Truth Social : Les débuts catastrophiques du réseau social de Donald Trump
WEB•Liste d’attente bloquée, fonctions manquantes, départs de cadres… Le réseau social de Donald Trump accumule les déconvenuesPhilippe Berry
L'essentiel
- Truth Social a été lancé fin février pour un nombre limité d’utilisateurs.
- Il devait être complètement opérationnel fin mars. Mais c’est loin d’être le cas, et Donald Trump n’y est toujours pas actif.
- Deux responsables ont récemment démissionné, et l’ex-président américain fulmine.
Donald Trump avait promis une plateforme pour « lutter contre la tyrannie des géants de la tech ». Mais six semaines après son « soft launch » auprès d’un public restreint, son réseau Truth Social, qui devait être « pleinement opérationnel » fin mars, est en train de sombrer dans les tréfonds de l’app store d’Apple et compte à peine plus d’un million d’utilisateurs. A tel point que Donald Trump lui-même ne l’utilise pas encore.
Et si le réseau social de l’ancien président, banni par Twitter après l’assaut du Capitole, peut encore redresser le tir, le départ de deux cadres, notamment de son directeur technologique, révélé par Reuters, sème le doute.
Liste d’attente bloquée
Après s’être inscrit au lendemain du lancement, le 23 février, le verdict tombe : « A cause d’une demande massive, nous vous avons placé sur la liste d’attente. » Notre position ? 518.418e. Une stratégie classique pour créer le buzz dans la Silicon Valley, avec des applis qui ont souvent recours à un système d’invitations exclusives ou à des listes d’attente, le temps de faire la chasse aux bugs. Sauf que six semaines plus tard, rien n’a bougé. Pire, notre position a même reculé de 80.000 places. Et si un e-mail à l’attaché de presse nous a permis de couper la file, le grand public ne bénéficie pas de ce luxe. Pour une nouvelle inscription lundi, la queue virtuelle comprenait désormais 1.5 million de personnes.
Baisse de 93 % des téléchargements
Après le buzz initial, les téléchargements se sont effondrés de 93 % dans l’App store iOS, selon des chiffres Sensor Tower. Il n’y a toujours pas de version Android, et Truth Social n’a pas répondu à nos questions par e-mail pour savoir quand le réseau serait pleinement opérationnel. L’ancien élu Devin Nunes, qui a pris la tête du Trump Media & Technology Group, dont dépend Truth Social, avait assuré que ce serait le cas fin mars.
Fonctions manquantes
Six semaines après le lancement, il est toujours impossible d’envoyer des messages privés ou de créer des listes. Pour le moment, il n’y a pas de section « trending » pour repérer les sujets qui montent comme sur Twitter et Facebook, ou même sur les réseaux conservateurs Gab et Gettr.
Donald Trump n’est pas actif
« Tenez-vous prêts ! Votre président préféré vous retrouvera bientôt », jurait Donald Trump fin février. Depuis, silence radio, car « le réseau n’est pas prêt pour le prime time », a indiqué un proche conseiller de l’ex-président américain au Washington Post. A l’heure actuelle, l’ancien locataire de la Maison Blanche compte 843.000 followers sur Truth Social, contre 88,7 millions sur Twitter au moment où il a été banni, soit moins de 1 %.
Peu de personnalités présentes
Lors de l’inscription, Truth Social propose une cinquantaine de comptes à suivre. Donald Trump, évidemment, mais aussi ses fils Eric et Don Jr, ainsi que l’animateur de Fox News Sean Hannity. Le reste semble cibler un public MAGA masculin avec des comptes de passionnés d’armes à feu ou de « filles sexy qui jouent au golf ». L’essentiel des influenceurs conservateurs, notamment Tucker Carlson, Candace Owens, Ben Shapiro, Glenn Beck ou Mike Cernovich, sont absents du réseau. On y trouve peu d’élus, à l’exception du patron des républicains à la Chambre, Kevin McCarthy, et de la représentante controversée Marjorie Taylor Greene, dont le compte personnel a été suspendu par Twitter en janvier dernier. En revanche, les comptes parodiques pullulent, avec des faux Hunter Biden, Nancy Pelosi ou Anthony Fauci.
Désinformation et absence de modération
Avec tout ça, c’est morne plaine du côté du flux des « Truths » et des ReTruths. De nombreux comptes recyclent leurs messages ou articles partagés sur Twitter. Les discussions sur les sujets d’actualité restent limitées : le hashtag #Trump indique que 1.850 personnes en débattent, contre 1.606 pour #Ukraine, 254 pour #Obama (qui était à la Maison Blanche mardi), 74 pour #Zelensky et seulement 22 pour #Bucha.
A l’heure actuelle, la modération semble limitée voire inexistante. Même si Truth Social peut, selon la charte, supprimer les contributions « fausses, inexactes ou trompeuses » (en plus des contenus violents, racistes ou pornographiques), la désinformation foisonne, entre complotisme QAnon, propagande du Kremlin et thèses vaccino-sceptiques : Donald Trump, Vladimir Poutine et Xi Jinping œuvrent pour « éliminer l’ordre nazi mondial », Hunter Biden a financé les « biolabs » en Ukraine, et le vaccin anti-Covid provoque « une explosion des cancers » (aucun lien n’a été établi).
Au début de l’année, Devin Nunes avait assuré que Truth Social accepterait « des opinions diverses ». Mais le réseau ne peut laisser quartier libre à ses utilisateurs sous peine de se faire sanctionner : début 2021, Apple et Google avaient exclu l’appli Parler de leur app stores après la multiplication de messages « incitant à la violence ». C’est tout le paradoxe de Truth Social : Donald Trump rêve de s’affranchir des Gafa mais a plus que jamais besoin d’eux.