Blockchain : Des acteurs du secteur des cryptomonnaies signent un accord climat
EMPREINTE CARBONE•En plein boom, les technologies de la blockchain utilisées dans le secteur des cryptomonnaies sont confrontées à une consommation gigantesque d’énergieMartin Vanroelen pour 20 Minutes
La blockchain, ou chaîne de blocs en français, permet d’effectuer des opérations de façon sécurisée, transparente et décentralisée. Seulement, la technologie peut demander la mobilisation d’un grand nombre de machines pour fonctionner. Ce qui à terme, représente un impact énergétique énorme et une empreinte carbone conséquente.
En matière de consommation d’énergie, le Bitcoin est le plus mauvais élève, mais aussi la technologie la plus ancienne. Son fonctionnement en Proof of Work (validation par preuve de travail) permet d’effectuer des transactions sécurisées et rapides sans devoir faire confiance à un tiers. Pour que cela fonctionne, une quantité importante d’ordinateurs doivent résoudre des problèmes informatiques complexes. En février dernier, cet « or digital » représentait 70 % de la capitalisation du marché des cryptomonnaies. Son fonctionnement engrange une empreinte carbone annuelle comparable à celle de la Nouvelle-Zélande.
Le protocole Ethereum et sa monnaie homonyme sont une technologie en blockchain apparue peu après le Bitcoin. Elle va plus loin et fournit les bases pour effectuer toutes sortes de contrats intelligents, complexes et transparents, qui ne requièrent à nouveau pas l’intermédiation d’un tiers. Bien que plus rapide que le Bitcoin, Ethereum n’est pas en reste et aurait une empreinte carbone similaire à celle de la Lituanie. Plusieurs cryptomonnaies fonctionnent grâce à Ethereum, mais des centaines d’autres protocoles alternatifs en tout genre ont vu le jour ces dernières années, toujours plus performants et moins énergivores.
Récemment, les non fungible tokens (jetons non fongibles) ou NFT ont fait beaucoup parler d’eux. Il est en effet dorénavant possible d’authentifier une œuvre numérique unique, grâce à la blockchain. On peut donc la vendre et lui faire prendre de la valeur. Si cela représente une réelle révolution pour le marché de l’art, les NFT sont fortement décriés pour leur caractère peu écologique. Une série d’œuvres peut en effet atteindre l’équivalent de la consommation annuelle en CO2 d’un citoyen européen. La plupart de ces NFT fonctionnent en Proof of Work sur le protocole Ethereum, mais d’autres solutions plus écologiques existent et voient le jour.
Un accord du privé pour une blockchain durable
Avec le soutien de l’ONU et pour crédibiliser l’usage de la blockchain, plusieurs acteurs privés du secteur se sont associés pour présenter un accord sur le climat spécial cryptomonnaies. L’accord a été initié et signé par l’Energie Web Foundation basée en Suisse et fondée par le think-tank américain Rocky Mountain Institute (RMI), qui travaille pour la réduction de l’utilisation des énergies fossiles dans le secteur industriel, ainsi que par l’Alliance for Innovative Regulations (AIR), autre think-tank en faveur des innovations technologiques dans la régulation du secteur financier.
Une vingtaine d’autres acteurs influents de l’industrie crypto ou dans la lutte contre les changements climatiques ont également rejoint l’accord. Parmi eux, on retrouve la firme américaine de cryptomonnaie Ripple, qui a mis au point en 2012 un protocole de paiement et une cryptomonnaie du même nom. Elle se différencie du Bitcoin en offrant une alternative par « validation en consensus » à la « validation par preuve de travail » (Proof of Work) du Bitcoin. C’est-à-dire qu’il ne faut pas mobiliser des milliers de machines pour constater et sécuriser les transactions. Il n’est donc pas anodin que Ripple soutienne l’initiative, car la technologie est plus rapide et consomme bien moins d’énergie que le Bitcoin. Le Ripple n’est cependant pas aussi décentralisé et sécurisé que ce dernier.
Les objectifs de l’accord devraient être prêts d’ici novembre 2021, à temps pour la conférence pour le climat COP 26 à Glasgow en Écosse. L’accord s’inspire de celui de Paris élaboré lors de la COP 21. Il entend réunir à terme tous les acteurs du secteur.
Jesse Morris, directeur commercial de l’Energy Web Foundation, est optimiste quant au futur durable du Bitcoin : « Si l’on peut rendre le Bitcoin vert, il sera plus simple et à moindre risque pour des organisations d’en acheter ». L’accord, encore fortement vague et préliminaire, aurait pour objectif de faire fonctionner la blockchain essentiellement en énergies renouvelables d’ici 2030 et sans aucune émission de CO2 d’ici 2040.
Des perspectives illusoires
Selon Alex de Vries, économiste et grand critique de l’impact écologique du Bitcoin, il est tout bonnement illusoire de croire à un Bitcoin vert : « Certaines choses ne peuvent pas être réglées ». En effet, le mécanisme sur lequel repose le Bitcoin est inchangeable. Si plusieurs alternatives vertes naissent pour le remplacer, ce dernier reste le leader du marché. C’est l’un des obstacles les plus importants à franchir dans la lutte pour une blockchain durable.
Des centaines d’ordinateurs minent du Bitcoin en continu pour en tirer des commissions (crédit : Lars Hagberg/AFP)
Même si l’accord arrive à convaincre les mineurs de Bitcoin de passer à une énergie renouvelable, plus chère, la mobilisation de ces ressources au détriment d’autres secteurs est difficilement justifiable, alors que des alternatives existent. Ethereum fonctionne également en partie grâce au Proof of Work, mais va peu à peu transiter vers une autre technologie appelée le Proof of Stake, moins vorace en énergie, mais comportant ses propres enjeux idéologiques.
Convaincre l’industrie
À l’instar du Bitcoin, beaucoup de technologies blockchain fonctionnent de façons décentralisées et horizontales, la gouvernance ne se fait pas de haut en bas, mais par les utilisateurs, pour les utilisateurs. Il sera donc compliqué de convaincre tout le monde d’adhérer à l’accord, même sur une seule blockchain.
De plus, certaines d’entre elles sont apparues sur un fond idéologique de cyber libertarisme, mouvement fermement opposé à la régulation d’internet. Le Bitcoin a, par exemple, été créé dans le but de pouvoir échanger de l’argent de façon sécurisée et anonyme sans devoir passer pour un intermédiaire comme une banque ou un état.
Cependant, le Crypto Climate Accord dresse les bases de futurs groupes d’actions et de concertations pour que l’industrie puisse régler des enjeux majeurs tels que sa consommation énergétique. La crédibilité défendue par l’industrie crypto ne réside pas que sur l’horizontalité, la décentralisation et la sécurité, mais également sur la durabilité. Le vecteur écologique dans le développement de l’industrie ne peut donc pas être mis de côté.