STRATEGIEElyze, CovidTracker… A quoi sert de publier son code en « open source » ?

De CovidTracker à Elyze, à quoi sert la publication d’un code informatique en « open source » ?

STRATEGIELes récentes polémiques autour de l’application Elyze mettent en lumière la communauté des développeurs et le monde de l'« open source »
Laure Gamaury

Laure Gamaury

L'essentiel

  • Les polémiques autour de l’application Elyze, qui fait matcher les candidats avec les utilisateurs en fonction de leurs « swipes », ont mis en lumière la communauté des développeurs, grande défenseuse de l’open source et réputée particulièrement bienveillante.
  • Les créateurs de l’appli ont publié le code d’Elyse, comme avant eux les créateurs de CovidTracker ou le gouvernement avec TousAntiCovid – de façon partielle dans ce dernier cas.
  • Plusieurs raisons poussent les détenteurs d’un programme informatique à publier leur code en open source et ce ne sont pas toujours les mastodontes du numérique qui s’y opposent.

L'« open source », mais encore ? Pour les néophytes, cette notion semble relever de la sorcellerie. Pourtant, la publication du code informatique d’une application mobile ou d’un site Web pour permettre aux développeurs de l’examiner n’a rien d’une opération de magie noire. La mise à disposition du code source permet bien souvent de renforcer la transparence sur les buts recherchés, de rassurer les utilisateurs sur la façon dont sont collectées et d’utilisées les données, et d’améliorer des projets parfois artisanaux.

L’un des exemples les plus connus dernièrement est la création de CovidTracker par Guillaume Rozier en plein confinement. « C’est parti d’une initiative citoyenne, analyse Aurélie Guillaume, développeuse web de 34 ans qui a contribué à ce vaste projet. Guillaume Rozier ne l’avait absolument pas pensé comme une appli pour potentiellement aider les gens [avec l’extension « Vite ma dose » quelques mois plus tard] ou pour gagner de l’argent. Dès le jour 1, le code de CovidTracker était disponible en open source, ce qui a permis de voir toute son évolution. Au tout début, le code n’était clairement pas très qualitatif. Mais Guillaume Rozier a été transparent, en expliquant lui-même que bien qu’il ait été étudiant en informatique à l’époque, il avait utilisé des technologies qu’il ne connaissait pas. » Avec la réussite qu’on lui connaît désormais.

Depuis quelques semaines, celle qui cristallise les débats – notamment parce qu’elle s’est retrouver à jouer un rôle essentiel dans la campagne présidentielle –, c’est l’application Elyze. Ce « Tinder électoral » pâtit d’avoir été longue à rendre public son code en open source. « Techniquement, c’est extrêmement rapide », explique Mathis Hammel, « Tech evangelist » chez CodinGame et vulgarisateur du monde du développement. « Ce qui peut prendre du temps, en revanche, c’est de le "nettoyer" et de choisir quels fichiers inclure dans l’open source parce qu’il n’est pas nécessaire de tous les déposer. Parfois, les développeurs laissent des mots de passe écrits dans des fichiers ou des identifiants d’authentification sur des bases de données. Il faut donc s’assurer que le code puisse être publié sans divulguer de données sensibles. Pour Elyze, il devait y avoir des morceaux de code faits à la va-vite et ses jeunes créateurs n’avaient pas envie d’être jugés pas la communauté des développeurs. »

Tous les atouts d’un projet collaboratif

Et pourtant, comme l’analyse Aurélie Guillaume, les conséquences positives de l’open source sont nombreuses : « L’avantage principal, c’est le soutien de la communauté. En fonction du langage de programmation utilisé, cela permet d’avoir des retours sur le code pour qu’il soit plus robuste, plus sécurisé, qu’il utilise les standards de développement du langage, qu’il puisse évoluer. C’est vraiment important pour la qualité du code et pour les fonctionnalités suggérées qui peuvent apporter une forte valeur ajoutée ».

Dans le cas d’Elyze par exemple, « c’était une question de transparence algorithmique », ajoute Mathis Hammel. En effet, avec une application qui vous dit pour qui voter et qui collecte des données sensibles, rendre son code disponible librement renforce la fiabilité et la confiance des utilisateurs : « Il leur fallait montrer patte blanche pour réaffirmer qu’ils étaient neutres et apartisans. Or avec l’apparition du bug sur les ex-aequo, où Emmanuel Macron arrivait toujours en premier, ils ont perdu en crédibilité », complète le développeur.

L’évolution de la pratique open source

Aujourd’hui, la communauté de l’open source est de plus en plus importante, même les grandes entreprises – y compris les Gafam– s’y mettent. Par grandeur d’âme ? Pas vraiment, confie Aurélie Guillaume. « Pour Google, par exemple, l’intérêt pendant une période au cours de laquelle ils tentaient d’imposer Chrome comme navigateur, c’était de faire adopter leur logiciel open source par tous les développeurs. Et en mettant à leur disposition des outils faciles et gratuits pour développer, ces derniers vont s’en servir plus facilement, le site s’affichera mieux sur Google Chrome. C’était une manière de vendre leurs produits ».

De l'autre côté de l'échiquier, la majorité des développeurs codent sur des projets bénévolement ce que la développeuse web appelle « l'évangélisation gratuite ». Et puis, elle avance également le cas de ceux qui « deviennent des standards ou des références ». Parmi ces poids lourds, on peut trouver Firefox, navigateur bien connu, qui a trouvé un modèle économique viable pour l’open source, qui est souvent associé à la précarité car ses contributeurs sont majoritairement bénévoles. « Firefox a créé une fondation qui emploie à temps complet des développeurs dédiés à la réalisation d’améliorations sur son propre navigateur. Ils sont salariés de la Firefox Foundation, et non de la partie commerciale de Mozilla », explique Aurélie Guillaume.

La bienveillance de la communauté ou presque

« La communauté open source, c’est 99 % de gens bienveillants qui ne cherchent pas à exploiter les problèmes mais bien à aider et à apporter des améliorations. », s’exclame Mathis Hammel. Un point de vue totalement partagé par Aurélie Guillaume. Et pourtant, concernant Elyze, la communauté s'est montrée tranchante à l'égard des deux co-créateurs : « Ils ont fait l’erreur de ne pas mettre leur code immédiatement en open source. Donc première levée de boucliers de la communauté. Mais à la publication, ils ont également été lynchés à cause de failles importantes. A mon sens, de telles réactions n’aident pas l’image de l’open source, ça a desservi la cause », analyse Aurélie Guillaume.

Malgré sa réputation d'être particulièrement bienveillante, la communauté des développeur va-t-elle finalement avoir raison de l’open source ? Dans le cas d'Elyze, « le monde entier du développement logiciel s’est tourné vers les créateurs alors qu’ils n’avaient aucune expérience. Donc c’est un peu violent », reconnaît Mathis Hammel. Mais le développement permanent des projets libres, ainsi que les apports qu’ils apportent au monde du code informatique laisse penser qu’ils ont encore de beaux jours devant eux. Tendre vers un idéal où la transparence et l’altruisme seraient les maîtres mots est toujours d’actualité : « CovidTracker est un bel exemple de la bienveillance de la communauté open source », conclut Aurélie Guillaume.