L’Américaine avait avoué lors du procès du couple à Plymouth (Grande-Bretagne), qu’elle l’avait rencontré sur Omegle où elle avait tapé comme mot-clé pour trouver des intérêts en commun, le terme « pédophile ». Ils étaient ensuite passés sur la plateforme Skype pour commettre les principaux crimes reprochés.
Mercredi, Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance a annoncé qu’il allait signaler à la justice, la plateforme de messagerie pour « exposition de mineurs à la pornographie et à la pédocriminalité ». Mais pour Thomas Rohmer, il faut aller plus loin. « Protéger les enfants dans les espaces numériques, oui, ça empiète sur certaines libertés individuelles, il ne faut pas se mettre des œillères. Mais c’est nécessaire. Ce sont des choix de société qui ont déjà été tranchés sur la vente d’alcool, de tabac notamment ». Il demande ardemment qu’un débat de société soit lancé pour arrêter « d’opposer protection de l’enfance et liberté d’expression ». Car ce Chatroulette version 2022 n’est qu’un exemple supplémentaire de l’absence de régulation efficace de l’espace numérique, « le même serpent de mer que l’accès aux sites pornos et les démêlés judiciaires actuels sur le sujet ».
L’éducation numérique est l’affaire de tous
La nouveauté avec Omegle, selon le président de l’Open, « c’est le rôle pernicieux des influenceurs ». Des youtubeurs et des tiktokeurs seraient à l’origine de la venue sur ce tchat vidéo des plus jeunes : « Quelle est leur responsabilité quand ils laissent entendre à leur communauté qu’ils peuvent, avec un peu de chance, discuter avec leur idole en se connectant sur Omegle ? », se demande Thomas Rohmer. Sans parler du mensonge délibéré de ce message : statistiquement, les chances de « tomber » sur leur influenceur préféré sont infimes. « Ces influenceurs doivent prendre conscience de leur responsabilité dans ce genre d’incitation. »
Le témoignage de Nadia B. sur Twitter, mère de deux enfants de 10 et 13 ans, à la suite du visionnage de l’enquête de Kool Mag, est édifiant : « J’en ai parlé ce matin à la maison, mon mari qui est pourtant un geek, n’avait jamais entendu parler de Omegle, mais par contre, mes deux garçons de 10 et 13 ans le connaissaient via les invitations des mecs qu’ils suivent sur Youtube ».
« Dans l’éducation numérique, les parents aussi doivent se saisir à bras-le-corps de ces sujets, ajoute Thomas Rohmer. Limiter le temps d’écran ne suffit pas aujourd’hui ». Pour lui, la question de l’accompagnement numérique doit être au centre des préoccupations, surtout quand on sait que l’achat d’outils numériques intervient de plus en plus tôt. « Notre dernière étude datant de février, révèle que l’achat du premier smartphone intervient en moyenne en dessous de l’âge de dix ans, rappelle-t-il. En laissant un accès complètement libre à des sites comme Omegle, c’est un peu comme si on donnait rendez-vous à des jeunes dans un sex-shop ».